« Le train où vont les choses… » : l’ultime voyage de Philémon.

Publié le 08 avril 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

 « Fred, lui, il est facile à dessiner, c’est jamais qu’une paire de merveilleuses bacchantes, avec de la viande autour, et du talent dedans. » (Gotlib)

« Il y avait ceux qui taillaient leur route à coups de coude, à coups de dents, à coup de lèche. Il y avait ceux qui n’acceptaient pas la plongée délibérée de la presse d’humour vers la médiocrité et qui s’obstinaient à présenter des dessins qui leur restaient sur les bras. Fred était de ceux-là. Il l’est toujours. » (Cavanna)  

« Hum, bof, le fond de l’air est frais. » (Fred)

Devezh mat, Metz, mont a ra ? Il y en aura eu, des morts cette année ! Rien que la semaine dernière, Guy Cotten nous quittait, mais c’est quand même Fred, le créateur du Petit cirque et de Philémon, décédé exactement le même jour, que je pleure le plus. Co-fondateur de Hara-kiri et pilier de Pilote, il nous a quittés quelques semaines à peine après la sortie de son tout dernier album, qui clôt les aventures de Philémon, son héros fétiche, Le train où vont les choses… Quelques mots sur le dernier chef-d’œuvre du maître.

Tout commence avec une fumée étouffante qui rend irrespirable la cambrousse où Philémon a l’habitude de chevaucher son âne Antatole : c’est déjà embêtant, mais il se trouve que cette fumée vient de la lokoapattes (ne l’appelez pas loco à pattes, elle est très susceptible), qui se retrouve embourbée, ce qui est très grave car elle tire le train où vont les choses. Pour la faire redémarrer et ainsi empêcher les choses de s’immobiliser, il lui faut son seul et unique carburant : la vapeur d’imagination…

Et oui, vous avez compris : cette lokoapattes enlisée que Philémon et Barthélémy vont essayer de faire redémarrer représente le pire cauchemar qui soit pour un créateur : l’imagination tarie. La stérilité aurait pu guetter Fred, après quinze albums de Philémon où le dessinateur avait donné un libre cours à son imagination débridée, créant les univers et les créatures les plus extraordinaires qui soient : comment aller plus loin encore, surtout quand on traverse une crise morale et qu’on rencontre des problèmes de santé (cf. la préface de Marie-Ange Guillaume) ? C’est donc son combat contre l’épuisement de l’inspiration que Fred a mis en scène dans cet ultime opus ; combat victorieux puisque, durant les vingt-six ans d’absence de Philémon, Fred avait tout de même sorti L’histoire du corbac aux baskets et quelques autres merveilles.

Aussi, désireux de conclure la saga de Philémon en montrant à ses lecteurs que le combat contre le manque l’inspiration n’est jamais perdu d’avance, Fred s’est acharné jusqu’au bout pour conclure Le train où vont les choses mais n’a pas pu faire face à l’épuisement de ses ressources physiques et a donc opté pour une fin différente de celle qu’il aurait peut-être donnée au récit ; je ne vais pas vous dire précisément de quoi il s’agit, mais sachez qu’il manifeste l’assurance pour l’auteur d’avoir accompli son devoir de créateur jusqu’au bout et d’avoir fourni aux générations postérieures suffisamment de carburant imaginaire pour créer du neuf à leur tour et ainsi faire avancer les choses ; Le train où vont les choses aurait pu laisser le lecteur sur sa faim du fait de son état d’inachèvement, il clôt admirablement la série en invitant chaque lecteur à relire les aventures de Philémon depuis le débutet  ainsi engranger de la matière pour faire avancer toutes les lokoapattes du monde.

Vous l’aurez compris, je ne vois absolument pas ce qu’a de « macabre », de « glaciale » et de « sans appel » la conclusion des aventures de Philémon, comme l’a écrit Stéphane Beaujean dans Les Inrockuptibles du 6 mars dernier ; mais bon, je ne fais pas partie de l’élite des critiques éclairés, moi ! Pfff… Salut, Fred ! On a bien raison, de dire que ce sont les meilleurs qui s’en vont les premiers, tiens… Kenavo, les aminches !

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