Certaines sont adolescentes, d’autres déjà femmes mûres. Toutes quittent leur Japon natal pour les Etats-Unis. Nous sommes au début du XXième siècle, et elles partent entassées sur un bateau dans un confort plus que précaire, pour rejoindre leur mari américain. Un mari qu’elles n’ont jamais rencontré, mais elles y vont pleines de rêves, pleines d’espoir. Mal de mer, séduction houleuse des marins, lorsqu’elles débarquent la chute est rude. Les maris qu’elles ont tant espérés sont bien loin de leurs attentes. Elles travaillent dans les champs, accouchent sur le sol, voient leur mari se détourner, leurs enfants les renier, happés par un modèle américain. Elles cherchent leur place dans cette nouvelle vie. Pendant vingt ans, elles endurent ces déceptions, tentant parfois de fuir, de se trouver une autre voie, d’autres hommes, d’autres destins, ou au contraire de se taire et de faire front. Jusqu’à ce milieu du XXième siècle où les Japonais d’un seul coup deviennent des ennemis, des êtres suspects et où une exclusion silencieuse commence.
Après avoir vu plusieurs articles sur ce livre, je l’ai vu sur les étagères de ma bibliothèque et j’ai voulu voir de quoi il retournait. Il est vrai que l’utilisation du “nous”, cette voix collective de femmes, a quelque chose de déroutant, puisqu’il crée à la fois une impression de choeur, de destin commun tout en listant soigneusement les situations différentes vécues par chaque femme. Comme si on hésitait en permanence entre la multitude de cas individuels et une identité collective très forte. Si l’effet est certain, ce choix a ses limites, puisque parfois même, l’auteur prend le partie de s’attacher plutôt à une des femmes pendant quelques lignes.
Néanmoins, ce roman a l’avantage de présenter un fait historique peu connu: l’exode en 1919 de Japonaise, mariée sur photo a des Japonais autrefois exilés et prétendument riches. Dans un Japon traditionnel où l’on n’hésite pas à vendre les jeunes filles, leur avenir muselé est évidemment poignant. Leur témoignage d’immigrées dans un monde qui n’a rien à leur offrir, où elles ne sont qu’une main d’oeuvre comme les autres, où elles doivent subir les assauts d’un mari qui les méprise, où elles sont poussées à la prostitution pour sortir de cette vie, où leurs propres enfants changent de nom parce qu’ils font trop" “japonais” est particulièrement touchant.
J’ai beaucoup apprécié que l’ancrage historique de ce témoignage soit fait avec beaucoup de pudeur: on devine plus qu’on annonce que la Seconde Guerre Mondiale a commencé et que les Japonais deviennent des ennemis publics aussitôt que Pearl Harbor en a fait des assassins démoniaques. On voit les maris arrêtés les uns après les autres, les voisins partir, les valises se boucler, et petit à petit, la dé-japonisation de la ville et la disparition de ces femmes aussi muette que leur arrivée. Néanmoins, j’ai estimé qu’il fallait avoir quelques notions de ce pan de l’histoire pour bien s’y retrouver tant ce contexte reste sous-entendus.
La note de Mélu:
Une impression globale mi-figue mi-raisin.
Un mot sur l’auteur: Julie Otsuka (née en 1962) est une auteure américaine d’origine japonaise.
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