Depuis des années, nos « bons maitres » nous affirment que les Français ne veulent plus du millefeuille administratif qui, avec ses communes, ses communautés de communes, ses agglomérations de communes, ses pays, ses départements et ses régions, coûte une fortune, a généré l’embauche des centaines de milliers de fonctionnaires territoriaux et crée une totale confusion des compétences et des responsabilités, comme l’analyse Thierry Desjardins. Ainsi, ils nous répètent que le « bon sens » voudrait qu’on supprime l’un des échelons de ce millefeuille et tout le monde pense au département, dont il faut le rappeler, la taille avait, jadis, été délimitée pour que chaque habitant puisse rejoindre la préfecture… à cheval, en une seule journée.
Les Français laissant désormais souvent leur cheval à l’écurie pour prendre leur voiture, la taille des départements semble, en effet, bien petite à l’heure des grands investissements qu’impose le développement économique du pays. Il serait indispensable « de franchir un nouveau pas, vers la décentralisation régionale, pour être en mesure de face face aux défis de la mondialisation », comme l’analysait alors feu Adrien Zeller, président de la région Alsace. Pourquoi alors ne pas supprimer les départements ? Condamner le département à mort, ce serait le destin de cette création révolutionnaire après tout, que de finir sous la guillotine. Et deux cent ans plus tard, le bourreau avait pris les traits d’Edouard Balladur. Dans le rapport qu’il avait remis fin 2009, Edouard Balladur parlait ainsi d’évaporation du département. La manoeuvre était habile. On fusionnait les élus départementaux et régionaux pour mieux perdre discrètement l’échelon départemental. Ainsi, cela fait quarante ans que nos élites - de droite comme de gauche -, veulent la peau du département. Dans un rapport précédent, Jacques Attali avait lui aussi programmé sa disparition en dix ans. Sarkozy avait également promis de ne pas le faire, mais n’en pensait pas moins.
C’est qu’il est reproché aux départements de ne pas être à la taille de l’Europe. Car Bruxelles privilégie les grandes régions, comme la Catalogne, le Piémont ou la Bavière. Mais voilà, les Français eux, en pincent toujours pour le département. Cette raison toute simple, que semble totalement mépriser nos énarques règnant entre le Faubourg Saint-Germain et le Faubourg Saint-Honoré, c’est donc que les Français ne le veulent pas. Le fameux « bon sens » ne va pas dans le même sens à Paris et en province. Le premier référendum du genre, qui a eu lieu, avant-hier, en Alsace et qui proposait aux habitants du Haut-Rhin et de Bas-Rhin de fondre en une seule collectivité leurs deux départements est révélateur. Dans le Bas-Rhin, où le « oui » l’a emporté avec 67,53 % des suffrages, 33,11 % seulement des inscrits se sont déplacés pour aller voter, alors que dans le Haut-Rhin 37,18 % seulement des inscrits se sont rendus aux urnes et le « non » l’a emporté avec 55,74 % des voix. Ainsi, ces 63 % et 67 % d’abstentions prouvent, à l’évidence, que les Français ont, à l’heure actuelle, des préoccupations plus importantes en tête. Or, l’Alsace était, bien-sûr et de toute évidence, la région où ce projet semblait le plus facile à mettre en oeuvre. Plus petite région de France, avec seulement deux départements, elle constitue, par son histoire souvent dramatique et sa culture encore vivace, une entité bien définie. Mais c’était oublier que les Strasbourgeois et les Colmariens ne se sont jamais tellement appréciés, et on toujours considéré que leur ville était la vraie capitale de l’Alsace.
Dans une autre approche, c’est aussi le paradoxe de cette création artificielle, géométrique, que d’avoir fini de créer un lien charnel avec les Français, tandis que les régions, pourtant lointaines héritières de nos chères et vieilles provinces, ne sont jamais parvenues à sortir de leur gangue technocratique. C’est le destin du moderne d’hier, que de devenir le ringard de demain, pour citer Eric Zemmour. La région était la modernité - giscardienne -, des années 70. Elle était en phase avec la voiture et les autoroutes, comme les chefs-lieux des départements furent choisis pour être accessibles en une journée de cheval. Mais cela dit, même cela a changé. Le Train à Grande Vitesse a ringardisé la région. Il a paradoxalement redonné des couleurs au vieux centralisme français. Les décideurs économiques viennent à Paris en TGV. Les régions françaises – même la Bretagne ou la Corse -, ne seront jamais la Catalogne ou le Piémont, qui réfléchissent, elles, très sérieusement à se détacher de leur Etat-nation. Ce n’est ni notre histoire, ni notre avenir. Entre hasard et nécessité, la réforme Sarkozy - poursuivie sous Hollande -, a refondé, sans le vouloir, le vieux couple si français, département-nation, auxquels les Français sont si attachés. C’est ce que l’on appelle une ruse de l’histoire.
François Hollande (qui n’était pas à l’origine de ce projet alsacien, plus lointain) veut réformer, moderniser, clarifier, et même moraliser notre vie politique. Voilà une très bonne idée. Mais il ne faut pas oublier une règle absolue, qui est qu’en démocratie, même si l’on a la vérité infuse, on ne fait jamais le bonheur des peuples contre eux. Le président de la République possède une arme magistrale, qui est celle du référendum, infiniment supérieur à toutes les majorités parlementaires et à tous les sondages (les sondages nous annonçaient que le « oui » l’emporterait avec plus de 75 % des voix en Alsace !). Il doit s’en servir. Cela aurait été d’ailleurs une bonne idée pour l’affaire du mariage dit pour tous, qui a bien inutilement divisé le pays, et fait descendre des centaines de milliers de Français dans la rue…
J. D.