Frigide Barjot et la Manif pour Tous ? La droite qui se prend pour la gauche qui se prend pour un oiseau à Avignon.
Par Pascal Avot.
Peut-on incarner les valeurs de la famille traditionnelle et s'appeler Frigide Barjot ? La réponse est : non. Par définition, le nom est la marque ultime de l'appartenance à une famille. Le patronyme signale la lignée, lui rend hommage. Le prénom, quant à lui, est la marque apposée par les parents sur cette lignée. Laquelle trace deviendra un destin individuel enchâssé dans le destin familial. Virginie Merle n'est pas légitime pour symboliser cette continuité civilisationnelle, du simple fait qu'elle se fait appeler Frigide Barjot.
La deuxième incongruité est esthétique. "Virginie Merle", c'est beau. Très beau, même. "Virginie" irait comme une élégante petite robe noire à son combat, et Merle est magnifiquement français. On se doute bien qu'elle s'est fait appeler "Merde" dans la cour de l'école plus qu'à son tour, mais on ne peut décemment préférer la fausse provocation à la vraie poésie. A fortiori si le faux est bancal, paradoxal : de toute évidence, "Frigide" est ironique, tandis que "Barjot" est assumé. Le résultat est désagréablement flou. Pour voir là un personnage cohérent, l'intelligence est obligée de loucher.
La troisième aberration est stylistique. "Frigide Barjot" est un logo éminemment punk. La femme qu'il masque joue le coup à fond, refuse de se coiffer, dit des gros mots comme Patrick Sébastien, porte les couleurs les plus voyantes des eighties et prend des poses à la Chrissie Hynde. Où le bât blesse, c'est que notre amie est, qu'on le veuille ou non, la porte-parole de la catholicité. Que l'Église de France le lui ait demandé, ou qu'elle laisse faire en croisant les doigts, Frigide est la Barjot du bon Dieu. Songez qu'au siècle dernier, Madonna a demandé une audience à Jean-Paul II, lequel a posé à leur rencontre une condition sine qua non : qu'elle abandonne son nom de scène. La rencontre n'eut jamais lieu.
Dans un article précédent, nous évoquions la gaffe stratégique consistant, pour un libéral, à se croire le contraire exact du collectivisme. Mais il y a bien pire : se prendre pour le sosie officiel du socialisme. Regardez la Manif pour Tous. Du rose. Frigide Barjot toute en rose sur son scooter tout rose. Des ballons roses par dizaines de milliers, des slogans roses, des t-shirts roses. Du bleu aussi, oui, mais surtout du rose. Et des slogans gentillets, quoi. Pas trop politiques. Pas trop religieux. Pas trop de droite. Pas trop cathos. Pas trop anti-Hollande. Pas trop anti-PS. Nos foules sont garanties 0% anticommunistes. Et regardez l'oiseau Papa-Maman, le Golem des réacs : d'une laideur repoussante, bâtard de mime d'Avignon et d'aéroplane soviétique. Une aile verte, l'autre rouge : les deux couleurs de la gauche radicale, les deux couleurs du parti de Mélenchon. Où est l'Église, dans ce pathétique hybride ? Où est la droite ? Où sont la famille traditionnelle, le gaullisme, le patriotisme, le libéralisme, le républicanisme, dans cet albatros low-cost imaginé par une dame cathé sous acide ? Nulle part. L'Oiseau Papa-Maman est un trou dans l'être-de-droite. Une fracture de l'être-catholique. Un fier service rendu aux goûts et aux délires de l'adversaire. Il pourrait être signé Delanoë. Il devrait être signé Delanoë.
Au long de la saga des Manifs pour Tous, jamais la droite, ni l'Église, ne se sont réellement exprimées : elles se sont invitées à un bal costumé dont le thème est "Volons leurs codes d'expression au PS, aux LGBT et aux clowns ; comme ça, personne ne dira qu'on est des gros fachos". Play it like Lang. Moralité : non seulement la droite et l'Église se sont tues sur le sujet de la réforme du mariage, au profit d'un discours "en creux" hermétique à la profondeur et au talent, mais l'ennemi prioritaire de la France contemporaine – la dette publique, et non le mariage gay – a pu se reproduire et pulluler tranquille, loin du débat public, ni vu ni connu. In fine, la Manif pour Tous n'aura manifesté qu'une chose : l'extraordinaire imprudence stratégique de l'opposition. Sinon sa fabuleuse vacuité culturelle.
On nous dira que la droite s'est mobilisée, au moins, et que c'est déjà ça. Elle s'est comptée. C'était spectaculaire. Admettons. Mais le débat sur le mariage était un match amical et vous l'avez perdu, mes chers coreligionnaires. Le vrai match, celui de l'endettement de l'État, attend toujours. Il ne semble pas que l'UMP soit vraiment pressée de le jouer. Un parti lui-même endetté de 50 millions d'Euros ne part pas forcément gagnant pour redresser les finances publiques. Autant laisser Frigide Barjot et son hypnose rose bonbon occuper le devant de la scène. On ressortira les classiques des tiroirs un an avant la Présidentielle. Il sera temps, alors, d'accuser les immigrés de tous les maux. Tant que la gauche est au pouvoir, la dette est de gauche. Cela ne nous concerne pas. Copé et Fillon retournent se coucher.
Mercredi, Frigide Barjot a avoué avoir volé son mot d'ordre, "On ne lâche rien", à Mélenchon (lequel l'avait volé au Lilian Thuram des Yeux dans les Bleus). La droite mange de la gauche parce que ça lui donne bonne mine au 20 heures. Ce faisant, elle avale les signes de reconnaissance contemporains de l'idéologie. Une fois digérés, ils montent droit au cerveau.