Des chiffres, des sons et des images : Huit et demi et Quartet

Publié le 08 avril 2013 par Petistspavs

Mes deux films de la semaine. Je ne tiens pas à parler du troisième, Les amants passagers, film sympathique et souvent drôle, mais qui m'a (presque) constamment donné l'impression que Pedro Almodovar s'était trompé d'avion. Dommage, j'ai l'impression qu'un meilleur réglage entre les graves (trop faibles) et les aigus (trop criards) aurait conduit à un grand film.

Et puisque l'actualité est, pour une fois, mais pour partie seulement, souriante, je dédie ce papier à Bobby Sands, poète irlandais, membre de l'IRA et député du Royaume Uni, ainsi qu'à ses neuf camarades morts à la suite d'une grève de la faim ayant pour but la reconnaissance de leur statut de prisonniers politiques. Ces dix hommes sont morts les uns après les autres, entre le 5 mai 1981 et le 20 août de la même année, en raison de la glaciale indifférence d'une amie intime d'Augusto Pinochet. Une tournée générale de Kilkenny, c'est moi qui paie et comme disent les britishes, c'est mon plaisir.

Huit et Demi, Federico Fellini, 1963

Philosophons le cinéma, quelques secondes. Vous ne trouvez pas que hiérarchiser les films, dire quel est LE plus grand film de la création (alors que, franchement, qui serait capable de dénoncer, à l'autre bout du tube digestif cinématographique, le PIRE film de l'Histoire ?) est assez vain ? Je me dis ça parce que j'ai récemment évoqué Potemkine et Les misérables (de Raymond Bernard), considérés à raison comme des oeuvres marquantes et j'ai envie d'écrire quelques lignes de Huit et demi, (Otto e mezzo) monument de la grande époque italienne, opportunément diffusé par La Filmothèque du Quartier Latin dans une version merveilleusement restaurée. Image sublime. Son correct. Oeuvre opératique pouvant revendiquer la place de meilleur film de l'Histoire. Sauf que, qui peut savoir ? Par exemple, j'ai longtemps pensé que Huit et demi était LE chef-d'oeuvre de Fellini, jusqu'à, il y a quelques années, revoir La dolce vita et franchement, en comparant, ça se discute. Alors, en tant qu'ancien militant du PSU, je propose une motion de synthèse. Il n'y a pas lieu d'opposer La dolce vita et Huit et demi (vous avez remarqué comme on est habitué à écrire ou prononcer l'un des titres en italien, l'autre en VF ?), car les deux sont unis par un lien de gemellité, l'un ne pouvant vivre sans l'autre sans perdre son identité.

Guido (Marcello), cinéaste à succès impuissant à entreprendre un nouveau film, va traîner son spleen et sa dépression dans une station thermale à la mode, où il se laisse littéralement dévorer par ses souvenirs, ses fantasmes, ses rêves, les personnages de son passé, les personnages de ses films. Des connaissances à lui le cotoient, son producteur paternaliste, un scénariste marxiste pédant, sa maitresse, sa femme, mais il ne cesse d'osciller entre une réalité impropre à raidir son inspiration et un monde intérieur où il peut alterner les rôles, cinéaste, amant, enfant, maître de cérémonie, rêveur sans limites, seigneur et tyran de son harem.

Huit et demi est le film de l'osmose. Entre un réalisateur et son comédien,  Marcello Mastroianni semblant un double, un clone de Federico Fellini. Osmose entre un réalisateur et son film, tant, on le sait maintenant, Fellini s'est révélé (dans le sens où, à l'époque, on révélait une pellicule) dans le personnage de Guido, se montrant sans aucune pudeur sur l'écran en Guido, montrant aux spectateurs un film sur l'impossibilité de faire un film, quand on a signé quatre ans auparavant La dolce vita et que pour toutes sortes de raisons, on ne s'en remet pas (du succès, du scandale, de l'image publique que La dolce vita renvoyait de Fellini). Osmose enfin entre un réalisateur et son musicien. Car, même si on entend beaucoup Mozart, Rossini ou Wagner (La Walkyrie, deux fois) on a le sentiment que sans la musique de Nino Rotta, le film n'existe pas.

La scène presque finale, celle de la grande synthèse, dans laquelle tous les personnages se retrouvent dans une ronde sans fin, tout le monde ne l'a pas vue, mais tout le monde en connaît la musique, celle de Nino Rotta. On a rarement vu (entendu ?) une telle synergie entre un réalisateur et un musicien, un mouvement en images et un son en mouvement. Hitchcock et Bernard Hermann, sans doute. Mais Hitchcock n'a pas fait TOUTE sa carrière aux côtés d'Hermann, même si j'imagine qu'il a souffert lorsque sa production a décidé de virer son compositeur après Marnie, dont la musique était pourtant magnifique. La scène finale de Huit et demi nous entraîne vers les marges de l'opéra, du cirque,  des arts de rue, du cinéma. La partition bien connue de Nino Rotta y est pour beaucoup. Je ne vous la fais pas entendre, tout le monde la connait, mais voici, à titre d'hommage, un morceau de sa partition.


Quartet,  Dustin Hoffman, 2012

Je partais pour détester Quartet, un film BBC que la BA (il faudrait boycotter les BA) montrait propre, lisse, bien ficelé dans son humour anglais, parfait dans son costume croisé. Je tenais à le voir uniquement pour Tom Courtenay, un des acteurs les plus associés à ma découverte du plaisir d'aller au cinéma. A l'arrivée, après être constamment passé du rire (ce qui n'était pas gagné ce jour-là) aux larmes, par des émotions de qualité, j'admets que le premier film de Dustin Hoffman est une pure merveille. Quelle idée de devenir réalisateur à 75 ans, après une carrière d'acteur assez peu rectiligne, me demandais-je ? Quelle bonne, quelle merveilleuse idée, car son expérience d'acteur "qui a tout fait dans ce métier", lui permet d'obtenir de ses propres acteurs un don, comme tombé du ciel étoilé d'Hollywood. Car si la production est british, la manière est hollywoodienne et du meilleur Hollywood, celui qui fai(sai)t rêver, avec de l'action, des personnages, des émotions. Et les acteurs sont fantastiques. J'ai même envie de citer le nom des Quatre : l'impériale Maggie Smith en Jean Horton, l'élégant Sir Tom Courtenay en Reggie Paget, le pétillant Billy Conolly en Wilf Bond, érotomane extraverti et l'adorable Pauline Collins en Cissy Robson, vieille petite fille malicieuse et émouvante, collée à son sac de voyage comme à un doudou.

Le pitch, d'anciens chanteurs lyriques reprenant du métier pour un gala censé sauver (au moins provisoirement) leur maison de retraite pour artistes has been, ne doit pas faire illusion. Ce premier film de facture classique, impeccablement filmé de façon très alerte dans une ambiance british du meilleur goût, est un regard sans concession sur le vieillissement, la perte de ce qui fut et de ce qu'on fut, l'illustration mélancolique du fameux "on ne peut être et avoir été" et, au final, à travers le personnage bouleversant de Jean, l'ancienne Diva, l'acceptation de soi, du drame indicible du temps qui passe et emporte tout, notamment les illusions, l'acceptation de ce ce qu'on est devenu, même si ce qu'on est devenu ne nous séduit pas. 

Une scène montre Jean dans son propre appartement désormais désert attendant la voiture devant la conduire à la maison de retraite. Elle est là, elle est seule, elle n'est déjà plus là, elle n'est déjà plus dans sa propre vie. C'est une des scènes (il y en a d'autres) qui font que ce film, par ailleurs agréable, échappe à la banalité et, disons-le, tant le risque en était grand avec un tel sujet, à la vulgarité. Une des grandeurs de Dustin Hoffman réalisateur-producteur est d'avoir su protéger son film contre les intrusions de la facilité, des "scènes à faire", des bons vieux clichés. On imagine -- je m'adresse à celles et ceux qui ont vu le film -- ce qu'aurait pu devenir la scène de la rencontre entre Reggie (Tom Courtenay) et un jeune rappeur assistant à une de ses conférences. Le ridicule guettait, Dustin, comme un Clint Eastwood des meilleurs jours, le renvoie à la niche et nous sert une scène absolument pas prosélyte sur le respect entre générations, entre cultures opposées, entre origines ethniques et sociales différentes, entre visions autres de la vie et du monde. Une scène drôle, au surplus, mais à l'émotion rentrée.

Quand le cinéma anglo-américain nous sert un produit certes classique, mais plein d'humour et d'émotion, de douceur, un film intelligent qui ne se berce pas d'illusions sur son sujet (oui, la vieillesse est un naufrage, mais on peut couler avec la dignité d'un Capitaine Courage), j'en redemande et je vous en recommande le plaisir.

Sinon,

MK2 s'associe à BREF, la magazine du court-métrage pour une initiative qui a la couleur de la séduction : montrer des courts, apparemment inédits, de cinéastes français dont les films sont ou seront à l'affiche dans la période. Letourneur et Anspach qui nous ont émerveillés il y a un an (Le marin masqué) ou un mois (Queen of Montreuil) seront représentés avec d'autres jeunes réalisateurs.

Au programme :

La tête dans le vide de Sophie Letourneur
Autour des Coquillettes (sorti depuis le 20 mars)
Anne et les tremblements de Solveig Anspach
Autour de Queen of Montreuil (sorti depuis le 20 mars)
La petite cérémonie et Mauvaise graine de Bénédicte Pagnot
Autour des Lendemains (sortie le 17 avril)
Thermidor de Virgil Vernier
Autour d’Orléans (sortie le 1er mai)
Nous nous plûmes de Jérôme Bonnell
Autour du Temps de l'aventure (sortie le 10 avril)
Tarif : 7, 20 €
Cartes illimitées acceptées 
Programme détaillé : ICI

[Oui, ce qui précède fait un peu pub, mais promouvoir la distribution du cinéma indépendant n'a rien à voir avec une pub commerciale]