Le passage 9

Par Emia

9. La lumière avait baissé. Je gravis la pente à grandes enjambées, me croyant poursuivie par ce que j’avais laissé là-haut ­– mais il n’y avait rien.

Je dévalai l’escalier, longeai  les boutiques ceintes de guirlandes lumineuses. Quelqu’un que je crus reconnaître se tenait, là, appuyé contre un mur : me regardant passer, le jeune homme me fit un signe de la tête. Il buvait quelque chose, une limonade ; j’avais soif moi aussi.

Je retrouvai le jeune homme sur le ferry. Il tenait à hauteur de poitrine un kimographe dont il ne cessait de manipuler l’entonnoir. Mais le bateau roulait et la lumière baissait sur la grande étendue muette striée d’écume et de reflets blafards. Il a dû penser qu’il n’y avait là pas de quoi faire de bonnes images et a rangé son appareil. Puis il est allé rejoindre l’avant du bateau.

L’air avait fraîchi et s’était chargé de senteurs variées. Les miasmes pestilentiels du chantier vaseux ne nous incommodaient plus, et les bateaux, remis à flots à la marée montante, avaient disparu. C’était à peine que nous pouvions distinguer les contours rocheux de l’île, dont la masse ténébreuse était piquée à sa base d’infimes lumignons. Depuis le large nous parvenaient des notes fleuries, mêlées d’effluves iodées et salées, d’une pointe de jasmin, d’un soupçon de gardénia. Je voyais courir sur l’eau noire des guirlandes d’oeillets mollement agglutinées les unes aux autres ; je les regardais danser dans notre sillage et luire faiblement.

Puis Kalamares s’ouvrit devant de nous, et la grande ville étincelante, dont la rumeur était encore couverte par le tintamarre du moteur, absorba mon esprit.


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