12 avril 2013
Voilà un ouvrage pour lequel plusieurs jours d’analyse m’ont été nécessaires, et aussi de rechercher quelques définitions de concepts auxquels une non-anthropologue comme moi n’est pas familière.
Car ses auteurs : Hervé Le Bras, démographe et historien, et Emmanuel Todd, historien et anthropologue, ne sont pas tombés de la dernière pluie. Leur analyse très documentée de la situation de la France nous surprend donc à maints égards, en ces temps où chacun se plaît à vouer notre pays à une irrémédiable descente aux enfers.
Selon les auteurs, malgré l’image transmise dans les médias d’un pays moribond et ingouvernable, « dans ses profondeurs, la France ne va pas si mal. » Ce qui est grave, c’est l’ignorance profonde de ses dirigeants sur son fonctionnement profond et les structures anthropologiques et religieuses qui guident son évolution.
Ces conclusions, ils les tirent d’une étude cartographique extrêmement fine des comportements sociaux à travers le temps, dont ils nous livrent une centaine de cartes vraiment parlantes, établies à l’échelle des communes, mettant en lumière plusieurs constantes spécifiques de la France.
En fait de deux France : une zone centrale où domine l’idéal égalitaire, berceau des idées révolutionnaires, régions de familles nucléaires (un homme, une femme, deux enfants, mais aussi souvent, une famille monoparentale) et deux grandes zones périphériques à l’est et à l’ouest, régions de familles complexes, où plusieurs générations peuvent cohabiter et où les solidarités familiales permettent de mieux résister à la crise économique, des régions où, malgré la quasi disparition de la pratique religieuse, les valeurs du catholicisme perdurent en faveur d’une éducation technique et où le travail des femmes est encouragé.
Hervé Le Bras et Emmanuel Todd considèrent comme primordiale la prodigieuse progression du niveau éducatif entre 1981 et 1995, avec une proportion de bacheliers passée de 17,8% à 37,2%. Dans le même temps, on assiste à un appauvrissement de fait de la crise économique et de la disparition de l’industrie, de ces classes populaires éduquées, qui manifestent leur angoisse croissante de « tomber » dans la catégorie des 12% de la population de « sans diplômes ».
Cette peur du déclassement, l’élargissement du fossé au sein de la classe moyenne majoritaire entre les classes moyennes supérieures et les classes moyennes techniques rejetées à la périphérie des zones urbaines, combinée au vieillissement général de la population conduisent à une droitisation croissante de l’électorat.
Un autre fait troublant : la montée en puissance des régions traditionnellement catholiques au moment même où cette religion disparaît en tant que croyance métaphysique. Dans l’évolution que nous connaissons depuis 1968 : « mutation urbaine, post-industrielle et féminine de la société, les régions les plus aptes à entrer dans ce nouvel âge (centre-ouest et sud-ouest) sont en pointe de l’émancipation des femmes par le métier et cette évolution a été rendue d’autant plus facile qu’il n’y a pas eu, localement, d’âge industriel. »
A travers les cartes, le lecteur effectue un voyage captivant dans les régions les plus reculées de France, avec pour objectif de mieux comprendre les mouvements politiques qui la traversent, et l’avenir de certains mouvements extrémistes.
Finalement, un plaidoyer pour une approche plus efficace de nos caractéristiques spécifiques, à nous Français, à relier, de mon point de vue, avec l’ouvrage fondateur de Philippe d’Iribarne « La logique de l’honneur ».
Le mystère français, essai par Hervé Le Bras et Emmanuel Todd, édité au Seuil dans la collection « La République des idées », 321 p. 17.90€