Made in Douala – Part 1. Ceux qui font bouger les lignes.

Publié le 11 avril 2013 par Maybachcarter

Dans mon précédent post, je voulais parler un peu des appréhensions que j’avais sur le déplacement effectué à Douala avec C. Pendant que nous discutions des différents rendez-vous qu’on avait à honorer, je m’aperçois qu’il y a un jeune homme plutôt avenant avec un t-shirt bleu qui fait des allers et retours dans les couloirs de l’avion. Quand je finis par déchiffrer ce qu’il y a d’écrit sur le dos de son t-shirt (je suis une myope sans lunettes), ça fait tilt dans ma tête.

Depuis “Paris à tout prix”, film réalisé par Joséphine Ndagnou, je n’avais pas vu autant de buzz autour d’un film camerounais tel que cela a été le cas pour “Le Blanc d’Eyenga”. Il faut dire que le Cameroun n’a plus de salles de cinémas depuis quelques années maintenant, alors vous imaginez bien que le marché est plus que saturé par des DVD piratés de films hollywoodiens. Pourtant, en décembre dernier, ma petite soeur (qui est plutôt du genre “branchée” à l’Occidentale) me parle d’un film “local” qu’elle a été voir au Centre Culturel Français de Yaoundé (un des derniers endroits à diffuser du cinéma) et qui fait beaucoup parler de lui.  Comme son nom l’indique, “Le Blanc d’Eyenga” raconte l’histoire si familière d’une camerounaise à la recherche d’un époux blanc pour fuir la misère.

Le thème a été l’objet d’une multitude de reportages télé qui ont parfois bien terni la réputation (déjà pas très positive) des femmes camerounaises à l’étranger. Du coup, j’ai tôt fait de lever les yeux au ciel pendant que ma soeur m’en parlait.

Ceci dit, elle a vite précisé, devant mon agacement, que le film était “vraiment très drôle et bien fait”. Venant de quelqu’un d’aussi critique que moi (c’est de famille lol), j’ai décidé de faire en sorte de voir ce long-métrage. Puis, plusieurs semaines plus tard, j’ai vu des gens parler du long-métrage sur Facebook et Twitter, toujours dans des termes plutôt élogieux. Décidément. En voyant donc ce jeune homme se promener avec un t-shirt et des pochettes de CD au nom du film, j’ai décidé de l’interpeller pendant le vol… Il s’agissait de Thierry Roland Ntamack, réalisateur et un des acteurs principaux du film.

Comment vous dire ? C’est un personnage, au sens propre comme figuré. Le sourire facile, l’oeil malicieux et la réplique qui coupe sec. “Ma chérie, on dit quoi non ?” Voilà comment a démarré notre discussion, qui a duré une demie-heure ou plus et on a évoqué des tas de choses, de l’industrie du cinéma au Cameroun à l’absence de cohérence du Ministère de la Culture en passant par la question du financement. Mais bien évidemment, ce qui m’intéressait surtout, c’était de savoir comment il avait su générer autant de bouche-à-oreille positif autour de son film et quelle était sa politique de distribution dans un pays sans salles obscures. Pendant que je l’écoute me parler de son parcours en France et au Canada, je réalise qu’il est celui qui avait monté l’opération “1 film au prix d’une bière”, dont j’avais entendu parler auparavant. Du coup, tout se recoupe. Je ne vais bien sûr pas dévoiler tout ce qui a été dit mais en gros, il a eu l’intelligence d’apporter une solution locale à un problème local. Notamment, en essayant de créer son propre circuit de distribution en travaillant avec les “pirates” (ce qui est une bonne chose car, comme il me l’a expliqué, essayer de contourner la piraterie est peine perdue quand on a peu de moyens). Il ira même plus loin en me démontrant comment les réseaux de pirateries, si bien maniés, peuvent être un appui de  diffusion et de logistique sans précédent. Tout fier du prix qu’il a remporté au FESPACO en février 2013 (le plus important festival de cinéma d’Afrique), il m’a aussi fait savoir que “Le Blanc d’Eyenga 2” serait en tournage dès cet été, et qu’un gala de levée de fonds pour financer le film est prévu, en partenariat avec la 2ème chaîne du pays, Canal2. Nous n’avons pas pu prolonger la conversation car d’autres passagers le sollicitaient, mais j’ai bien sûr acheté le DVD du film, que je compte regarder après rédaction de ce post. Ce que j’ai retenu de ses propos et de sa personnalité, c’est que c’est une personne qui a une véritable éthique de travail, et une double casquette d’artiste et de marketeur. Au four et au moulin, il doit aussi bien réaliser que vendre ce qu’il réalise. Et malgré les embûches et l’incompréhension de certains de ses compatriotes, il semble tout prendre avec détachement et pragmatisme (qu’il déguise en humour). J’espère que des institutions ou mécènes le soutiendront dans sa démarche parce qu’il est (lentement mais sûrement) en train de faire bouger les lignes dans le cinéma dit “populaire” au Cameroun.

Après cette première rencontre, nous arrivons à Douala plutôt détendues et avec le sourire. Dès le lendemain, avant d’attaquer notre premier tour de la ville dans le cadre de notre étude, on a été visiter un immeuble à Akwa (centre-ville de Douala). Il s’agit des bureaux d’APPSTECH, une société américaine basée à Washington spécialisée dans les services informatiques aux entreprises, fondée par la camerounaise Rebecca Enonchong.

Pendant que l’on nous fait visiter les lieux, on nous explique qu’une partie des bureaux est dédié à un espace de co-working. En gros, vous pouvez louer un bureau pour travailler et profiter des avantages tels que l’internet, le téléphone ou autre. C’est plutôt pratique quand on est un auto-entrepreneur, ou que l’on a besoin d’un cadre très professionnel pour une mission ponctuelle ou un rendez-vous. Quelques étages sont en cours de rénovation et promettent d’accueillir des entrepreneurs de tous domaines très bientôt, ainsi qu’un incubateur pour start-ups. Qui nous dit tout cela au fait ? Eric Niat, jeune homme à la stature imposante. Je le prenais pour un employé de l’entreprise… jusqu’à ce que j’apprenne qu’il est en fait, le président d’AppsTech Cameroun. Oups, pardon !

Eric Niat.

Le lendemain, nous voilà à la conférence “9 ideas” au siège du GICAM (une sorte d’équivalent camerounais du MEDEF), située dans la bien-nommée “Vallée des Ministres”. Journalistes et entrepreneurs sont là dans l’amphithéâtre. C’est Rebecca Enonchong qui donne le coup d’envoi, avec une keynote qui me parlera particulièrement et pour cause… Serge O., un “grand frère”, a dénommé le Cameroun le “Sommeillistan“, soit un pays en sommeil et où le statut-quo est religion d’état en somme. Pour ma part, à mon retour du pays en 2012, j’avais choisi d’appeler le Cameroun “L’Absurdie“, soit le pays où l’on gouverne/vit/réfléchit par l’absurde et où la normalité n’a de sens que lorsqu’elle n’existe pas. Pour schématiser, ce que tout être humain trouvera dangereux, l’habitant moyen de l’Absurdie trouvera ça “normal”… en oubliant qu’il s’agit en fait d’une chose anormale au départ à laquelle il a fini par s’habituer. C’était un peu le sujet du discours de Mme Echonong.

No, it’s not normal!”. Elle a insisté sur le fait qu’il faille arrêter de dire “(Le Cameroun) C’est le Cameroun” face à des situations révoltantes, et que c’est là entre autres, que réside une des clés du changement.

Par la suite, un autre entrepreneur camerounais, Fritz Ekwoge (qui a quitté son poste de consultant bien payé pour créer sa start-up dans la ville de Buéa) a lancé un vif débat sur le sujet “Produire pour l’Afrique ou en Afrique (pour le monde) ?“. Je note d’ailleurs que, contrairement à l’an dernier, il y a avait beaucoup plus de participants venant de la partie anglophone du Cameroun et c’est une bonne chose. La ligne de démarcation entre francophone et anglophone (rappelons que le Cameroun est officiellement bilingue français et anglais) semble s’estomper dans le milieu de la culture (musique) et des nouvelles technologies, et je suis pour que ça continue. Pour en revenir à la conférence, je n’ai pas pu rester jusqu’au bout, mais à la pause, j’ai pu discuter avec quelques personnes. Par exemple, le jeune M. Il m’avait approché après ma prise de parole à la conférence l’an dernier et j’avais déjà senti qu’il était très intéressé par l’entrepreneuriat. Cette fois-ci, ce jeune cadre chez Orange Cameroun m’informe qu’il compte quitter son job pour monter sa propre boîte. Il a apparemment repéré une niche très porteuse dans le secteur des Télécoms et se préparer tranquillement avant le grand saut. Je l’ai félicité et lui ai donné le maximum de conseils tirés de ma propre expérience, histoire de. J’ai pu aussi bavarder rapidement avec les garçons qui ont monté la start-up DJOSS TV.

Si vous ne connaissez pas DJOSS TV, il s’agit d’un programme “qui permet aux téléspectateurs qui regardent la même émission TV de discuter en temps réel via Web ou SMS, tout en découvrant des informations complémentaires au programme diffusé par la chaîne TV. D’un autre coté, djoss.tv permet à ces chaînes TV d’engager leur audience avant, pendant et après les émissions, d’obtenir un feedback, des statistiques en temps réel de leur audience ainsi que leur position par rapport à la concurrence.”. J’avais déjà croisé quelques membres de l’équipe à l’édition 2012 de “9 ideas”, mais depuis ils ont fait du chemin, en remportant des prix et en pénétrant déjà le marché kenyan ! Bravo !

Trois jours plus tard, un ami nous emmène boire un verre en fin de soirée dans un lounge plutôt branché, le “Bombay Blues“. Ambiance feutrée, sélection musicale sympa, le bar est situé au-dessus d’un restaurant indien dans le quartier huppé de Bonapriso. La plupart des clients a l’air d’être constituée d’habitués et on est très vite installé.

Alors qu’une serveuse prend la commande, je remarque un jeune homme qui cause avec tout le monde et semble plutôt bien connaître ceux qui nous accompagnent. Jusque-là, je pensais que c’était un serveur qui faisait un peu de zèle, jusqu’à ce que je l’entende donner des ordres aux serveuses. Je l’interromps pendant qu’il discute pour lui demander s’il travaille là..ce à quoi il répond en riant: “Oui, je suis le responsable des toilettes !“. Hilarité générale. En fait, ce jeune homme de 20 ans est le propriétaire des lieux.  Et oui, il a bien 20 ans. L’ayant questionné sur son parcours, j’apprends qu’il est venu visiter le Cameroun il y a 5 ans (camerounais né en France), et qu’il a finalement décidé de rester. L’école l’ayant visiblement lassé très rapidement, il a intégré le marché de l’emploi par des stages, puis s’est retrouvé manager d’un restaurant de Douala. Il a vraisemblablement tellement aimé qu’il a ouvert son propre bar-lounge en décembre 2012 avec un associé, situé sur la rue Njo-Njo. Le staff est composé d’une gérante, ainsi que 3 serveuses.  Wayker F., puisqu’il s’agit de lui, fait les ouvertures et les fermetures jusqu’à 2h du matin. Accueillant et souriant, on sent tout de même qu’il sait recadrer son équipe lorsque c’est nécessaire. A 20 ans, c’est plutôt impressionnant.

Il y a aussi Cynthia Tabe, camerounaise installée à Londres et travaillant dans les Relations Publiques, qui a ouvert à Douala il y a 2 ou 3 mois ce qu’on peut considérer comme étant la 1ère agence de RP et Stylisme dédiée à la Mode. “ModeMaison PR” et “Wardrobe @ Studio 25″, situés du côté de Bonamoussadi, proposent (entre autres) d’habiller les célébrités pour des événements/clips vidéos, de gérer le stylisme de mannequins pour des campagnes d’affichage ou encore, la communication on & offline de designers locaux.

Il faut dire qu’il y a BEAUCOUP à faire dans ces différents services, et comme je l’avais déjà souligné à la fin de cet article (cliquez ICI), l’image des célébrités est un investissement qui peut rapporter gros et il ne faut pas faire une impasse dessus.

(Une équipe de tournage dans les locaux de l’agence)

ModeMaison PR travaille déjà avec le label de musique urbaine MuMak, et j’ai lu qu’ils s’apprêtent à signer leur 1er gros contrat. C’est tout le mal que je leur souhaite !

J’ai également rencontré quelques artistes, principalement des rappeurs, ainsi que des jeunes qui souhaitent monter des agences de communication/management d’artistes urbains (Hip Hop, R&B etc..), en s’inspirant notamment des méthodes de marketing nigérianes. Je ne l’ai pas croisé car il était très pris, mais j’ai pu visiter l’atelier du jeune Merik, un peintre-graphiste qui a la cote en ce moment et qui fait des tableaux superbes. Il est très demandé par les gérants d’établissements (salons de coiffure, resto etc) pour réaliser des fresques qui serviront de déco. Et enfin, j’ai passé une après-midi géniale avec la propriétaire du concept-store “Carm Store”, dont je vous parlerai dans le dernier volet de cette mini-série.

Pour finir ce #2, je dirais que bien évidemment, je suis consciente que tout n’est pas rose. Douala, ce n’est pas la Silicon Valley, les obstacles sont nombreux voire périlleux. Mais dans l’absolu, c’est le cas partout, la nature des problèmes varie, voilà tout. Rencontrer des jeunes en-dessous des 35 ans qui ont décidé de monter leur propre structure, en alliant professionnalisme et passion, et ce peu importe qu’ils viennent de “grandes” familles ou non, c’est un signal fort. C’est triste à dire, mais jusqu’à il y a très peu, Samuel Eto’o et les escrocs (appelés “Feymen”) étaient principalement les seuls exemples de réussite qu’il y avait. Je suis ravie de voir d’autres profils émerger, même s’ils sont peu nombreux pour le moment. C’est en faisant leur promotion que l’on pourra montrer à d’autres qui n’osent pas qu’une alternative existe. Elle est dure, elle ne paie pas toujours, mais C’EST POSSIBLE. Ayant appris qu’un jeune homme a été retrouvé mort à Roissy dans le train d’atterrissage d’un avion en provenance du Cameroun cette semaine, je réalise encore plus à quel point la jeunesse camerounaise a plus que jamais besoin de modèles. C’est sûrement candide de ma part, et ça ne résoudra pas entièrement le problème de fond, qui est politique, mais une voie de secours vaut mieux que pas de voie du tout. Le changement par le business par l’entrepreneuriat et le business est mon crédo, et je remercie toutes les personnes citées plus haut d’en avoir fait le leur, consciemment ou non. Par ailleurs, j’espère pouvoir croiser encore plus de personnes dans cet état d’esprit et à ma petite échelle, faire en sorte de les valoriser. Ceci dit, il manque cruellement une plate-forme qualitative où tous ces gens pourraient se rencontrer, échanger et collaborer. J’ai essayé de mettre en relation certains qui avaient besoin des compétences des autres, mais il faudrait quelque chose de plus structuré et accessible. Un annuaire ? Un groupe qui s’auto-régule ? Je n’en sais rien, j’y réfléchis.

Pour suivre les différentes personnes évoquées sur Twitter:

- Eric Niat: @EricNiat

- Rebecca Enonchong: @AfricaTechie

- Fritz Ekwoge: @EkwogeFee

- Cynthia Tabe: @BrownSchuga

- ModeMaison PR: @ModeMaisonPR

- Djoss TV: @DjossTV (et ses fondateurs: @TchenPat, @Kasbig, @DjiaThink)

- Serge O.: @Manekang

Le prochain volet “Made in Douala #3″ sera dédié au secteur de la beauté à Douala, et plus globalement, au Cameroun.