Pourquoi Ben & Jerry’s et Starbucks restent muets sur le mariage pour tous

Publié le 11 avril 2013 par Tulipe2009


















Les entreprises doivent elles intervenir dans des débats de société comme le mariage gay ? 


La question peut paraître incongrue, mais aux Etats-Unis, de grandes firmes soutiennent ouvertement cette cause. Elles contribuent à lui donner une ampleur, qui tranche avec les accusations de revendications communautaristes. 

Un collectif de près de 300 entreprises a ainsi saisi la Cour Suprême, pour qu’elle prenne en compte leur souhait d’une égalité des droits devant le mariage. 

Ces firmes, dont la liste figure en annexe, disent avoir besoin de son visa pour pouvoir accorder les mêmes faveurs à tous leurs salariés. Cette question prend un relief particulier, car seule une minorité d’Etats américains ont adopté le mariage gay.


Il en résulte dans les Etats conservateurs un problème de concurrence pour recruter des talents. Cette crainte pourrait se traduire selon les chefs d’entreprise par un manque de compétitivité. De plus, le traitement inégalitaire des employés risque de nuire au bon fonctionnement des équipes avec des salariés à deux vitesses.
A ce titre, la prise de parole sur ce sujet du patron de Goldman Sachs a créé le buzz, mais lui a fait perdre un client.
Lors de l’AG du groupe Starbucks le 20 mars dernier, le patron Howard Schultz a essuyé des critiques sur le soutien public de la chaine au mariage gay. Il a alors rappelé à un de ses actionnaires contestataires, qu’il avait entière liberté de céder ses titres, mais qu’il aurait du mal à trouver dans le reste de la cote un investissement aussi performant.
Accusé de participer au délitement de la société américaine, le roi du café (34,2 millions de fans sur Facebook, 390.000 fans en France, 3,6 millions d’abonnés sur Twitter) a même fait l’objet d’un appel au boycott (http://www.dumpstarbucks.com ) de la part de NOM (National Organization for Marriage, 31.300 amis sur Facebook).

Tant et si bien qu’en avril 2012, une contre-pétition a été organisée pour remercier Starbucks de sa prise de position. Cette campagne virale, qui a recueilli 650.000 signatures, a été organisée par MoveOn.org, Washington United for Marriage et SumOfUs.org.

A l’opposé, une poignée de firmes font du lobbying contre le mariage homosexuel, comme Papa John's Pizza et Chick-fil-A. Tant et si bien que certains leaders conservateurs s’affichent comme fans de ces restaurants.

Un article a même été publié pour savoir où, dans ce contexte, déjeunent les Congressmen, qu’ils soient Républicains et Démocrates !
Pour sa part, le fabricant de glaces Ben and  Jerry’s (6,8 millions de fans sur Facebook) a dédié à l’égalité des droits deux de ses produits, Hubby Hubby (anciennement Chubby Hubby) outre Atlantique et Apple-y Ever After (anciennement Oh My Apple Pie) en Grande-Bretagne. Comme je l’ai déjà mentionné dans un précédent post en janvier 2010.
 
En Grande-Bretagne, la filiale d’Unilever a collaboré avec l’association Stonewall, en lançant une application Facebook, invitant les fans à convaincre les Parlementaires qu’il était temps de passer à l’action. Sur Twitter, la campagne avait le hashtag #appleyeverafter.

De même, l’agence de presse Thomson Reuters a défendu le projet de loi en Grande-Bretagne sur son blog le 20 février dernier, soulignant au passage que plusieurs de ses gros clients étaient engagés dans la même voie.
Le silence des firmes américaines et des entreprises françaises sur le mariage pour tous dans l’hexagone reflète sans doute un manque de légitimité pour s’aventurer hors de leurs champs d’action traditionnels. Sans parler de la PMA et de la GPA aussi mises à l’index. On ne les attend pas sur un terrain aussi crispé.
A part quelques secteurs qui ont les coudées franches pour dépasser les clivages comme les médias ou la mode. Les firmes françaises communiquent plus aisément sur d’autres causes d’intérêt général comme le réchauffement climatique ou le commerce équitable.

Pourtant, en mars 2010, le blog français de Ben and Jerry’s avait bien mentionné un Un mariage (pas) comme les autres Le rédacteur du post indiquait même sa fierté de travailler pour une entreprise aussi progressiste, capable de prendre des positions non consensuelles, malgré des risques commerciaux évidents.

Autre signe des temps, de plus en plus d’entreprises se soumettent volontairement au verdict de Great Place to Work. Sur 59 questions fermées proposées aux salariés par l’Institut, plusieurs portent clairement sur les discriminations (préférences sexuelles, âge, genre, religion).
Plus spectaculairement, la charte d’engagement LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) a été signée pour la première fois en janvier dernier par les responsables de 9 grandes entreprises : Accenture France, Alcatel-Lucent France, ARS Ile-de-France, le groupe Casino, Eau de Paris, IBM France, le groupe Orange, Randstad France et Veolia Eau.
Enfin, les aspirations spécifiques des personnes homosexuelles en termes de style de vie commencent aussi à être intégrées sur le plan financier. Comme l’illustre l’interview de Sandrine Cauvin, co-gérante de Rainbow Fund chez Turbot AM. (cf. en annexe).
La gérante cite notamment une étude de l'Economics and Econometrics Research Institute, qui conclut que les sociétés cotées américaines, qui traitent le mieux leurs employés LGTB, bénéficient d’une meilleure valorisation boursière.
Les réflexions engagées pragmatiquement sur le lieu de travail sur l’égalité des droits dans les pays développés ont sans doute favorisé l’accélération du débat public sur le mariage. Il y a un télescopage manifeste entre différentes sphères, privé, public et travail, avec une convergence entre les employeurs et une partie de la société civile.
La différence avec les Etats-Unis tient au fait que de nombreuses entreprises américaines n’hésitent pas à croiser le fer avec certaines parties prenantes sur la scène publique, en s’associant même parfois avec des ONG. Et, qu’elles recourent non seulement au lobbying, mais également à toute la panoplie des réseaux sociaux. Elles ont visiblement besoin de faire sauter un verrou constitutionnel.
Les initiatives des firmes implantées en France pour les homosexuels se retrouvent non seulement en RH, mais aussi parfois dans les offres commerciales. Elles travaillent sur les stéréotypes et profitent d’un environnement plus consensuel et moins démonstratif pour faire évoluer les choses.
Sur ces bases, on peut se demander si ce ne sont pas non plus les entreprises associées à des ONG locales ou internationales qui vont à leur tour devenir le fer de lance de la lutte contre les discriminations au travail dans les pays émergents et le reste du monde.
 
 Pour aller plus loin :
 Sur la France :
Les entreprises n'ont pas attendu le « mariage pour tous » pour se poser la question « gay » en leur sein. Mais à des degrés différents.
Pierre Hurstel, conseil en entreprises.
11 mars 2013, Les Echos
 http://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/bien-etre-au-travail/l-entreprise-pour-tous-rencontrer-la-difference-et-la-valoriser-5364.php
Ces marques, stars, et médias qui surfent sur la vague du « mariage pour tous » http://marcbettinelli.blog.lemonde.fr/2013/02/13/ces-marques-stars-et-medias-qui-surfent-sur-la-vague-du-mariage-pour-tous/ 
Un fonds d'actions sur la thématique " homo " lancé par Turgot AM. 21 février 2013 http://votreargent.lexpress.fr/placements/un-fonds-d-actions-sur-la-thematique-homo-lance-par-turgot-am_292531.html
Glossaire Diversité / Discrimination (Charte de la Diversité) en entreprise
http://www.charte-diversite.com/charte-diversite-glossaire.php 
Sur les Etats-Unis :
278 employeurs à travers le pays ont demandé à l’US Supreme Court d’éliminer le Defense of Marriage Act, arguant que cet acte les contraint à ne pas pouvoir accorder certains avantages, comme les mutuelles, à leurs salariés gay qu’aux salariés hétérosexuels.
Dans ce lot d’entreprise, on retrouve des assureurs santé, des cabinets d’avocats, mais aussi
  • des champions de la nouvelle économie (Twitter, Facebook, Amazon, Microsoft, Apple, eBay, Google, Zynga), 
  • des banques (BNY Mellon, Morgan Stanley, Goldman Sachs), y compris européennes (Deutsche Bank, UBS) 
  • la grande consommation comme Mars Inc, Levi Strauss & Co, Nike, Starbucks, Walt Disney ou encore Stonyfield Farm 
Liste des employeurs américains engagés (friend-of-the-court brief) http://www.americanbenefitscouncil.org/documents2013/amicus_doma022713.pdf 
Same-sex Marriage: What's at Stake for Corporate America.
Published: March 27, 2013 in Knowledge@Wharton
http://knowledge.wharton.upenn.edu/article.cfm?articleid=3223
Il existe aux Etats-Unis un Human Rights Campaign’s Corporate Equality Index. Les firmes s’affichent nettement.
http://www.hrc.org/corporate-equality-index#.UWa_O7UqzsE
Chris Hughes, co-founder of Facebook
and now editor and publisher of The New Republic, wrote an open letter to the North Carolina General Assembly in September as it was considering whether to put the amendment on the ballot. In the letter, Hughes, who was born in North Carolina and is gay, argues that the amendment will be bad for business. Hughes helped drive Facebook “likes” for EqualityNC, the gay rights organization that is leading the campaign against the North Carolina amendment, up from 6,000 to 40,000 in a matter of weeks by pledging to donate a dollar for each “like.” 
http://bangordailynews.com/2012/03/22/politics/business-playing-key-role-in-drive-for-gay-marriage/

Unilever: promoting diversity 
La firme est engagée dans plusieurs programmes en faveur de la diversité, dont PRIDE : People Respecting Individuality, Diversity and Equality. PRIDE is a Lesbian, Gay, Bisexual and Transsexual (LGBT) diversity network open to all Unilever employees who share a common goal of endorsing respect and diversity. It seeks to create an open workplace environment for the LGBT community, and helps develop its members by providing both business and social interaction to further personal growth.
http://www.unilever.com/sustainable-living/ourpeople/diversity/