Journaliste indépendant depuis quatre décennies, Francis Pisani est installé depuis une dizaine d'années en Californie, où il est devenu spécialiste en technologies de l'information et de la communication. Il tient le blog transnet.net sur le site internet du Monde.
En 1968, Francis Pisani a 26 ans et termine son service militaire à l'étranger dans le cadre de la coopération. Journaliste dans l'âme, il suivra de près cette année là les grands bouleversements du monde.
"Je finissais mon service national au Japon an pleine contestation de la guerre au Viêt-Nam. A l'époque, la gauche japonaise organisait des rassemblements et des manifestations contre la construction d'un nouvel aéroport américain qui devait servir de plaque militaire tournante pour aller bombarder le Viêt-Nam. Je rencontrai régulièrement des GI's rentrant du front: un jour, je discutais avec un psychiatre incorporé dans l'armée américaine, il m'a raconté avoir vu les pires horreurs qui n'étaient que rumeurs à l'époque, c'est à dire que certains collectionnaient des oreilles, des doigts de Vietnamiens. Comme je me sentais déjà journaliste, c'est à dire curieux, j'ai embarqué pour Saïgon au début de l'année, pour voir de près cette guerre qui me révoltait".Francis Pisani arrive à Saïgon dans les jours qui précèdent l'offensive
du Têt. Sur place, il fera ses premières armes professionnelles en
collaborant avec le correspondant sur place de l'AFP.
Au printemps, il part en Amérique latine, et c'est de Buenos Aires
qu'il prend connaissance de ce qui se passe en France. Rentré à Paris
courant Mai, il joint le mouvement dans un pays déjà paralysé par des
grèves générales: "je suis retourné à la Sorbonne, où j'avais été
étudiant, et je participais à toutes les discussions au théâtre de
l'Odéon, dont certaines étaient passionnantes. J'étais de gauche, mais je n'étais ni marxiste ni trotskiste.
J'étais beaucoup plus inspiré par Che Guevara, que j'avais lu et dont
la mort m'avait marqué, et par la philosophie orientale que j'avais
appris à connaître. Plus tard, j'ai aussi lu le Petit livre rouge de Mao".
Des évènements de mai, Francis Pisani avoue avoir garder un souvenir fort: "alors que nous manifestions, une charge de C.R.S s'est déclenchée. Je ne voulais pas bouger, mais lorsque des milliers de gens courent, vous ne pouvez pas faire autrement, vous courez, même pas par peur."
Bien décidé de se faire connaître des milieux journalistiques, Francis Pisani suivra alors l'actualité à Prague, puis la campagne présidentielle américaine. Au final, il fut le témoin, sur trois continents, d'une année extraordinaire dans l'histoire moderne. 40 ans après, il avoue ne rien regretter de ses conceptions de l'époque, même s'il a évolué. Lorsqu'on lui demande si un nouveau 1968 est possible, Il confesse "qu'on a toujours des raisons de se révolter. Il n'est pas dit qu'on ne puisse pas assister à nouveau à des grands mouvements mondiaux de contestation. Cette fois, avec les nouvelles technologies, on pourrait assister à des convergences sur des thèmes communs, comme les prix alimentaires. Mais les mouvements modernes n'ont ni chefs ni icônes."
Spécialiste en nouvelles technologies, il se montre réservé sur le caractère 68ard d'Internet: "dans
les années 1970, on voulait repousser les limites des capacités
humaines. C'était particulièrement le cas chez les Hippies
californiens. Pour cela, les deux produits les plus souvent utilisés
étaient le LSD et les nouvelles technologies: certains combinaient même
les deux ! Internet a servi d'outil à des réseaux naissant. Mais il
n'est en aucun cas l'héritier d'une philosophie 68arde, il est plutôt
le prolongement de la société telle qu'elle est, une nouvelle dimension
de la lutte entre les puissants et ceux qui veulent le devenir. Ce
conflit s'est transposé sur la toile" .
Herwin Bere