Je ne saurais bougonner au sujet des salons du livre qui fleurissent un peu partout avec les jonquilles. C’est souvent l’occasion pour les auteurs de rencontrer des lecteurs qui ne franchissent jamais la porte d’une librairie pour autre chose que l’achat d’une carte postale pour l’anniversaire du petit. Sous de vastes chapiteaux qui donnent à la manifestation des airs de cirque Barnum, des piles et des piles de livres s’offrent au chaland. De larges allées lui sont d’ailleurs réservées où il pourra circuler facilement le vendredi, s’entasser le samedi, se croiser le dimanche matin après la messe et se baguenauder après le gigot le dimanche après-midi. Tapis dans l’ombre de leurs ouvrages, les auteurs guettent l’aventurier en quête de voyages au-delà de lui-même. Certains expliquent, argumentent, extrapolent et parfois griffonnent une longue dédicace avant d’apposer un paraphe de star des lettres en dépit de leur confidentialité. D’autres las de ne rencontrer que regards fuyants et dubitatifs, accrochent par la manche, sollicitent et quémandent avant de se recroqueviller, dépités, dans l’ombre de leur génie méconnu. D’autres enfin affichent une moue de bon aloi. « Je ne suis ici que par la force des baïonnettes de mon éditeur. Mon véritable domaine est ailleurs ». Les organisateurs ont en effet prévu à l’intention de ces derniers des colloques solennels où ils peuvent doctement exposer leur brillant esprit universitaire. Et tout aussi farauds que M. Jourdain apprenant qu’il pratique couramment la prose leurs auditeurs les applaudissent avec ferveur pour leur avoir glissé dans la tête un superbe aphorisme aux reflets érudits. Ils connaissaient les vaches couleurs de vaches, ils apprennent qu’il en est des bleues qui se nourrissent de chocolat. Jamais ils n’auraient osé atteindre une telle performance. Comme la ménagère qui ignorait encore qu’elle lavait plus blanc que blanc, ils savent désormais qu’ils peuvent tutoyer les sommets. La science et la littérature n’auront guère avancé. Eux auront côtoyé les couches stratosphériques de la culture. Le conférencier dédicacera ensuite cinq exemplaires de son ouvrage de référence qui rejoindra probablement l’étagère du haut de la bibliothèque de son acheteur. Au-dessus des livres de recettes de cuisine recommandés par sa chaîne de télévision préférée, les bandes dessinées du petit qui a maintenant grandi jusqu’à le dépasser et les romans d’amours offerts à son épouse. Demain, les libraires réintègreront leurs officines, les toiles du chapiteau leurs emballages et les voitures leur place habituelle de stationnement. La vraie vie retrouvera sa normalitude ordinaire. Mais c’est à ce prix que l’on voit combien ces célébrations sont édifiantes sinon même incontournables.