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La matière noire enfin détectée ?

Publié le 10 avril 2013 par Blanchemanche

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/04/la-mati%C3%A8re-noire-enfin-d%C3%A9tect%C3%A9e-.html
La physique des particules a t-elle enfin détectée la matière noire ?C'est ce que l'on pourrait croire en lisant le titres du communiqué de l'Agence spatiale européenne publié hier. Il titre en effet que l'expérience AMS - Alpha magnetic spectrometer - installée à bord de la station spatiale internationale, aurait détecté sa présence parmi les 25 milliards de particules analysées. Le communiqué du Cnrs, qui parle pourtant du même résultat, ne mentionne en revanche que «l'anti-matière» comme résultat de l'expérience. Et ne mentionne une origine dans la matière noire qu'avec un conditionnel. Même prudence du côté de la Nasa.Récemment, les 600 scientifiques de cette expérience, dirigée par Sam Ting, Nobel de physique, du MIT, ont publié, dans Physical review letters, l'analyse des 18 premiers mois d'enregistrements des rayons cosmiques par AMS. Pas moins de 25 milliards de particules, parmi lesquelles six millions d'électrons et 400.000 positons. «L'énergie de ces positons, les anti-particules de l'électrons, va de 0,5 à 350 milliards d'électronvolts», me précise Laurent Derome (Cnrs, Grenoble). Prudents, les auteurs de l'article de PRL ont sobrement titré qu'AMS «confirme un excès de positons à haute énergie dans les rayons cosmiques près de la Terre». Qui croire ?

DE QUOI EST CONSTITUÉE LA MATIÈRE NOIRE ? MYSTÈRE TOTAL.

L'affaire est complexe et majeure. Depuis des décennies, les astrophysiciens font l'hypothèse qu'une mystérieure matière noire participe à notre univers. Elle expliquerait la rotation des étoiles dans les galaxies et les relations entre galaxies ainsi que structuration de l'Univers en amas de galaxies. D'après les derniers résultats du télescope Planck (lire ici) elle représenterait 25,8% du total masse/énergie de l'Univers, contre seulement 4,8% pour la matière ordinaire et le reste pour une non moins énigmatique énergie noire.Cette matière noire semble se trahir par l'influence gravitationnelle qu'elle exerce sur la matière visible. Mais de quoi est-elle constituée ? Mystère total. Des théories physiques dites "supersymétriques" proposent que des partenaires symétriques des particules de matière ordinaire la constituent. Mais, pour l'instant, aucun signe de telles particules de matière noire dans les accélérateurs du Cern ou d'ailleurs. Résoudre cette énigme reviendrait soit à identifier la nature du quart de la composition de l'Univers... soit à bouleverser les théories fondamentales de la physique afin de concevoir un Univers dénué de cette matière noire.Les astrophysiciens, depuis de nombreuses années, ont un soupçon, reposant sur un "excès" de positons - l'antiparticule de l'électron - dans le rayonnement cosmique capté par des expériences - les télescopes spatiaux Pamela et Fermi. L'expérience AMS, lourde de près de 7 tonnes, a été conçue pour capter ce rayonnement avec une précision sans précédent, en raison de son installation sur la station spatiale internationale. Ce fut fait en mai 2011 lors du dernier vol de la navette spatiale Endeavour

DES PULSARS À L'ORIGINE DES POSITONS ?

Pour expliquer ce flux de positons, deux explications sont avancées. La première fait appel aux étranges pulsars, des étoiles à neutrons (leur matière est si dense qu'elle est constituée de neutrons collés les uns contre les autres, autrement dit, une seule cuillerée à café d'étoile à neutrons possède autant de masse que 30.00 tours Eiffel). Un pulsar, c'est une étoile à neutrons qui tourne très rapidement sur elle même, ce qui produit un champ magnétique intense. Il devient alors «une machine à produire des positons» selon Derome. Plus exactement à éjecter des électrons à vitesse très élevée, qui émettent des photons très énergétiques, lesquels donnent naissance à des paires électron/positon. Puis ces paires sont dispersés dans le cosmos, et comme elles sont sensibles aux champs magnétiques rencontrés au hasard, elles divaguent, effaçant leur trajectoire et donc leur lieu d'origine.Toutefois, «si le pulsar est assez proche, on devrait quand même repérer une petite différence spatiale d'intesité du flux», estime Derome. Or, pour l'instant, le flux repéré par AMS est «isotrope, égal dans toutes les directions et très régulier dans le temps». De manière étrange, plus l'énergie grimpe et plus la part des positons augmente : de 5% à 20% à 350 Gev. «S'il s'agissait simplement de la production de positons par l'interaction entre le rayonnement cosmique primaire et le milieu interstellaire, on devrait en détecter de moins en moins en montant en énergie», explique le physicien.

ANNIHILATION DE MATIÈRE NOIRE

D'où l'idée d'une autre explication: il proviendrait de l'annihilation de particules de matière noire, celle qui formerait une sorte de halo sphérique autour de notre Galaxie, la Voie Lactée, qui se présente sous la forme d'un disque. Elle pourrait expliquer l'isotropie spatiale et temporelle de cet excès de positons. La matière noire produirait autant d’électrons que de positons, et l’excès de positons dans le rayonnement cosmique total viendrait de ce que la matière noire serait une énorme productrice de paires d'électrons et de positons. «Nous avons un signal très clair, bien mesuré, jusqu'à très haute énergie», se réjouit Derome. Mais il souhaite un message prudent: «Il n’y a rien dans ce signal permettant d'affirmer qu'il s'agit de l’antimatière provenant de la matière noire.»Pourquoi les physiciens ne penchent-ils pas en faveur de cette hypothèse ? Parce qu'ils sont prudents, et qu'ils attendent notamment un "signe" - dans leur langage une "coupure" à haute énergie, car les positons issus de la matière noire ne peuvent aller au delà d'une certaine énergie... «celle des particules de matière noire», m'explique Sylvie Rosiers-Lees (Cnrs LAPP) - d'une émission de positons typique de la matière noire telle que l'imaginent les théories supersymétriques. En résumé, les physiciens recherchent des bosses et des creux sur le spectre (voir le graphique plus haut et lire ici une explication du blog de Pauline Gagnon du Cern) des positons au delà de 250 Gev. Cela nous donnerait des indications sur les relations - les "couplages" - entre matière noire et matière ordinaire. «On est à 3% d'anisotropie spatiale, ce qui est très bas, si on descend à 1% l'hypothèse pulsar deviendra intenable», estime Sylvie Rosiers-Lees. AMS est une expérience qui peut veillir longtemps et fonctionner aussi longtemps que la station, peut-être 20 ans. L'expérience enregistre aussi les flux de protons et d'anti-protons, de photons, de noyaux atomiques... le potentiel de découverte est donc important.Pourquoi les Agences spatiales ont-elles titré directement sur un indice de matière noire ? Peut-être parce que la station spatiale, comme l'ensemble des vols habités, ne présentent aucun résultat scientifique majeur, à la différence des télescopes et sondes interplanétaires automatiques. Et qu'elles aimeraient bien pouvoir alimenter leur discours sur l'intérêt de la station spatiale comme laboratoire scientifique.Ci dessous la partie de la note de 2011, lors du tir d'Endeavour, qui explique les enjeux scientifiques de l'expérience AMS:Dans la soute d’Endeavour se trouve aussi un colis exceptionnel. Un formidable instrument de physique fondamentale baptisé AMS, Alpha magnetic spectrometer. Fruit de l’obstination de son père, le Nobel de physique américain Sam Ting, puisque le projet remonte à 1994. Construit en Europe à 90% sous la houlette du Cern, le plus grand laboratoire de physique des particules de la planète, installé à frontière franco-suisse. Le premier détecteur de particules spatial aux dimensions des plus grands labos terrestres.«Sept tonnes, 5 mètres sur 4 sur 3», résume Sylvie Rosier-Lees, du Laboratoire d’Annecy le Vieux de physique des particules (Cnrs) où a été construit une partie de ce détecteur. Il sera accroché à l’extérieur de l’ISS«jusqu’à la fin de sa vie», annonce la Nasa… Autrement dit 2020 selon les accords entre agences spatiales, mais probablement plus longtemps encore. Son objectif ? Mesurer avec une précision sans précédent les rayons cosmiques qui traversent l’espace. Leur étude depuis le sol est délicate, en raison de la couverture de l’atmosphère où ils se cognent et se transforment. Ainsi, AMS ne peut détecter qu’environ 400 de ces particules par seconde au sol, contre 25.000 par seconde lorsqu’il sera attaché à l’ISS. (photo, une délégation chinoise devant AMS au Cern).A l’aide d’un aimant produisant 4000 fois le champ magnétique terrestre, il va tordre la trajectoire des particules électriquement chargées puis en mesurer la masse, la vitesse, la direction, et les identifier. C’est, explique Sylvie Rosier-Lees «le premier télescope spatial à rayons cosmiques». Ce monde des rayons cosmiques va passer d’une image assez floue à unedescription précise de sa composition, en particulier en noyaux lourds, très minoritaires puisqu’il est constitué pour l’essentiel de noyaux d’hydrogène (des protons), pimenté d’un peu d’hélium. Cette mesure de précision va livrer des informations inédites sur les monstres de l’Univers : trous noirs, étoiles à neutrons, pulsars, blazars et autres astres qui expulsent violemment, en les accélérant presque à la vitesse de la lumière, des particules de matière qui deviennent des rayons cosmiques. Dessin ci dessous, (© www.gregcirade.com pour le CNRS) vue d'artiste d'AMS sur la poutrelle de la station spatiale avec un rayon cosmique qui vient le frapper (bien sûr, un rayon cosmique n'est pas... visible).C’est dans ces rayons qu’AMS va traquer deux gibiers de choix, dont l’existence est suspectée mais qui n’ont jamais été observés : «la matière noire et l’antimatière primordiale», explique la spécialiste de l’Institut de physique nucléaire et des particules (IN2P3) du Cnrs. La matière noire, c’est cette fameuse «masse manquante» inventée dès les années 1930 pour expliquer le mouvement des étoiles dans les galaxies et celui des galaxies dans leurs amas. Une masse qui surpasserait de beaucoup la matière ordinaire puisque, selon les modèles cosmologiques en vigueur, l'Univers est composé pour 5% seulement de matière ordinaire, de 25% de matière noire et de 70% d'une énergie noire et encore plus énigmatique. Pourtant, si toutes les mesures de mouvements dans l’Univers confirment son existence, aucune expérience de labo n’a pu mettre la main sur les particules qui composeraient la matière noire. Si AMS y parvient, il pourra en outre estimer la densité des particules détectées.L’autre gibier, c’est l’antimatière «primordiale», explique la physicienne. Pas celle que les expérimentateurs fabriquent dans leurs accélérateurs, où celle que produisent des phénomènes astrophysiques mais celle qui aurait survécu à la grande annihilation, peu après le Big-Bang, lorsque matière et antimatière sont entrées en contact. Pour la distinguer, elle doit se présenter sous la forme d’anti-hélium, un noyau formé de deux protons et deux neutrons. La traque sera délicate : «on cherche un anti-hélium sur un milliard d’hélium détecté», explique la physicienne.AMS, du moins son aimant et des détecteurs depuis remplacés a déjà volé dans l’espace. Maisdix jours seulement, dans la soute de la navette Discoveryen 1998. De quoi démontrer que l’idée est bonne. Mais pas assez longtemps pour faire de la bonne physique. Lorsque tout sera fonctionnel, les physiciens de cette collaboration internationale de 16 pays dont la Chine, qui a impliqué près de 500 physiciens, ingénieurs et techniciens, enverra un flot continu de mesures absconses. Commencera, alors, une longue traque, à coups d’analyses mathématiques, au bout de laquelle notre vision de l’Univers sera peut-être bouleversée. (photo, AMS dans la soute d'Endeavour, lors des derniers réglages sur le pas de tir à l'astroport Kennedy).La participation française provient de trois laboratoires : le LAPP à Annecy-le-Vieux (CNRS - Université de Savoie) pour le calorimètre électromagnétique, le LPSC à Grenoble (CNRS - Université Joseph Fourier) pour le détecteur Cherenkov à imagerie annulaire et le LUPM à Montpellier (CNRS - Université Montpellier 2) pour la responsabilité complète du système GPS spatial. Le Centre de Calcul de l'IN2P3 du CNRS, à Lyon, a fourni une bonne partie des ressources informatiques pour la simulation de l'expérience et la préparation de la physique, il participera à l'analyse des observations.Par Sylvestre Huet, le 4 avril 2013


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