Bernadette Lecerf-Thomas apporte des éclairages sur les apports des neurosciences en lien avec le management et le travail collaboratif. En liant les apports des neurosciences aux sciences sociales, elle développe une vision systémique de l'individu et de ses interactions. Dans ce cadre, elle publie régulièrement des petites chroniques, dont voici la dernière :
La simultanéité et l’alternance des rôles, nouveaux enjeux pour le manager/leader/co-équipier exigent de sa part un florilège de compétences. Elles sont également indispensables à ceux qui prétendre être coachs de l’intelligence collective au sein des équipes et des organisations apprenantes. Chacune de ces compétences est liée aux composantes cérébrales qui interagissent quand nous nous concentrons dans un effort cognitif. Ce processus, nous l’exécutons à chaque fois que nous avons le sentiment de réfléchir, que nous prenons le temps de nous poser la question « si, alors ». Dans cet élan, en nous, convergent des éléments venant de notre mémoire à long terme, de nos perceptions, de nos systèmes attentionnels, de nos émotions (et systèmes de reconnaissance) et de nos systèmes moteurs, ceux qui permettent la concrétisation de l’action. Voici donc un tour d’horizon de ce que sont les six compétences clés des managers / leaders / co-équipiers, de ceux qui sont en train d’inventer une nouvelle façon de manager :
La mémoire à long temps nous donne les moyens de savoir utiliser la diversité, la redondance et l’imagination. Les différences entre les individus sont une richesse quand il n’y a pas d’opposition improductive liée à des jeux de pouvoir. La mémoire est un point clé de l’accès à l’imagination. Cette dernière a besoin de la mémoire pour être fertile. Se donner les moyens de l’échange passe par l’usage de méthodologies adaptées, sinon gare aux routines cognitives qui prendront le dessus dans le combat pour l’émergence de la nouveauté.
Nos perceptions offrent une porte d’entrée indispensable pour avoir le sens de l’autre.Dans le jeu collectif, trois trépieds structurent nos perceptions. Avoir le sens du mouvement de l’autre et être capable d’anticiper ses déplacements, sinon point de coordination possible. Avoir le sens des besoins de l’autre, sans le respect et la connaissance des enjeux des différents profils comportementaux pas de possibilité d’interaction fluide. Enfin, avoir le sens du contexte est la clé de l’interprétation fine des situations grâce à une vision systémique des enjeux et des interactions qui déterminent les marges de manœuvre pour la prise de décision.
Échanger les points de vue et trouver de nouvelles perspectives nous est possible grâce au déplacement de notre attention dans différentes directions. Le travail du co-équipier s’éclaire quand il sait vers où il va. Grand utilisateur d’objectifs, le cerveau est soumis à leur connaissance à différents niveaux décentralisées au sein de zones spécialisées. Les neurones pourront ainsi s’activer de façon synchronisée et cohérente. Dans l’action immédiate, comme dans la décision à moyen et long termes, ce sont des objectifs intériorisés qui prévalent en dernier recours. L’échange de points de vue permettra de balayer les enjeux et de partager les connaissances. Le travail de mise en accord sur des objectifs co-élaborés dans la perspective d’une vision partagée, inscrira dans les esprits les repères utilisables dans les décisions quotidiennes.
Afin de négocier sur les critères et les valeurs que nous donnons aux décisions, nos émotions sont les ressources les plus précieuses à condition, toutefois, d’en encourager la sincérité et d’être capable d’en gérer les débordements. Au cœur de la complexité des écosystèmes, le leader comme le manager ou le co-équipier sont soumis à des tensions qui génèrent des réactions émotionnelles nombreuses. Connaître les ressorts émotionnels, en apprécier la valeur sans avoir peur des débordements qu’ils peuvent occasionner est une ressource appréciable. Les neurosciences ont permis de comprendre l’importance des émotions pour l’intelligence humaine, elles sont au fondement de l’énergie vitale. Il est temps de faire l’apprentissage conscient de leur valorisation.
Enfin au moment de la mise en action, il faudra savoir synchroniser nos gestes avec ceux de nos partenaires, qu’ils soient physiques ou cognitifs. Se mettre en phase avec l’autre, comme cet oiseau d’Amérique du sud, le troglodyte maculé, qui chante de façon parfaitement coordonnée avec ses congénères. Savoir que la coordination nécessite la connaissance des options offertes aux autres. Être suffisamment affuté pour que cela provienne de nos mouvements spontanés, c'est-à-dire de ceux qui émanent de routines cognitives. Agir de concert exige du musicien un entrainement mental et corporel. Articuler des connaissances provenant de la technique, du contexte, des objectifs et des probabilités d’interaction avec les gestes des autres est nécessaire pour produire collectivement des mouvements synchronisés dans le feu de l’action.
Une dernière compétence permettra de donner du sens à ce dépassement de soi. La capacité de surmonter certaines ambivalences peut être essentielle afin de garder un lien entre le projet collectif et le projet personnel de chacun. Ce dernier s’il constitue « la motivation première » qui nous fait agir, ne doit pas nous amener à passer à côté d’opportunités d’apprentissages. Le sens donné aux efforts à fournir permet au co-équipier de donner le meilleur de lui-même. Il profite ainsi pleinement de chaque étape de sa vie professionnelle comme d’un jalon sur le chemin de sa propre réalisation.
Bernadette LECERF-THOMAS
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