Unique femme à avoir été premier ministre du Royaume Uni, Margaret Thatcher est décédée aujourd'hui, lundi 8 avril. Devenue une sorte d'icône dans son pays, elle a toujours été détestée dans le nôtre. Pourtant, nos politiques mériteraient de s'en inspirer.
Par Serge Schweitzer.
Ces derniers mois ont été l’objet d’un débat en Grande-Bretagne pour savoir si à sa mort il faudrait lui faire des funérailles nationales. Ces dernières sont réservées à la famille royale avec une seule exception dans toute l’histoire du Royaume-Uni, celle de Winston Churchill. Notons, non sans intérêt, qu’elle est le seul Premier ministre de toute l’histoire de la Grande-Bretagne dont la statue a été érigée dans le hall de la Chambre des Communes de son vivant. Même Churchill avait dû attendre cinq ans après sa mort. Elle ne fut jamais battue lors des élections générales où elle triompha à trois reprises consécutives. Elle ne doit son départ après onze ans et demi de pouvoir suprême que par la force d’un putsch à l’intérieur de son propre parti. Jamais depuis le XVIIIème siècle une telle longévité ne s’était vue. Autrement dit, dans son propre pays, elle est aujourd’hui une sorte d’icône et chacun reconnaît que les travaillistes depuis Tony Blair se sont inscrits très largement dans son sillage.
À tout le moins ils ne sont revenus sur aucune de ses grandes décisions. Juger de sa réussite est assez simple pourvu qu’on y apporte un léger correctif dont elle n’est non seulement pas responsable mais qui explique sa première élection en 1979. Ce correctif c’est d’avoir trouvé une situation tellement dégradée qu’il a été possible de rebondir sur de tels décombres. L’opinion était largement prête à entendre le propos selon lequel si la Grande-Bretagne des années 70 était l’homme malade de l’Europe c’était à cause du mélange délétère d’être le laboratoire de l’État-providence et de politiques économiques conjoncturelles fortement erronées, alternances de politiques monétaires laxistes suivies de coups de freins brutaux. Les conservateurs avaient du reste tout autant échoué que les travaillistes et le salut ne résidait pas dans l’alternance partisane mais dans la rupture doctrinale.
La situation de la Grande-Bretagne en 1979 était presque comparable à celle de la Grèce d’aujourd’hui et le pays avait dû solliciter en catastrophe l’aide financière du FMI. En quoi consiste le thatchérisme ? C’est la fusion et l’alchimie de plusieurs éléments. D’abord une personnalité hors du commun. Elle fut si ferme dans ses convictions que ce sont les soviétiques qui la surnommèrent la Dame de Fer. Les dirigeants soviétiques aiment les rideaux du même matériau que les dames. Ils ne croyaient pas cependant si bien dire. Elle traversa bien des épreuves mais ne céda devant aucune pression. Ce sont ensuite des convictions. Cette dimension n’est presque jamais évoquée. Elle est pourtant la plus décisive. Madame Thatcher s’est nourrie intellectuellement auprès des plus grands économistes libéraux morts ou vivants et ses convictions n’étaient pas personnelles mais des certitudes scientifiques. Quand elle est parvenue au pouvoir elle savait parfaitement où il fallait aller et comment. Ce n’est pas elle qui aurait pris prétexte du nom de pragmatisme comme alibi de toutes les reculades dès que des groupes de pression sont menacés dans leurs intérêts.
Le thatchérisme est une confiance dans la trilogie liberté, responsabilité, propriété et c’est la mise en œuvre constante de quelques idées simples sur la taille de l’État, les bienfaits de la concurrence, le stimulant du profit, les vertus du libre-échange. Le thatchérisme, c’est la compréhension que la richesse des nations dépend de deux éléments. D’une part, l’incitation des uns à créer et celle des autres à être stimulés dans leur travail, à commencer par une fiscalité non spoliatrice.
Le thatchérisme, c’est enfin une volonté. Le pays est attaqué à des milliers de kilomètres de son sol par l’Argentine pour quelques arpents de terre arides et ventées. Elle répond que c’est une question de principe et c’est la guerre des Malouines. Les syndicats sont depuis longtemps sortis de leurs prérogatives avec le système du "closed shop", c’est-à-dire l’impossibilité d’être embauché dans certaines entreprises si on ne possède pas sa carte syndicale. Elle y met bon ordre. Les mineurs tout-puissants qui terrorisaient les gouvernements depuis 30 ans entament l’épreuve de force, elle anticipe le conflit, tient contre vents et marées pendant plusieurs mois de grève. Les mineurs reprennent le travail. Des militants de l’IRA estiment qu’ils ont droit à un statut de prisonniers politiques alors qu’ils sont en prison pour actes de terrorisme, elle leur dit qu’elle ne cèdera pas. Qu’à cela ne tienne, ils entament une grève de la faim. Elle leur répond que c’est leur problème. Dix d’entre eux meurent. Ils finissent par s’arrêter. Elle a encore gagné.
On ne veut pas infliger aux lecteurs la longue litanie des indices économiques à son arrivée au pouvoir et à sa sortie. Ce n’est que l’écume de la vague en rapport avec la remarque qui suit. Lorsqu’elle prend en main les destinées du pays en 1979, la Grande-Bretagne est la risée de toute l’Europe. Lorsqu’elle quitte le pouvoir, la Grande-Bretagne a presque rattrapé la France. Elle devient peu après la deuxième économie d’Europe et même si elle traverse, elle aussi, des difficultés certaines, la Grande-Bretagne aujourd’hui a pris le dessus sur la France.
Bien sûr elle a eu des limites. Une excessive confiance en elle l’a rendue aveugle sur certains sujets. Elle n’a pas su s’effacer et comprendre qu’après onze ans et demi de pouvoir la génération suivante de ses propres amis désespérait tellement d’arriver un jour au pouvoir qu’elle l’a renversée. Elle n’a pas toujours su communiquer. Et si elle n’a sans doute pas la stature d’un Richelieu, d’un Mazarin, c’est qu’elle n’a pas toujours été une très bonne stratège. Il est de bon ton dans un article dit équilibré de ne pas s’engager, de ne pas répondre à la question et d’écrire au maximum oui mais… ou non mais… Nous laissons ces coquetteries aux confrères qui survivent à toutes les conjonctures et peuvent passer en vingt-quatre heures du Figaro à Marianne ou de la direction du Nouvel Observateur à celle du Point. Nous n’aurons pas cette coquetterie et nous répondrons très clairement : oui il faut une (un) Thatcher à la France. Le débat est ouvert. Que tous ceux en accord ou en désaccord avec nos propos prennent leur clavier et entament un débat fructueux.Source : Libertarien TV.
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Une première version de cet article a été publiée dans nos colonnes le 19.03.2012.