Eileen Gray, vous connaissez ?
Si aujourd’hui, Eileen Gray fait partie du « Panthéon » des architectes et designers, si certaines de ses œuvres sont classées au titre des monuments historiques, elle n’a pas toujours été dans les feux de la médiatisation.
Voilà une artiste dont j’avais très envie de vous parler, parce que son travail est extraordinairement visionnaire, parce que c’est une femme, qui plus est du XIXième et XXième siècle.
Née en 1878, elle décède en 1976. Un siècle traversé où elle aura laissé sa marque, même si ce n’est pas son nom qui émerge tout de suite de la liste des créateurs géniaux qu’a connu le XXième siècle.
Est-ce parce qu’elle était une femme et qu’on a la mauvaise habitude d’apprendre et de raconter l’histoire des hommes voire des grands hommes ?
Eileen Gray était une artiste spécialiste de la laque. Sur les meubles Art déco, elle incorporait de luxueuses finitions laquées. De la géométrie aux références à l’Antiquité, elle apporta une vision moderne aux arts décoratifs.
1925 Bibendum Chair
Avec son fauteuil rond Bibendum elle amorce un virage radical vers le modernisme. Nous sommes très loin des laques précieuses, domaine de son excellence.
Pourquoi s’arrêter là, l’architecture devient son prochain champ de création.
La Villa E-1027
L’une de ses œuvres la plus célèbre où elle interprète librement l’architecture moderniste. Elle était aussi l’auteur de nombreux projets architecturaux non réalisés mais néanmoins aboutis.
Avantagée par la naissance et la fortune, Eileen Gray n’avait pas pour autant négligé le logement social qu’elle a voulu revisiter et repenser avec des projets comme : » maisons Ellipse » à pré-fabriquer, « Tente de camping ».
Le modernisme ne lui laissa aucune place pour la postérité
Eileen Gray voulait avant tout échapper à l’hygiénisme ambiant de Marcel Breuer à Le Corbusier : « De l’hygiénisme à en mourir » comme elle l’évoquait.
Quelle ironie, c’est lors de la vente aux enchères de quelques unes de ses œuvres acquises par des célébrités, qui atteignirent des sommes astronomiques, qu’elle va attirer l’attention des journaux, et contribuera à les faire redécouvrir par le public à la fin de sa vie.
Pour retrouver toute son œuvre, il y a eu l’exposition au Centre Beaubourg qui s’est terminée ces derniers jours. Par contre, il est toujours possible de retrouver sur le site Internet l’exposition virtuelle.
Eileen Gray un artiste dans un monde d’hommes
Évidemment, Eileen Gray était une artiste géniale, femme d’un milieu aisé qui lui permit d’exercer son métier, son art dans cet environnement masculin. Malheureusement pour elle, l’époque et les hommes de son entourage ne laissaient pas beaucoup de place aux femmes qu’ils considéraient comme leur élèves. Charlotte Perriand est aussi à sa façon un exemple d’une créativité toujours restée masquée par l’ombre intentionnelle de ses pairs…
Le refus du modernisme est encore très actuel
Si Eileen Gray n’a pas souhaité se plier à la tentation du logement social juteux, ou de l’imagination au service de la gestion économique des espaces c’est aussi parce qu’elle refusait « ces intérieurs où tout semble répondre à un strict et froid calcul ».
Les dogmes de la décoration
Malheureusement les tendances, les modes, les arts décoratifs semblent tellement amnésiques, comme touchés de Parkinson… Et pour plusieurs symptômes !On nous propose du réchauffé garanti œuvre originale en s’appuyant sur notre inculture avec conviction.
Les émissions de décoration, magazines et autres expositions proposent béton ciré, inox et autres métaux dépolis, transparence et verres, lampe Arco, chaise longue vache version Le Corbusier, la maison bloc et boîtes dans la boîte, en tant qu’œuvre originale à acquérir… La maison show-room à ne pas confondre avec la maison témoin ! La nuance est subtile, je vous l’avoue.
« Si a 50 ans, t’as pas le loft ou la villa placo illuminée de blanc, t’as loupé ta vie ! »
comme dirait un autre penseur du pâle modernisme…