On l’a déjà constaté : la vieillesse déclenche parfois des égards que l’intelligence (par son absence ou son dosage homéopathique) n’aura su provoquer. Michel Rocard bénéficie donc, régulièrement, de l’oreille attentive et gourmande d’une presse qui a un peu de mal à décrypter les borborygmes confus de la nouvelle génération de politicien et préfère ceux, plus rigolos, de l’ancienne.
Il faut dire que la journaliste du magazine people l’a bien cherché : elle s’enquiert sans ménagement de la crédibilité de Hollande, Ayrault, Valls ou Moscovici lorsqu’ils prétendent n’être au courant de rien concernant Cahuzac. Rocard n’est pas un lapin né de la dernière pluie et esquive avec le brio qu’on lui connaît la question fourbe qu’on lui pose. Pour lui, c’est évident : ils ne savaient pas parce que, je cite un peu abasourdi tout de même :
« Nous avons des services secrets d’une efficacité remarquable, mais on leur a demandé de se tourner vers l’extérieur. »
Oh. Zut. Comme c’est ballot. Franchement. Les Renseignements Généraux pardon la DCRI était apparemment trop occupée à écouter le monde et les menaces extérieures (nombreuses, tapies dans l’ombre, qui en veulent à l’évidence à notre liberté, notre mode de vie occidental joyeusement débridé et qui veulent saper notre immense richesse et notre avenir florissant). Et puis ils étaient occupés à terroriser Wikipédia (ce repaire d’anarchistes). Quant à la justice, la police et tout le reste, ils sont aussi très occupés et n’ont pas que ça à faire. Pensez donc : établir un dossier sur les principaux ministres pour s’assurer qu’ils sont propres sur eux et que leurs comptes sont suffisamment bien planqués et pas trouvable à la moindre enquête de petits journaleux, c’est un travail de grande ampleur que ne mènent pas les Services Secrets. Ce serait, nous l’explique Rocard, mal. D’ailleurs, notre philosophe mitterrandien en profite pour lâcher une petite perle de pensée :
J’aime mieux les ratés temporaires à la mise sous surveillance de tout le monde.
Et pour le temporaire, Rocard s’y connait puisque c’est lui qui avait inventé la très temporaire CSG. À l’aune de ce rappel utile, on comprend donc comment notre ex-premier ministre peut trouver temporaire l’enfilade de scandales financiers et d’affaires louches qui caractérisent la vie politique française actuellement, et l’indulgence du vieux socialiste pour les siens serait presque touchante si on pouvait y voir de la naïveté et pas de l’hypocrisie livrée par barils entiers. Et on parle bien de barils : Moscovici, par exemple, savait évidemment et au moins depuis décembre que Cahuzac avait un compte en Suisse. Connaissant les rouages du pouvoir, nul doute que Rocard joue ici l’imbécile avec ce brio qui montre que tout n’est pas feint.
L’interview se poursuit sur le même rythme. Si l’on passe sur un éclair de lucidité qui fait dire au retraité qu’il aurait flanqué Montebourg à la porte pour son comportement (une lucidité temporaire aurait prévenu toute entrée du gentleman farmer au gouvernement), on arrive rapidement à la question qui fâche : quelle mesure choc préconise Michel pour redresser le pédalo France ?
Il faut donc baisser la durée du travail — je le crie depuis toujours —, mais par la négociation.
Car, comprenez-vous, une ânerie négociée est bien plus souhaitable qu’une ânerie légiférée, si, si. Apparemment, les coûts de production en France, déjà parmi les plus élevés dans le monde, et directement liés à une législation du travail inextricable, confuse et horriblement coûteuse, ne sont pas encore assez élevés pour notre socialo-keynésien. Il faut une nouvelle couche aux 35H que tout le monde nous envie mais que personne ne nous copie…
Devant ce constat, les bras pourraient vous en tomber. N’en faites rien ! Gardez-les pour vous tordre les côtes en voyant monter la nouvelle garde, ces jeunes politiciens à l’esprit affûté comme du beurre chaud et à la culture économique alternative, qui visent très manifestement à remplacer le pauvre Rocard dont on sent que le traitement médical de fond mériterait à passer à la vitesse supérieure. Et puisque vous avez encore vos bras, prenez le cas de Benoît Hamon.
J’ai, bien sûr, déjà relaté ses premiers pas, titubants, en politique ministérielle. Ben, c’est un des membres de cette myriade de ministres délégués, nuage de gratte-papiers républicains absorbés une bonne partie de leurs journées à justifier leur existence. Il ne fait pas beaucoup de bruit, mais quand il ouvre le bec et qu’un micro mou passe à proximité, pouf, ça ne loupe pas : il tente de surpasser Michel.
Cette fois-ci, le sujet est l’austérité. Ben n’y connaît rien, en matière de budget, d’économie en général, mais (syndrome du gros micro mou oblige) il va se lancer, éperdu, comme un novice pédaleur fou dans un Tour de France des Amateurs. Et le voilà qui pédale, pédale, pédale pour expliquer que la situation dans laquelle s’est fourrée la France, c’est la fotozotres, et bien évidemment au précédent gouvernement. Le bilan ?
« La conséquence, c’est que nous héritons d’une situation avec plus de chômage, une dette qui a explosé et une réduction sans précédent de la protection sociale »
Un réduction de la protection ? Ah bon ? Des pans entier de la Sécu ont sauté ? Les cotisations ne sont plus versées ? Les hôpitaux ferment ? Et la dette, elle a effectivement explosé, mais qui donc a fait des budgets en déficit depuis 40 ans ? Et le chômage qui explose, c’est encore Sarkozy, un an après son départ ? Ce ne serait pas qu’à force de pourchasser les riches, il y en a moins, et aussi moins d’entreprises dans lesquels ils investissent, forcément ? Non ? Même pas un peu ?
Benoît aime bien la politique. C’est facile, il suffit de mettre de jolies lunettes et de parler, d’une voix ferme et d’un ton posé, avec des mots un peu compliqués, de n’importe quoi en gardant toujours à l’esprit qu’on est le défenseur de la veuve et des orphelins. Et des banques françaises qui fourguent du carry-trade en Franc Suisse à des pères de famille de classe moyenne. Ou l’inverse. L’hésitation le reprend.
Maintenant, Benoît a un peu mal à la tête. L’austérité de la droite (allemande notamment) lui file des migraines.
Mmmh, bon, ne nous attardons donc pas sur le Délégué qui a manifestement d’autres chats à sauver d’un fouetteur libéral. S’il ne constitue pas, à lui tout seul, le digne descendant d’un Rocard qu’on sent sur sa dernière pente cahotante, on n’aura heureusement aucun mal à le seconder d’une Aurélie Filippetti frémissante à l’idée de sortir une nouvelle sottise dont on sait sans aucun doute et vu l’ampleur qu’elle vient bien d’elle. Tout comme Michel entend réguler le marché du travail à grand coup de pelle derrière la nuque, pour achever ses souffrances, Aurélie entend réguler la téléréalité parce que bon, ça suffit cette histoire de gens qui y meurent. Pour elle, c’est évident :
« Il faut réguler ces émissions pour qu’elles assurent bien la préservation de la dignité de la personne humaine, de ceux qui jouent et des téléspectateurs qui les regardent. »
Il est vrai qu’un parti qui héberge en son sein des gens qui font des trafics d’influence, sont mis en examen pour association de malfaiteur, qui détournent des fonds publics, qui abusent des biens sociaux, un parti auquel Aurélie participe joyeusement, voilà qui assure la préservation de la dignité de tout un paquet de parasites et de repris de justice qui n’auraient, sans lui, aucun espoir d’exercer leurs talents honnêtement.
Ah, vraiment, pas de doute : avec une relève de cette trempe, Michel Rocard peut partir l’esprit léger. Le pays, lui, est foutu.