Lente traversée
De l’autre rive des voix.
Sur l’autre bord
l’illusion de racines emmêlées
partage d’humus et de sucs
au-delà des portes murées
des frontières en abyme.
Mythes des souffles
qui n’accompagnent plus la marche
mythe de l’âme jumelle
dans l’éternel enlacement.
Sur l’autre rive un plissé déplié
mue douloureuse d’un infime
anonyme.
Défaillance du souffle
épis de foudre soudains
vagues de boue
et sous la moisson rapace
la doublure flétrie de l’impossible revenir.
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Un aller simple
Un aller simple
pour une voie divisée.
Journée endormeuse
si ce n’était les épines indurées
que l’on n’arrache plus.
Journée pétrifiée
si ce n’était ce mouvement
qui tisse nos mots et nos faims
notre insatisfaction
qui nous donne à voir
et à souffrir.
Ce serait une journée ennuyeuse
sans ce mouvement de rupture
cassé disloqué
qui grince en nous
et nous pousse à l’essentiel.
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Sans titre
On a replié sa vie
comme une carte lue à l’envers.
On a replié sa vie
comme un livre
où se terrent les dérapages
et les boues.
On est telle une vieille horloge
obstinée dans le recul
taiseuse depuis trop longtemps.
On repousse le sommeil
on se cogne à l’ombre
aux premiers soupirs de la mémoire.
Certains guettent le soleil
ou la place d’un feu.
Quelles bouches diront ton nom ?
Quelles bouches diront
tes gestes dans l’imprudence
et tes méandres inversés par distraction ?
Quelles bouches oseront parler
du fleuve qui courait en toi
lesquelles diront les entassements
dont tu craignais le déséquilibre
et la lumière frêle
que malgré la nuit tu poursuivais ?
Les matins affolés
et tout ce fatras qui t’alourdit
taillent à vif ton liber profond.
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Sans titre
Il suffirait de si peu…
un claquement de doigts
un envol soudain.
Il suffirait
d’une main à demi fermée
de la nudité d’une pluie d’été
du resserrement de la nuit
Il suffirait de
tendre les mots pour broyer
pour arracher les voiles
pour rejoindre le fleuve
et s’y perdre
sans amarre
sans promesse
sans mots pour héler
juste avec au ventre
le creux tel un nœud
coulant…
Le temps humain ne tourne pas en cercle mais en ligne droite. C’est pourquoi l’homme ne peut être heureux puisque le bonheur est désir de répétition.
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Milan KUNDERA (L’insoutenable légèreté de l’être)
Cheminement vers le vide
le tranchant,
silence sans fruits.
On aimerait la rotondité
sans entrée ni issue
sans néant sans finitude…
On se prendrait un jour
par la main
et on irait au delà de l’usure
tendu telle une figure de proue
tendu mais déjà détaché.
On oublierait la marche
si lente parfois
et les ratés d’une quête
insensée.
On oublierait la folie
de l’attente
de l’élan exténuant.
On voudrait soudain
toucher
le fil qui nous relie
on voudrait en connaître la résistance
la densité.
Il nous resterait l’étonnement
en vagues profondes
s’éloignant…
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Piazza
On s’étonnait du bleu de la lumière.
Touché par l’accent sauvage
d’une langue inconnue
on avait le regard trop clair.
Manquaient pourtant
les mots lianes
plus que mains et bras
infatigables
qui vrillaient dans le vif.
On était sur une agora
large plage pavée
où l’eau courait en chantant.
On était
assis à même la pierre
dans le blanc du silence intime.
Manquaient les mots orages
ou naufrages
mots délavés démaillés
pour emporter dévaster
la transparence.
On n’entendait que ces voix étrangères
dégringolades de sons
jeux de billes choquées
musique des êtres
un chant profond
comme la vie qui se replie.
On n’entendait que les ombres
leur hâte leurs courbes
plus surprenantes que le livre abandonné.
Le vent se pressait éperdu
le vent s’égarait
en carrefours inattendus
et nous revenait
tyrannique.
Frissons…
L’accent sauvage d’une langue inconnue
nous habitait par effraction.
Vivre nous enivrait.
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Imagine
Imagine l’immense,
mer ou plaine,
de grands vaisseaux isolés
ou des arbres que traverse le vent
imagine la crue
la crue d’un fleuve ou d’une âme
et cette eau qui bouillonne
et ce vent qui la froisse
imagine des passages ouverts
puis sans issue soudain
et partout des guetteurs
imagine des êtres passant
hélant les autres ou la poésie
crevant de chagrin
pour des rendez-vous manqués
imagine aussi la transparence…
Tes songes alors t’arrachent
et t’embarquent
dans une étreinte infinie.
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Agnès Schnell, Française d’adoption, est Belge d’origine, elle habite le pays de Rimbaud depuis plus de trente ans.
Trait d’union entre deux terres, elle n’a pas d’histoire…
Elle n’a ni site, ni blog, préférant publier (sous son nom ou sous pseudonymes) sur divers sites d’écriture, ou -tel le coucou- chez des amis quand ils l’y invitent et depuis peu, de façon éphémère, sur Facebook.
Publiée à onze reprises depuis 2005, dont neuf recueils à compte d’éditeur (six de poèmes et trois de nouvelles), Agnès cherche un nouvel éditeur pour plusieurs recueils encore inédits…