Le fait divers a fait la Une de tous les journaux, il y a quatre ans : Toni Musulin, un convoyeur de fonds sans histoire accomplit le casse du siècle en volant les 11,6 millions d’euros-titre. Philippe Godeau, qui retrouve ici François Cluzet après Le Dernier pour la route (où ce dernier campait un alcoolique en rédemption), débute son récit le jour où Musulin se dénonce à la police- avant de retracer, lentement, le fil de l’histoire. Qu’est-ce qui pousse un homme ordinaire à péter un plomb ? Quels détails (de taille) font basculer un employé modèle d’une vie banale au grand banditisme ? Ces questions hantent la (trop) longue partie d’exposition du film où Godeau reconstitue minutieusement le quotidien et la vie du convoyeur de fonds. On y perçoit les rapports avec sa compagne de l’époque (excellente Corinne Masiero), ses collègues (Bouli Lanners, touchant), ses patrons. Cluzet, (sous pression dans un rôle proche de l'imposteur d'A l’origine de Giannoli), dit tout avec le corps, les yeux, dans un registre mutique et intériorisé à l’extrême qui sied parfaitement au personnage. Car Musulin est avant tout un type mystérieux, donc un parfait héros de cinéma. La bonne nouvelle, c’est que Godeau n’essaie jamais de percer ses arcanes. Au contraire, il joue de ses zones d’ombre pour détourner les codes classiques du film de hold-up. Moins de sensationnalisme, davantage de fouille psychologique. Par petites touches et esquisses, il pose des questions, s’essaie à comprendre, mais n’en conclut jamais rien. Où sont passés les 2,5 millions manquants au butin ? Que ressentait l’homme ? Frustration ? Colère ? Godeau se contente des faits, respectant une rigueur journalistique chipé au bouquin Toni 11.6 – Histoire du convoyeur d’Alice Géraud-Arfi, journaliste qui a pu interroger Musulin durant son séjour en prison. Il y dit son goût du luxe, il y dessine une critique sociale, sans en faire trop. Musulin, ses mobiles, ses raisons, resteront jusqu’au bout une énigme.
La reconstitution des faits constitue donc, en soi, une réussite. Mais, elle possède également ses limites. Car si Godeau, via la belle prestation toute en retenue de Cluzet, parvient plutôt bien à faire de Musulin, un Tony Montana contemporain, vendeur de rêves en pleine crise économique, 11.6 manque grandement d’allure dans la forme. A vouloir à tout prix éviter de verser dans le film d’action à l’américaine (ou pire : le film français qui se la joue à l’américaine), Godeau ne laisse jamais l’occasion à son second long-métrage de respirer, de vivre, d’errer au sein d’une atmosphère. 11.6, tout du long, ne semble jamais lâcher prise, enfermé, renfermé, à l’instar même de l’anti-héros qu’il met en scène. Rien ne vient percer la coquille un peu vide dont Godeau enrobe alors son film : ni émotions, ni folies cinématographiques, ni palpitations cardiaques. Bien que plutôt audacieuse dans un genre qui manie parfois maladroitement l’esbroufe, la cérébralisation formelle, conduite par le cinéaste, finit alors par lasser, un peu trop poussive, sans enjeux majeurs. Dans cette grisaille générale, même ses maigres tentatives pour venir dynamiser l’ensemble (comme jouer un morceau de James Blake sur une virée en Ferrari) tombent complètement à plat. En bout de ligne, 11.6 ne se révèle ni assez nerveux pour s’affirmer en docu-fiction couillu et captivant, ni suffisamment riche en effets de style pertinents pour en faire du bon cinéma. D’où l’impression finale mitigée d’un film un peu terne, qui ne se justifie pas, qui existe pour pas grand-chose.