« Si
je savais faire (mais je ne suis pas sûr de le vouloir) si je savais faire une
sculpture, une peinture comme je veux (mais je suis incapable de dire ce que je
veux?). Si je savais les faire, elles seraient faites je pense depuis longtemps
(je vois un tableau merveilleux et brillant mais il n'est pas de moi, il n'est
de personne. Je ne vois pas les sculptures je vois le noir). »
○
« Les qualités de Derain n'existent
qu'au-delà du ratage, de l'échec, de la perdition possible, et je ne crois, il
me semble, que dans ces qualités-là, au moins dans l'art moderne - je veux
dire, (peut-être) depuis Giotto. Derain était dans un lieu, dans un endroit qui
le dépassait continuellement et toute œuvre était pour lui échec avant de
l'entreprendre. Toutes les assises, toutes les certitudes valables pour au
moins la plus grande partie des peintres d'aujourd'hui, sinon pour tous, même
pour les abstraits, même pour les tachistes, n'avaient plus aucun sens pour
lui; alors où trouver les moyens même pour s'exprimer? Un rouge n'est pas un
rouge - une ligne n'est pas une ligne - un volume n'est pas un volume, et tout
est contradictoire, un gouffre sans fond dans lequel on se perd. Et pourtant il
ne voulait peut-être que fixer un peu l'apparence des choses, l'apparence
merveilleuse, attrayante, inconnue de tout ce qui l'entourait. »
○
« ... je sais qu'il m'est tout à
fait impossible de modeler, peintre ou dessiner une tête, par exemple, telle
que je la vois, et pourtant c'est la seule chose que j'essaie de faire. Tout ce
que je pourrai faire ne sera jamais qu'une pâle image de ce que je vois et ma
réussite sera toujours en dessous de mon échec ou peut-être la réussite toujours
égale à l'échec. Je ne sais pas si je travaille pour faire quelque chose ou
pour savoir pourquoi je ne peux pas faire ce que je voudrais. »
○
« Jamais pour la forme, ni pour la
plastique, ni pour l'esthétique, mais le contraire. Contre, absolument. »
○
« Si j'ai envie de travailler,
travailler, sinon laisser tomber. Et si je travaille, ne pas penser à
"battre" tous les autres, à être le plus fort, par toute vanité, pour
la publicité, par pur arrivisme, comme tant d'autres.
Ne pas me mettre sur ce plan-là. Mais
comme moi je suis, où je suis, ce que moi je veux à la fois dans la vie et dans
le travail. Écrire mon aventure qui est merveilleuse. »
Alberto Giacometti, Écrits, Hermann 1990, pp. 64, 76, 84,
135 et 227
[choix d’Isabelle Baladine Howald]