Depuis juin 2012, l'AFP rassemble dans son application "e-diplomacy" l'ensemble des principaux comptes Twitter (et des tweets) présents sur la toile. Plus de 650 comptes sont ainsi visibles simultanément. Chef d'Etat, experts, hackers, opposants... ils sont classés en fonction de leur "influence e-diplomatique". L'application permet aussi de suivre les conflits sur Twitter, d'observer les relations online entre deux pays, d'envoyer un tweet à un acteur diplomatique ou encore de consulter les hashtags les plus utilisés.
Un outil qui peut s'avérer utile pour comprendre une partie de la diplomatie mondiale. Et qui peut représenter, aussi, une source d'information pour les journalistes. Mais ces derniers ne sont pas les premiers utilisateurs ; e-diplomacy sert davantage à ceux qui sont ses propres acteurs : les diplomates et les gouvernements. Le succès de l'application est visiblement au rendez-vous, puisqu'une nouvelle version est prévue dans les prochains mois.
Interview de l'un des deux fondateurs, Marlowe Hood, journaliste à l'AFP depuis 17 ans et éditeur du blog Géopolitique.
Quelle était l'idée de départ de E-diplomacy ?
L'année dernière, l'AFP a créé quatre blogs, dont un sur la géopolitique ; c'était une première. On m'a demandé d'en devenir l'éditeur et de les développer en français et en anglais. Ayant déjà développé des applications web, je voulais mettre en place quelque chose qui utiliserait le journalisme de données. Je connaissais Joan Tilouine, qui est un journaliste spécialisé dans la diplomatie numérique (focalisé surtout sur l'intersection entre politique et technologie). Ensemble, on s'est demandé ce qu'on pouvait imaginer pour montrer comment les réseaux sociaux étaient utilisés dans le domaine de la diplomatie. Rapidement, on s'est aperçu que c'était très difficile techniquement de travailler avec Facebook, mais que Twitter était plus facile à utiliser. J'ai alors demandé un petit budget à l'AFP [15.000€] ; et avec un développeur et un infographiste, on a créé cette application à quatre. Il nous a fallu cinq mois de travail. L'application e-diplomacy est en ligne, via le blog géopolitique, depuis le 21 juin 2012.
Comment s'est opérée la sélection des "twittos" ?
Nous voulions réaliser une sorte de 'Who's who?'. Et nous avons établi des critères de sélection, à partir de chiffres, mais aussi de nos jugements et compétences journalistiques. Il y a donc un côté subjectif et un côté objectif dans ce choix. Parmi les critères, il y a bien évidemment le nombre de followers, mais aussi les réponses, les retweets, les mentions… Nous observons aussi la qualité des tweets : si la personne dit des choses pertinentes et non pas ce qu'elle a vu comme film hier soir. À l'inverse, il y a aussi des gens qui ne disent pas des choses intéressantes, mais qui sont incontournables, par exemple un chef d'État. Mais on peut également choisir un chercheur qui utilise Twitter de façon très efficace mais qui n'a qu'une poignée de followers.
En parallèle, nous nous sommes beaucoup appuyés sur le réseau AFP parce que ce projet était très ambitieux : il était mondial. J'ai donc envoyé un mail aux 192 bureaux de l'AFP dans le monde en leur demandant de nous faire suivre leur liste des principaux comptes Twitter dans leur pays. C'était une espèce de crowdsourcing en interne. Mais le retour a été très inégal : certains bureaux ont bien compris et bien fait le travail, d'autres non.
Les tweets sont-ils filtrés ?
Non. Le seul filtre qui existe, c'est au niveau de la sélection des comptes.
"E-diplomacy est parfois déséquilibré, mais c'est le reflet fidèle d'un déséquilibre qui existe sur Twitter."
E-diplomacy rassemble 151 pays alors que l'ONU compte 195 membres. Quels sont ces pays qui ne sont pas couverts par votre application ? Et pourquoi ?
Il y a un certain nombre de pays africains. En fait, c'est parce qu'ils n'utilisent pas Twitter. S'il n'y a pas de matière, ils ne sont pas inclus. Il faut rappeler que le but n'est pas de faire un miroir de la diplomatie tout court, mais d'ouvrir la fenêtre sur la diplomatie numérique. Donc, si un pays n'est pas actif sur la toile, il n'est pas présent dans l'application.
Par exemple, la Chine a ses propres réseaux sociaux (comme Weibo ) et le gouvernement n'a pas de compte officiel. Mais nous avons quand même beaucoup de comptes d'experts, d'activistes, de dissidents… Alors, on peut dire que c'est déséquilibré, c'est vrai, mais en même temps, c'est le reflet fidèle du déséquilibre qui existe sur Twitter.
Vous classez notamment les pays en fonction de leur influence e-diplomatique. Est-ce que cette influence peut avoir une conséquence sur les relations physiques et réelles entre deux États ?
Oui, clairement. C'était, quelque part, notre supposition de départ. Je pense forcément aux pays qui travaillent le plus dans ce domaine, notamment les États-Unis : ils y mettent de gros moyens, avec des centaines de gens, juste dans le département d'État, qui travaillent sur la stratégie numérique.
J'avoue que je ne m'y attendais pas au début : là où notre intention, au départ, était de créer un "jouet de haut de gamme" pour un grand public "éclairé", nous nous sommes aperçus que, quelques semaines après le lancement, l'utilisateur numéro 1 de notre site était le département d'État. Ça m'a surpris parce que je pensais qu'ils avaient des outils beaucoup plus puissants, mais non. Les diplomates perçoivent cette application comme un véritable outil de travail parce qu'on organise un flux qui, pour eux, était globalement opaque.
Sur une carte, vous reproduisez aussi les conflits asymétriques qui sont présents sur Twitter. Qu'est-ce que cela apporte à l'internaute de suivre un conflit réel à travers des tweets ?
Il ne faut jamais penser que ça suffit. Ce n'est toujours qu'un complément, qu'un élément du conflit. Nous ne prétendons pas donner une vue globale d'un conflit. Mais, parfois, des informations passent uniquement ou en premier sur Twitter, et nulle part ailleurs. Elles peuvent alors avoir de l'influence sur la situation. Je pense notamment au conflit à Gaza il y a quelques mois. En dehors des États-Unis, le gouvernement qui est le plus en pointe et le plus agressif dans son utilisation des réseaux sociaux, c'est Israël. Là, il y avait des échanges, des dialogues entre les journalistes et les forces militaires israéliennes. Ils parlaient des attaques de roquettes, qui étaient revendiquées, pour la première fois, par Israël, sur Twitter. L'une a d'ailleurs touché l'immeuble où se trouvait notre bureau. Notre correspondant est sorti et a alors commencé à twitter. L'armée israélienne a vu ses tweets et a répondu pour confirmer, etc. C'était juste un exemple pour montrer que, parfois, l'information arrive par Twitter.
Que va devenir l'application ?
On est en train de tout refaire. La nouvelle version est prévue pour mi-avril. Nous allons refaire les algorithmes, rajouter de nouveaux éléments : il y aura de nouveaux écrans, comme "Qui suit qui ?". Et nous allons montrer comment on crée des liens dans cet écosystème entre les différents groupes de gens et les individus : par exemple, telle personne a plus de contacts Twitter avec des experts, des diplomates ou des activistes. En quelque sorte, c'est montrer qui est en contact avec qui et avec quels groupes de personnes. Nous allons aussi rajouter de nouvelles statistiques : quels sont les tweets les plus cités ou retwittés… Pour être honnête, avec 15.000€ au départ, on n'a pas pu aller aussi loin qu'on le voulait ; c'était juste pour être présent sur la toile. Et les résultats ont été assez encourageants pour continuer.
D'ailleurs, nous cherchons à transposer le concept d'e-diplomacy dans d'autres domaines, comme le foot.