L’affaire Cahuzac a, bien-sûr, remis à la mode le fameux « Tous pourris ! » et tout le monde sait maintenant qu’il y a, dans notre faune politique, quelques vrais « pourris » qu’il faudrait débusquer. Ainsi, la crise politique a pris un tour beaucoup plus grave que l’affaire d’un seul homme, Jean-Luc Mélenchon a appelé à un grand coup de balais et les bords du lac de Genève évoquent des affaires de financement politique bien plus larges et sans doute beaucoup plus graves. A cette aune, l’exécutif promet un texte sur la moralisation de la vie politique après les aveux dévastateurs de Jérôme Cahuzac et François Hollande a donc imposé à tous ses ministres, hier, de publier leur patrimoine. C’est sa réponse après le raz-de-marée. Mais cela dit, il y a urgence pour François Hollande lui-même, puisque après onze mois à l’Elysée, le président touche le fond dans les sondages. Il est plus bas que François Mitterrand, à la fin de ses deux mandats.
Ainsi, Hollande a crevé tous les planchers dans les sondages, n’ayant maintenant plus que 27 % des Français qui lui font confiance (ce qui veut dire, on ne le souligne pas assez, que 73 % de nos compatriotes ne veulent plus de lui). Pendant toute la campagne présidentielle, François Hollande imitait, singeait François Mitterrand avec une étonnante ressemblance de la voix, de la posture, des mimiques. Hollande combattait la finance en 2012, quand Mitterrand dénonçait l’argent en 1981. Et depuis qu’il est entré à l’Elysée, l’imitation tourne à l’exaltation. Comme Mitterrand l’avait fait après Giscard, Hollande s’est efforcé de redonner une dignité à la fonction - autour de sa présidence normale -, que leurs deux prédécesseurs de droite avaient voulu désacralisé, décontracté. Dès son intronisation, Mitterrand avait distribué quelques sucettes sociales : retraite à soixante ans, hausse du SMIC, embauche de fonctionnaires. Hollande aussi. En 83, Mitterrand a opéré un grand virage de la rigueur, au nom de l’Europe. Hollande aussi. Avec son projet sur l’enseignement privé en 1984, et la loi Devaquet, Mitterrand a mis un million de personnes dans la rue. Hollande s’en approche dangereusement, avec le mariage dit pour tous.
Après la réélection de 88, l’ère Mitterrand sombrait dans les affaires et l’argent. Avec Cahuzac, Hollande l’imite encore. Mitterrand avait Patrice Pelat, son ami richissime aux affaires douteuses. On a découvert pour Hollande, Jean-Jacques Augier, vieux copain de la promotion Voltaire, trésorier de sa campagne et semble-t-il amateur de paradis fiscaux, comme l’analyse Eric Zemmour. Comme son maître à penser avait multiplié les lois de moralisation de financement de la vie politique - mesures parachevées par Chirac, sous son 1er mandat -, Hollande s’apprête donc à nous présenter ses grands projets de loi, sur la transparence et la moralisation de la vie politique. Le président Hollande a un temps présidentiel, qui n’est pas le temps de la crise, mais il l’exprime mal. A chaque fois qu’il prend la parole, on a l’impression qu’il tergiverse, qu’il ne sait pas décider. Il est dans un temps mitterrandien. Il faut laisser la crise passée, laisser du temps au temps. L’Elysée considère que la crise n’est pas terminée. Hollande fait tout comme Mitterrand, mais en plus petit, en plus médiocre. Question de talent, de culture, d’époque. Mais seulement, en un an, Hollande a déjà mangé deux septennats de Mitterrand. Ces courbes de popularité sont aussi basses, voire plus basses que celles de Mitterrand en fin de mandat. Et il lui reste encore quatre ans, à tenir. Que faire ?
Les commentateurs se demandent doctement si c’est une crise politique, une crise de régime, une crise institutionnelle ou une crise morale qui s’ajouterait à la crise économique et sociale qui mine déjà le pays depuis des années, suivant l’observation du journaliste au Figaro, Thierry Desjardins. Alors, tout en sachant que François Hollande ne fera probablement rien, tout le monde gamberge. Remaniement ministériel ? Changement de Premier ministre ? Référendum ? Dissolution ? Quel serait le bon coup de théâtre que le président pourrait nous faire pour essayer de sortir par le haut de ce bourbier dans lequel il est englué jusqu’au cou ? Un remaniement ministériel ? Rarement dans l’histoire de toutes nos républiques un gouvernement a été aussi fade, aussi transparent. Virer les mauvais élèves, ne ferait plaisir qu’à ceux qui les remplaceraient. Et ceux qui restent, ni bons ni mauvais, les Sapin, Touraine, Le Drian, Le Foll, Lebranchu, tout le monde s’en moque. L’ennui quand on a nommé un gouvernement médiocre, c’est qu’on ne peut même pas pratiquer le jeu des chaises musicales pour amuser la galerie. Alors changer de Premier ministre ? Personne ne pleurerait Ayrault qui, en quittant sa mairie de Nantes, a dépassé allègement ses limites. Mais dix mois après l’avoir nommé, ça serait évidemment pour Hollande reconnaître son erreur. Ayrault battrait ainsi le record d’Edith Cresson. Et surtout par qui remplacer Ayrault ?
Certains suggèrent à Hollande de se tourner vers la voie référendaire, en organisant un vote sur le thème de la… moralisation de la vie politique. Mais on sait d’expérience que les Français ne répondent jamais à la question qui leur a été posée, mais profitent de l’occasion pour sanctionner la politique du pouvoir en place. En France, les référendums ne sont jamais que des plébiscites que l’on gagne ou l’on perd, comme de Gaulle et son référendum sur la décentralisation en 1969. Hollande perdrait à tous les coups. Et d’ailleurs quelles questions poser ? Reste la dissolution. Tout le monde se remémore celle de Chirac en 1997, quand le pays était bloqué par l’intransigeance du « meilleur d’entre nous », droit dans ses bottes. On a oublié les deux dissolutions de de Gaulle, en 1962, quand l’Assemblée avait renversé le gouvernement pompidolien, et en 1968, après les évènements de mai, sans occulter bien-sûr les deux dissolutions de Mitterrand, en 1981 et 88, quand, élu et réélu, il avait en face de lui une majorité de droite. Ces quatre dissolutions-là s’étaient alors traduites par des raz-de-marée en faveur de ceux qui l’avaient décrétées, et une victoire de l’opposition avec cohabitation à la clef. Ainsi, il ne resterait à Hollande que la cohabitation avec la droite - comme Mitterrand -, pour lui permettre de se refaire une virginité et réélire en 2017. Aussi, il faudrait à Hollande dissoudre l’Assemblée nationale, pour perdre en beauté, selon le modèle indépassable de son autre mentor, Jacques Chirac.
Mais suivant l’analyse zemmourienne, il devra se faire violence. Abandonner ses amis, sacrifier son parti, sa majorité, rogner et saborder tout ce dont il vient, sacrifier les siens à sa sauvegarde… pour imiter Mitterrand, une dernière fois.
J. D.