Nous marchions le long du littoral, le temps était couvert mais doux. Les vagues avaient sorti leurs plus belles écumes, cherchant à caresser nos pieds et ça
sentait bon l’iode et les coquillages. Nous nous étions fixé pour but d’aller jusqu’au phare, tout là-bas. Il était légèrement embrumé et le vent commençait à se lever mais qu’importe ! Nous
connaissions bien des cachettes derrière les dunes, il sera facile de s’y abriter. Oh mais c’est qu’Eole ne le voyait pas du tout du même œil et devenait menaçant : il se mit à souffler,
souffler si fort que les nuages entamèrent une danse, une sorte de farandole et nous envoyèrent une rafale de sable en pleine face, nous empêchant de remonter à contre-courant. Nous aurions eu le
vent dans le dos, nous aurions rejoint les mouettes dans le ciel mais ce n’était pas le cas et les mouettes ne riaient plus. Le tableau était cependant magnifique : une fine couche de grains
ondulait à fleur d’eau, comme dessinée et formant une seconde mer. Dans cette tempête où nous luttions pour ne pas nous envoler, il était impossible de bifurquer pour chercher quelque abri. Nous
n’avions même pas de quoi nous amarrer, c’était le désert. Isabelle n’arrivait plus à suivre, je la voyais perdre du terrain et pour cause : elle avait les yeux tout rouges et semblait
aveuglée, se plaignant de douleurs. J’ai vite compris que le vent mauvais avait assailli ses prunelles et ensablé ses iris. Nous avons du stopper notre virée et attendre que les dieux se calment.
J’ai bien essayé de lui rincer l’œil avec ma bouteille d’eau mais elle avait reçu une telle dose que même pleurer à chauds sanglots ne la soulageait pas. Je tentais d’appeler les pompiers avec
mon portable mais en vain : il était enrayé lui aussi. Oh rage, toujours ce petit grain de sable qui s’incruste partout ! Puis je me suis souvenue qu’un peu plus loin, installé dans un
blockhaus, il y avait un poste de secours. L’espoir donnant des ailes, nous nous remîmes en marche et enfin se dessina cet amas de béton salvateur. Ils lui ont rincé l’œil à nouveau mais cette
fois ci avec des produits appropriés. Elle se reposa un peu et nos maîtres nageurs experts nous conseillèrent d’aller à la pharmacie la plus proche, c’est-à-dire de l’autre côté des dunes, au
village. Nous voici donc repartis pour un trajet qui, à vol d’oiseau, se fait en deux temps trois mouvements mais crapahuter dans les dunes requiert de bons mollets. Je monte et je descends, je
remonte et je redescends… Nous avons fini par fabriquer des luges avec nos blousons pour avancer plus vite et nous avons chopé l’ivresse des pentes ensablées. Plus rien ne nous arrêtait sauf…
Euh… le bras de mer qui s’était offert le luxe de traverser ce désert et plouf ! A l’eau nos gais lurons. Ce plongeon tombait à pic, Isabelle s’est à nouveau rincé l’œil et l’horizon
s’éclaircissait pour elle. Pour le coup, elle piqua un fou-rire et remplit généreusement la lagune de ses larmes joyeusement salées.
Méli-mélo d’euphories et d’amertumes, sucré salé sablé, chaleur et humidité : une
épaisse brume envahit soudainement les dunes, brouillant nos pistes et effaçant nos traces. Que n’avons-nous pas eu le génie du Petit Poucet ! Point de galets dans nos poches mais des grains
de sable à foison s’étant invités à notre insu et alourdissant nos pas peu rassurés à cet instant. La ville était toute proche maintenant, nous aurions dû apercevoir au moins, la croix verte
fluorescente de la pharmacie. Dans ce dédale de brouillard, il est facile de dévier de la ligne droite, de s’enfoncer de pièges en pièges, de tourner en rond et de perdre toute notion
d’orientation. Nous étions perdus et essoufflés, l’inquiétude nous envahissait quand Ô miracle de la marée, une trouée dans le ciel pointa son nez et chassa l’imposante brouillasse. Certainement
confuse, l’étoile du nord s’était faite toute petite et ne nous guida pas. Ce n’était d’ailleurs pas son heure. C’est comme ça au bord de la mer, le temps change en une fraction de seconde et
nous, pauvres hères, nous errons.
Mais ne nous égarons pas ! Il nous faut désormais sortir de ce faux Eden et nous
procurer ce fameux médicament miracle qui transformera le grain de sable en poussière volatile et s’en ira poser ses marques ailleurs que dans nos pupilles. Puisque la vue nous était bouchée,
nous nous sommes reportés sur l’ouïe. En tendant bien nos oreilles et après les avoir débarrassées de ces toujours petits grains pervers, une musique nous parvint puis des rires d’enfants.
C’était le vieux manège aux chevaux de bois. Euréka ! La pharmacie est à deux pas. En trois bonds de liesse, nous avons avalé les quelques derniers mètres. Isabelle reçut son nouveau
traitement et nous sommes allés fêter cela chez le glacier du coin. Repos bien mérité, cornets vanille/pistache fortement appréciés !
Loin de piquer notre fard quant à la mésaventure, nous avons quand même rejoint le phare
mais par les voies civilisées cette fois-ci. Quelques haltes s’imposaient de temps à autre, histoire de chasser ces petits grains de sable qui s’étaient collés aux sandalettes et ne lâchaient
prise. Une fois notre but atteint, les cheveux au vent et un coucher de soleil plein les mirettes, un petit grain de folie nous envahit, un rire nerveux ? A moins que la brise du large ne
nous grisa.