D’un quartier qui n’existe pas (administrativement), celui
dit du Panier, à Marseille, Florence Pazzottu a tiré des poèmes, en vers
ou en prose, qu’elle qualifie de compositions d’après nature. Cela dit, même
si transparaissent toujours des référents que l’on peut supposer originels
(scène, visage ou fait de langage),
chaque texte constitue une tentative singulière de manifester cet inguérissable
étonnement qui l’a suscité par sa propre forme à la fois liée aux
circonstances et les dépassant, le tout rendu indissociable dans le mouvement
qu’est l’acte d’écrire – ce que confirmerait en partie la citation liminaire de
Braque : Travailler d’après nature, c’est improviser.
D’emblée, l’accent est mis sur le fil du regard relayé par celui
de l’écriture, cette importance accordée au visuel étant ici soulignée au long de
l’ouvrage par les photographies en noir et blanc de Giney Ayme qui résonnent
avec les textes en gardant la même qualité d’attention et, souvent, d’humour
léger.
Par ailleurs, la volonté d’user des mots de tout le monde cherche
ostensiblement à ce que les silhouettes (Les enfants d’ici sont des
funambules) ne tombent pas en solitude sans espoir, ce qui donne
lieu à des textes résolument tournés – ou plutôt tendus : il faut
pouvoir appeler à soi une chose précise – vers autrui où la dimension
sociale, voire politique, apparaît au travers l’image d’un quartier où une main
posée sur un cou peut évoquer autant la tendresse que l’étranglement. Evidemment,
il ne s’agit pas là d’une écriture militante mais véritablement engagée,
c’est-à-dire qu’elle n’hésite pas à se risquer dans toutes les directions, y
compris dans celles qui relèvent de la sphère civique.
Quant au sujet du titre (qui désigne aussi bien l’autre en soi et y faire deviner
la faille, l’irréparable perte), la question de sa place se pose au moins
dans la mesure où chaque texte tente sans cesse de la délimiter dans cette jouissance
pure qu’(est) l’irruption dans l’espace libre, vertigineux de la parole. Pour
cela, si Florence Pazzottu sait reconnaître l’inadéquation fondamentale de
l’écriture pour rendre compte de l’expérience du monde (1), elle ne renonce pas,
bien au contraire, à la travailler, à lui donner forme de multiples façons. Du
coup, ces béances (2) peuvent offrir autant d’appuis, de moyens de garder un équilibre
précaire – et d’avancer sur le fil de la langue.
contribution Bruno Fern
(1) Rien qu’en évoquant malicieusement, par exemple, la
surprise d’un enfant face à une phrase où le sujet (justement) est
inversé : - mais si c’est lui qui va… pourquoi est-il derrière ?
(2) Ce que Christian Prigent, entre autres, exprime dans son ouvrage L’incontenable
(P.O.L., 2004) : «La poésie tâche à désigner le réel comme trou dans le corps
constitué des langues. »
sur ce livre voir aussi les contributions de Georges Guillain et de Florence Pazzottu elle-même dans le cadre du Prix des Découvreurs de la ville de Boulogne-sur-Mer
Florence Pazzottu dans Poezibao :
bio-bibliographie,,
extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, extrait 5, extrait 6 et revue Amastra-N-Gallard,
lecture de l'Inadéquat, extrait 7,
lecture en trio à la Maison de la Poésie de Paris (mars 06),
entretien avec Elke de Rijcke,
La Place du sujet (parution),
autour de la Place du
Sujet (prix des découvreurs),
sator, présentation,
La tête de l’homme (parution)