Viva le Danemark ! Il ya eu le Dogme, des Von Triers ou des Vinterberg continuent aujourd'hui, avec d'autres, de livrer des oeuvres brillantes et fortes... Après notre coup de coeur sur Royal Affair, c'est maintenant au tour de Kapringen de malmener la rédaction, de la laisser "sur le C...". Kapringen s'attaque à décortiquer les coulisses d'une prise d'otage. Il s'attarde non pas sur les hommes au centre, mais sur les enjeux à défendre au niveau du "payeur"... Sa violence et sa dureté ne sont plus focalisées sur celle subie par les otages, mais sur ce qu'il conviendrait d'appeler les "règles capitalistes du jeu". Kapringen s'attaque au poids de la vie d'un homme dans un système capitaliste, son style réaliste lui donne une force et une brutalité diablement efficace... Kapringen fait mal : vous êtes prêt ?
Si A Hijacking commence par exposer deux situations parallèles, une prise d'otage en Somalie et une simple et brillante négociation économique au Danemark, c'est bien évidemment pour les confronter ensuite. La question est rapidement posée : négocie t'on toutes les affaires d'argent de la même manière ? Tout peut-il se réduire à un jeu où l'une des deux parties doit faire une bonne affaire ? D'un côté ce que le cinéma nous a souvent montré, l'épreuve psychologique de l'otage, de l'autre le positionnement du payeur, mais contrairement à un père qui verrait sa fille ou son fils pris en otage, c'est un intérêt économique qui lui est "confisqué". Des vies sont en jeu, mais dans Kapringen on négocie un marché ! Les années-lumières qui séparent la vie sur le bateau et la vision que l'on en a dans les beaux bureaux danois sont saisissantes... Lorsque certains "mouillent la chemise" et subissent la pression de leur hiérarchie, d'autres urinent dans le coin d'une pièce et sentent régulièrement l'odeur de la graisse d'armes...
Kapringen ne se borne pas à décrire le fossé qui sépare ces deux réalités, par sa réalisation sobre et brute, il nous oblige à prendre parti et surtout soulève des questions sur des logiques profondes de notre système. De l'intelligence, Kapringen en fait preuve sur de nombreux points : sa mise en scène, le jeu de ses acteurs (absolument superbes !), la sobriété de ses messages et la pertinence des mécanismes qu'il décrit. S'il démarre lentement, sans scènes-chocs ni précipitation, il installe en lieu et place des scènes fortes ponctuelles, une tension progressive, presque linéaire, parfaitement maîtrisée, et ne cesse d'en augmenter l'intensité jusqu'à son final... Ses dernières images sont d'une remarquable puissance. L'impression que laisse Kapringen chez le spectateur est comparable à l'état d'une maison qui aurait accueilli la fête du siècle et qui n'aurait pas été rangée : un gigantesque travail de rangement, presque insurmontable, une impression de découragement total face à un constat effrayant. Kapringen vous laisse vidé, épuisé par toutes les questions qu'il vous a posées, découragé par tous les constats qu'il à mis à jour.
On adore la manière qu'à Kapringen d'orienter notre regard sur l'essentiel, de ne pas porter d'avis sur "qui agit bien, qui agit mal", il se contente d'exposer une situation de crise et nous donne à observer l'inadaptation des réponses et des actions pour y mettre fin. Au travers de la prise d'otage du MV Rozen, c'est notre vivre ensemble qui est interrogé, la place laissée à nos valeurs dans un système économique qui n'a cessé de les exclure de son propre système de valeur. Kapringen nous force à dresser le constat que nous nous sommes laissés corrompre. Puissant, très difficile même à voir, Kapringen tape là où ça fait mal, mais pas pour démontrer qu'à l'endroit de son impact se manifeste une douleur, le but de son direct est de nous interroger sur le "pourquoi" cet endroit est une faille, pourquoi il est un point sensible et douloureux. Techniquement superbe, drame puissant et intelligent : que demander de plus à un film ? On vous recommande très vivement ce magnifique uppercut !
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