Magazine Cinéma
C’est le premier jour de l’été. La fête de la musique. La journée parfaite pour tomber amoureuse, fantasmer amour et avenir dans les bras d’un inconnu, fuir quelques heures un réel étouffant, et, errer, pour rien, dans les rues de Paris. Jérôme Bonnell, dans son cinquième long métrage, suit Alix (Emmanuelle Devos, l’une des meilleures actrices de sa génération) à la trace. Déroulant le fil d’un 21 juin qui semble filmé en temps réel, il esquisse, avec grâce, délicatesse et cruauté, le portrait d’une femme moderne en crise, en doute, tiraillée entre idéalisation du réel et obligation de grandir. Elle est actrice, pas un hasard. Habituée à arborer des masques et à feinter des émotions, elle se retrouve à nu pour un jour : privée de son téléphone portable, de carte bancaire, elle est comme abandonnée à l’existence pure, aux minutes qui s’égrènent, à l’éventail des possibles, qui se présente, lorsque l’on accepte de se défaire de ses chaînes. C’est ainsi, ce jour charnière, qu’elle croise le regard du britannique Douglas (Gabriel Byrne), dans un train Calais-Paris. Immédiatement, un coup de foudre. Plus tard, une chambre d’hôtel. Des promenades d’amoureux dans une capitale en fête. Des heures de questionnements rythmées aux appels téléphoniques, toujours sans réponse, lancés à son compagnon actuel. Un 24 heures dans la vie d’une femme qui capte au vol toute une vie : Bonnell y dessine son passé, ses aspirations, vacillations, hésitations. Partir ? Plonger toute entière dans les fulgurances de la passion amoureuse ? Ou assumer le rôle que lui a octroyé le Destin ? C’est un 21 juin romanesque qu’offre Bonnell, celui d’une héroïne qui flotte, paumée, à la croisée des chemins, à la fois terriblement ancrée dans la réalité (le métro, le boulot, les emmerdes, les passants, les serveurs antipathiques des cafés parisiens) et projetée en plein cœur d’une bulle sentimentalo-utopique.
Tout quitter pour s’enfuir loin du bruit, de soi-même, de ses repères ? Alix se pose la question, en boucle. Le temps est suspendu, c’est celui de « l’aventure », dit le titre, celui de « l’instant », dit la caméra. C’est aussi, quelque part, le refus d’avancer, de devenir l’adulte, la mère, l’épouse. Alix a 43 ans mais agit comme une adolescente, accepte de croire, l’espace de quelques heures, aux contes de fées. Dopé par des piqûres burlesques, Le temps de l’aventure offre du tragi-comique. Une femme déphasée, qui préfère la fiction au réel, trop morne, répétitif, sans surprise. « Cette vie est longue », déplorera-t-elle sur un quai de gare, avant d’être rappelée à la vraie vie par une sonnerie de téléphone. Bonnell fouille le personnage, tout du long, effectue une étude de caractère éminemment subtile, illuminée par la justesse de jeu de Devos. Deux plans séquences incroyables de six minutes chaque viennent la scruter au fond des yeux : une dispute avec sa sœur, un casting foireux. Il y a, dans ces étirements temporels, toute une vie. Des choix, des constats. De la drôlerie, de la tristesse. Le cinéaste mise tout sur l’atmosphère, les flottements, des plans pris sur le vif, une mèche de cheveux, un rideau qui ondule, une respiration masculine. C’est un film qui exprime l’existence par des non dits, des sensations, des silences. Effectuée avec élégance et finesse, la parenthèse est un instantané de cinéma surprenant et authentique, qui réussit un tour de force plutôt rare dans les films français : l’étreinte parfaite entre l’intellect et la perception, le concret et le songe.