Si la vie politique est pleine de contradictions, la vie médiatique, elle, est pleine de disproportions. Pendant que l’affaire Cahuzac (qui n’a pas encore été jugée) est inévitablement présentée comme un « séisme politique », voire un « cataclysme institutionnel », c’est avec une relative pudeur que les médias ont annoncé une perquisition chez Patrick Buisson, proche de Nicolas Sarkozy, dans le cadre de l’affaire des sondages de l’Elysée. Là, point de superlatifs, point de titres en Une, point d’éditions spéciales, point d’images sorties tout droit d’un cours de tectonique des plaques.
Je ne vais cependant pas déroger à la règle : cette affaire suit son cours. On verra si elle aboutit un jour à des mises en examen et à des condamnations pénales. On verra bien si commander des centaines de sondages, sans appel d’offres préalable, à une société dirigée par un proche de Nicolas Sarkozy était de la saine gestion des finances publiques. En attendant que l’on sache un jour la vérité dans ce dossier, je voudrais simplement ici rappeler que cette affaire des sondages de l’Elysée a connu un long parcours judiciaire, marquée notamment par un classement sans suite du parquet de Paris en 2010 et par un arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris en 2011 qui a été in fine cassé et annulé par la Cour de cassation. A cette époque, on s’est notamment interrogé sur l’action du procureur Jean-Claude Marin, politiquement proche de Nicolas Sarkozy, et sur sa conception très extensive de l’immunité présidentielle appliquée aux actes effectués au nom du président de la République par ses collaborateurs.
Ne nous leurrons pas : si Nicolas Sarkozy avait été réélu en 2012, l’affaire des sondages de l’Elysée aurait été purement et simplement enterrée et ce malgré la nouvelle plainte d’un militant écologiste grenoblois, Raymond Avrillie. Ce dernier a obtenu en février 2012 la permission de consulter tous les sondages commandés par l’Elysée entre 2007 et 2010. En recoupant les factures, il a pu ainsi estimer la dépense à 9,4 millions d’euros (soit environ 300 sondages commandés en cinq ans). En octobre 2012, une ultime plainte a été déposée. Elle a été jugée recevable par le parquet. Entre temps, François Hollande a été élu président de la République, ce qui a certainement incité le parquet à faire preuve d’une meilleure disponibilité d’esprit pour examiner la plainte un peu plus sereinement.
Loin de moi l’idée de minorer l’affaire Cahuzac par le rappel d’une autre affaire touchant cette fois-ci la droite. Pourtant cette affaire n’est pas non plus anodine. Là, il ne s’agit pas de quelques centaines de milliers d’euros non déclarés sur un compte en Suisse par un ancien ministre menteur et de surcroît mauvais contribuable, mais de plusieurs millions d’euros d’argent public inutilement gaspillés dans l’industrie sondagière qui, depuis l’origine, a élevé les extrapolations et les approximations chiffrées au rang de business particulièrement lucratif. Cahuzac a pris quelques libertés coupables avec de l’argent qui lui appartenait pour se soustraire à ses obligations fiscales (ce qui est impardonnable pour un ancien ministre du budget), quand certains au plus haut niveau de l’Etat en ont semble-t-il pris d’autres avec de l’argent des contribuables. Cahuzac a parait-il ouvert un compte en 1992 alors qu’il n’était pas encore entré dans la vie politique (ce qui a posteriori n’est pas un motif d’excuse quand on sait les responsabilités qu’il a eues par la suite) tandis que ceux qui ont commandé les sondages de l’Elysée y étaient en plein dedans et au plus haut niveau. Et encore ! j’aurai aussi la charité de ne pas m’appesantir outre mesure sur la tentative de dépénalisation du droit des affaires entreprise sous la majorité précédente parce qu’il s’agissait d’une promesse électorale de Nicolas Sarkozy.
Nous sommes en 2013. François Hollande est président de la République depuis dix mois et il est important de rappeler que malgré cette élection, Cahuzac n’a pas eu droit à la bienveillante sollicitude du parquet de Paris qui s’est en revanche exprimée non seulement à l’égard Nicolas Sarkozy (ce qui est normal car il bénéficiait à cette époque de son immunité présidentielle) mais aussi à l’égard de ses proches collaborateurs (ce qui l’est beaucoup moins dans la mesure où l’immunité présidentielle participe du statut pénal personnel du chef de l’Etat qui ne devrait pas s’appliquer par principe à ses collaborateurs). Oui, il est effectivement important de le rappeler afin de souligner que la Justice semble avoir de nouveau le champ libre pour ressortir les vieux dossiers. C’est en tout cas l’un des changements les plus significatifs de ce début de quinquennat. On ne peut pour l’instant que s’en féliciter.
Gabale, Mende (Lozère) le 4 avril 2013