Hemcel.fr : Francis Guthleben, bonjour, merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions concernant votre ouvrage « Enceint ! Journal d'un futur père », qui je dois le dire, m’a bouleversée et amenée à m’interroger davantage sur la condition masculine en général et lors de la grossesse en particulier.
Quelle était le sens et le but premiers de votre journal intime adressé au bébé ?
Francis Guthleben : On écrit lorsque quelque chose ne va pas. Je suis père trois fois. A la troisième grossesse, j’ai été troublé, perturbé, chamboulé, par moment même déprimé et je me suis décidé à explorer cet état. J’ai commencé par prendre des notes pour ensuite relire, analyser, recomposer le puzzle. Les choses ont un sens lorsqu’on donne un sens aux choses.
Comme je l’explique dans le livre, l’enfant à venir, dans le ventre de sa mère, est déjà une éponge de l’histoire familiale de l’homme, de la femme. Il perçoit les bouleversements, les mal-êtres, les joies, les peines. A l’instant de la conception l’homme devient père et à partir de cet instant ses responsabilités et devoirs sont grands. Il y a donc eu pour moi une nécessité de réexplorer ma propre histoire pour tenter d’éviter de charger l’enfant de mes fardeaux trop lourds à porter.
Hemcel.fr : A quel moment pourrait-on parler d’un certain basculement dans le processus doublement créateur ? Car au fil des écrits, il semble que le petit, d’abord « simple destinataire » devient progressivement votre confident jusqu’à votre accoucheur ? Car à l’issue du livre, il y a bien trois personnes qui naissent au monde.
Francis Guthleben : Le basculement est arrivé très vite. Après la joie de la conception dans ce sublime moment de partage que je me suis efforcé de raconter de la manière la plus intime et la plus sensuelle, il y eu dans les heures suivantes le jaillissement de questionnements existentiels. Avec ce constat terrible : à l’instant de l’union charnelle où la vie prend son élan, l’enfant à venir est projeté vers sa fin inéluctable. Je ne me suis jamais consolé de cela : on donne la vie et on donne la mort.
Ensuite j’ai été entrainé vers mon passé. On sait que la grossesse met la femme dans un état de transparence psychique. J’ai vécu cela aussi. Et je crois que tous les hommes connaissent ce passage. Généralement pourtant ils n’en parlent pas, n’osent pas en parler, ou n’ont pas d’espace pour en parler. Et si je me raconte sur 336 pages, c’est moins pour parler de moi que pour donner la parole à tous les hommes, les encourager à se dire, à se confier.
(c) Maud Génin
Ainsi la grossesse est un triple accouchement: un enfant nait. La femme et l’homme renaissent.
Hemcel.fr : Comment expliquez-vous que vous soyez passé au travers de ces bouleversements lors des grossesses de vos deux premiers enfants ?
Francis Guthleben : Je n’avais que 25 ans à la naissance de ma fille. J’ai été pris par le bouleversement de la vie à deux qui devenait une vie à trois. Entre l’organisationnel et l’émotionnel de mon amour éperdu pour ma fille, il n’y a pas eu la place pour l’analyse, la réflexion. Le livre contient d’ailleurs un propos social et une revendication à ce sujet. A l’école, au collège, au lycée on apprend l’histoire, la géographie, la littérature, les mathématiques, mais on apprend rien sur le fondement même de notre passage sur terre à savoir la procréation. Lorsque l’enfant paraît bien souvent on ne fait que suivre les sillons de l’enseignement familial. Des sillons rarement clairs et dans lesquels il n’est pas rare de s’embourber.
Hemcel.fr : Depuis la publication du livre, quelles ont été les réactions des femmes et des hommes ? Cela révèle-t-il une vraie carence d’attention envers la «gestation paternelle » inhérente à la grossesse des femmes ?
Francis Guthleben Les principales réactions depuis la parution du livre viennent de femmes. Je ne suis pas surpris. Elles sont heureuses d’apprendre ce qui se passe dans la tête et le corps d’un homme pendant la grossesse. Elles ont envie de partager, d’échanger, d’en savoir plus encore. Evidemment cela m’apporte beaucoup de bonheur. Les hommes qui m’écrivent sont ceux qui laissent libre court à leur sensibilité, à leur part de féminité. Vous savez, ce livre est un éloge de la communication au sein des couples. Chaque femme est un peu homme. Chaque homme est un peu femme. Si cela est partagé, discuté, accueilli par les uns et les autres, une plus grande harmonie peut se dessiner et la grossesse ne sera plus une « affaire de femmes » mais une affaire des couples.
Hemcel.fr : Comment selon vous, concrètement, pourrait-on améliorer les choses ?
Francis Guthleben : Si aujourd’hui les hommes sont admis dans les séances de préparation à l’accouchement, s’ils entrent dans les salles de naissance, s’ils bénéficient de congés de paternités, cela me semble encore largement insuffisant. Sur 600 maternités en France, une cinquantaine seulement proposent des groupes de paroles pour les hommes. Les psychologues et psychiatres sont rares aussi dans les services de gynécologie. Mieux accompagner les parents, de manière institutionnalisée, est pour moi une nécessité sociale et un pari sur l’avenir. Avant l’âge de 3 ans, 25 % des enfants vivent avec un seul des parents. Les germes de se triste constat se trouvent déjà à mon avis dans la période de grossesse où le bouleversement psychologique pour l’homme et la femme n’est pas pris assez en considération. Ces neuf mois qui devraient être solidaires sont malheureusement souvent solitaires. Changeons cela. J’en appelle à Dominique Bertinotti, Ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Je lui ai envoyé le livre et je souhaite la rencontrer.
Hemcel.fr : Les femmes n’y sont-elles pas pour quelque chose dans le peu de place qu’à encore l’homme pendant la grossesse ?
Francis Guthleben : Dans mon livre, la femme fait de la place à l’homme. Elle l’accueille, l’écoute, le reçoit. Elle l’aider à accoucher de ses blessures d’enfants, de ses traumatismes sexuels, de sa situation de gamin maltraité. Ensuite, elle est ouverte à tous les partages pendant les 9 mois et cela dès le test de grossesse. Puis il y a tous les rendez-vous médicaux classiques, mais aussi de l’haptonomie. Cette technique de bercement du bébé dans le ventre maternel mériterait d’être davantage encouragée et valorisée car elle permet d’intégrer l’homme dans le processus de grossesse et lui donne la possibilité de communiquer avec le bébé. A la fin du livre, l’homme est sur la table d’accouchement, les pieds dans les étriers, avec sa femme couchée sur lui pour une mise au mode à quatre mains. Cette scène a déjà fait sursauter quelques-uns, en particulier des hommes. Pour ma part, c’est la suite logique d’un chemin de partage. L’enfant se conçoit à deux, pourquoi ne serait-il pas accueilli à deux. Pleinement.
Hemcel.fr : Depuis la venue au monde de votre petit d’homme, comment gérez-vous cette entrée dans un nouveau quotidien à trois ? Votre bien-aimée ou vous-même, avez-vous subi les assauts du baby-blues ?
Francis Guthleben : L’arrivée d’un nouveau venu est toujours un bouleversement, pour tous les couples. Et cela ne peut pas être autrement. Au-delà de la joie, il y a les contraintes, la réorganisation pratique et matérielle, mais aussi des conflits d’intérêts qui bien souvent ne se disent pas. La focalisation extrême sur le bébé. La femme qui devient mère. La perte d’une part de sa liberté. La projection dans une nouvelle génération plus proche de la mort.
Après chaque naissance, je pense avoir traversé, de manière plus ou moins forte, et parfois sans en avoir réellement conscience, des périodes de baby-blues. Dans le livre j’écris, en référence à mon histoire personnelle et familiale : « Je suis né de la souillure et de la salissure ». Cette phrase est terrible. Elle m’est apparue pendant l’écriture d’Enceint. Cette émotion a sans doute effleurée à chaque naissance de mes enfants, mais elle n’est venue à la lumière que maintenant. L’arrivée d’un enfant c’est aussi cela : naitre et renaitre à soi. Et on le sait bien, chaque naissance porte sa part de souffrance. Il faut se frayer un passage, découvrir un nouveau monde, inconnu.
Après la mise au jour de mes souffrances enfuies, par la grâce d’une femme et d’une grossesse, je suis peut-être davantage prêt pour une nouvelle grossesse (sourire).
Hemcel.fr : Après avoir été enceint pour la première fois, êtes-vous aussi devenu un autre père, pour la première fois ou à l’inverse, votre « prime-paternité » vous sert-elle de guidance ?
Francis Guthleben Dans le livre, en racontant la venue du Petit Nous, j’écris que je suis un papa puceau. Alors qu’il s’agit d’une troisième expérience de paternité, j’ai le sentiment de tout découvrir, redécouvrir, de ne rien savoir. C’est à la fois une satisfaction et la source d’un trouble.
Satisfaction parce que très modestement je dis que je suis un homme en marche pour chaque jour aller un peu plus vers ma propre connaissance. En en apprenant un peu plus sur moi, chaque chose apparaît sous un jour nouveau.
Cet état de papa puceau est aussi source de trouble parce que l’interrogation est permanente pour tenter d’être juste dans ce rôle et cette fonction de père. Juste avec moi, juste avec les autres, juste avec ceux que j’aime, juste avec mes enfants.
Hemcel.fr : Y-aura-t-il une suite à « Enceint ! » ? Surtout si le journal se poursuit encore depuis la naissance ?
Francis Guthleben : L’autre jour dans une émission de radio on m’a présenté comme l’homme aux multiples vies. Effectivement, j’ai eu plusieurs vies professionnelles : journaliste, rédacteur en chef, réalisateur, producteur, directeur des programmes à France Télévisions, directeur de sites d’information sur le web. Mais je considère que le plus difficile est bien d’être père.
Chaque matin je réinvente ce que j’ai construit la veille. Et pour chacun de mes trois enfants, le chemin à tracer est différent. Alors effectivement je songe à une suite sur cette notion de père. Il y a quelques années, lorsque mon premier fils est entré dans l’adolescence, j’avais songé à écrire un livre d’entretiens avec lui. Je le surnommais alors Little Bouddha. Aujourd’hui il vit à New York. Il est à la tête d’une start-up et nous sommes toujours aussi proches dans nos interrogations sur le sens de la vie. Parfois nous sommes frères, copains de fêtes. Parfois je suis son père. Parfois c’est lui le père. Cela pourrait s’appeler : Où est le père ?
(c) Maud Jénin
Hemcel.fr : Pour finir, accepteriez-vous de nous révéler le prénom du « Petit Nous » ?
Francis Guthleben : Je sais que beaucoup de lectrices et de lecteurs retrouvent une part de leur vie, de leurs interrogations, de leurs peines et de leurs joies dans le livre. Certains m’ont même dit que je racontais leur histoire. Alors restons avec le Petit Nous.
Souvenez –vous que ce que j’écris au début du livre : « Je devais être une fille, je suis un garçon. J’ai été castré par ma mère à la naissance. Parce que j’avais les cheveux longs, il m’a conduit chez le coiffeur comme à la boucherie ».
Alors gardons un peu de mystère et de magie pour le Petit Nous et laissons-le en petit ange. J’aime les anges. Il y en a un posé sur ma table de chevet, comme le miroir et le guide de ce livre.
Hemcel.fr : Alors gardons le mystère et le secret des anges… Francis Guthleben merci infiniment et belle vie à vous !
Relire l'article sur "Enceint ! Journal d'un futur père" aux Editions Gawsewitch.
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