De ce texte puissant, poignant et édifiant de l'italienne Lina Prosa lu l'an passé au Vieux-Colombier, Christian Benedetti avait annoncé "ne pas vouloir faire spectacle"...
Que ceux qu'une telle déclaration aurait pu laisser sceptiques se rassurent. S'il n'y a rien de "spectaculaire" dans la proposition du metteur en scène et de ses deux comédiennes qui se produisent en alternance (Céline Samie et Jennifer Decker), c'est bien du théâtre qu'ils verront en se rendant au Studio du Français. Et du théâtre qui réveille les consciences. Très fort.
"Lampedusa Beach" donne la parole à Shauba, réfugiée africaine imaginaire au destin inspiré de drames réels et malheureusement récurrents de notre époque, embarquée avec des centaines d'autres sur un navire de fortune en direction de l'Italie (qu'elle n'atteindra jamais), dans l'espoir d'une vie meilleure. A bord l'enfer. Passagers entassés. Violence. Morts. Femmes violées par les passeurs. Le bateau chavire... Ce monologue est celui d'une femme qui se noie. Un chant d'adieu. Un témoignage de l'horreur. Mais aussi et surtout un cri d'alarme à destination d'un monde qui accepte, tolère l'intolérable et pose un voile hypocrite sur ce qui ne devrait exister.
Ecriture sublime. Histoire aussi bouleversante qu'insupportable. Pour que le spectateur entende le propos sans être submergé par une émotion possiblement réductrice et parasite, l'actrice n'incarnera pas Shauba (l'auteure a d'ailleurs souhaité qu'une artiste blanche porte le texte). Elle ne montera pas non plus sur le plateau. Restant en contrebas de celui-ci, la salle allumée, elle se fera l'intermédiaire, la messagère d'un discours vis à vis duquel elle conservera une distance pudique et respectueuse, qu'elle nous le donne à entendre de sa bouche ou via un enregistrement diffusé depuis son mobile.
Dans cet exercice délicat, compliqué, Céline Samie que nous vîmes l'autre soir se révèle sobre, intense, habitée, investie, touchée, engagée. Elle parvient, en même temps, à mettre en lumière l'évidente poésie du texte ainsi que sa dimension politique.
Dans la salle, le public est d'abord cueilli par la forme inhabituelle de ce qu'on lui offre, puis saisi par la force d'une représentation incitant à agir et réagir.
Allez-y !
Jusqu'au 28 avril.
Photos : Cosimo Mirco Magliocca