Cette amie m'écrit : " « Bonjour Dominique, J’étais hier soir à la présentation du livre de Michel POLITZER sur son père :
« Les trois morts de Georges POLITZER », en sa présence.
C’est un jeune octogénaire, délicieux, pétillant et émouvant. [...] Tu connais sans doute son père, le philosophe résistant communiste Georges POLITZER, d’origine juive hongroise, qui fût fusillé par les nazis en 1942 (parmi ses œuvres : « Critique des fondements de la psychologie », « Le Bergsonisme, une mystification philosophique », etc…).
Cette soirée était passionnante à plus d’un titre, surtout parce qu’il nous a donné « la chair », mêlant à son histoire familiale, la grande histoire, puisqu’il y fût question de communistes, d’URSS, de nazis, de personnalités, qui déchaînèrent d’ailleurs les passions.
Il avait, Michel, donc, neuf ans, quand son père fût fusillé, et sa mère déportée à Auschwitz, (où elle décéda un an plus tard du typhus) et apprit cette fusillade par un camarade d’école. C’est donc auprès de ses grands-parents maternels qu’il grandit et fût élevé.
Michel POLITZER nous a dit n’avoir gardé absolument aucun souvenir de son père, comme de sa mère : le jour où on lui a annoncé la fusillade de son père, il a perdu complètement la mémoire.
[...]
À 7 ans, on émerge tout juste du monde de la petite enfance, on commence à peine, à entrer dans le monde rationnel, scandé par le temps. On commence tout juste à séparer le monde réel du monde imaginaire. À 9 ans, cette coupure est déjà bien consommée, on est presque un « grand » « raisonnable », en tout cas plus un « petit ».
[...]
Certes, l’effacement de toute mémoire est un palliatif presque incontournable à la souffrance incommensurable que doit ressentir un enfant brusquement arraché à ses parents. Mais, dans bien des cas, documentés, des pans entiers, ou des bribes de souvenirs ressurgissent bien des années plus tard à l’âge adulte ou encore plus tard, à l’occasion d’un événement, ou à l’occasion d’un rien trivial, sans crier gare mais alors qu’on est en mesure d’accuser le coup.
Ce n’est pas son cas : il a bien insisté pour dire que sa vie a commencé (ou recommencé) à 9 ans. Il a bien des photos de lui avec son père, ou en compagnie de sa mère, qui attestent qu’il a bien vécu auprès d’eux, que c’est bien lui, là, aucun doute, mais il dit n’en conserver aucun souvenir, aucune impression. De même, les lieux de son enfance (Biarritz), arpentés de nouveau, ne suscitent en lui aucune émotion, pas le moindre petit frémissement. Et pourtant, il sait bien qu’il y a en lui toute une vie antérieure à ces 9 ans, qui vit là, quelque part, mais il n’en connait rien.
Bien évidemment, la question lui a été posée de savoir s’il n’avait jamais tenté une psychanalyse, à laquelle il a répondu que non, jamais. Il n’en avait tout simplement jamais éprouvé le besoin. Il s’est construit autrement, en élaborant son propre chemin (c’est un artiste peintre, sculpteur, illustrateur).
Si tu as un peu de temps, et de curiosité, ou les deux, je te mets ci-dessous le lien vers un ami qui a tourné de lui un petit film court, d’une dizaine de minutes, où il raconte cela. Cela vaut la peine de le découvrir car c’est un personnage éminemment sympathique et ouvert aux autres :