La privatisation de l’Europe

Publié le 08 avril 2013 par Eldon
Le Monde LibertaireL’Union européenne connaît actuellement la plus grande crise économique depuis sa fondation il y a vingt ans. La croissance économique s’effondre : l’économie de la zone euro s’est contractée de 0,6 % au quatrième trimestre 2012 et cette baisse va continuer. La crise de l’euro a été faussement attribuée aux dépenses publiques, et la mise en œuvre de réductions de dépenses et l’accroissement des emprunts ont entraîné une augmentation des dettes nationales et la montée du chômage.Les dettes publiques des pays en crise ont grimpé de façon prévisible : les taux les plus élevés de la dette par rapport au PIB pour le troisième trimestre de 2012 ont été enregistrés en Grèce (153 %), en Italie (127 %), au Portugal (120 %) et en Irlande (117 %).
Les États membres de l’Europe ont réagi en mettant en place des programmes d’austérité sévères, procédant à des coupes drastiques dans les services publics et dans la protection sociale. Ces mesures sont à l’image des politiques d’ajustement structurel si controversées qui ont été imposées aux pays en développement au cours des années 1980 et 1990, politiques qui ont discrédité le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
Les résultats des mesures mises en place en Europe, comme celles qui ont précédemment été imposées aux pays du « Sud », ont sanctionné durement les plus pauvres, alors que les Européens les plus riches – y compris l’élite bancaire qui a provoqué la crise financière – sont sortis indemnes ou même plus riches qu’avant. Au-delà des effets immoraux et désastreux des coupes inutiles, on constate que la Commission européenne et la Banque centrale (soutenues par le FMI) tentent systématiquement d’accroître la déréglementation de l’économie européenne et de privatiser les biens publics.Enraciner le mal
L’ironie de l’histoire, c’est que la crise économique, que beaucoup ont désignée comme la « mort du néolibéralisme », a plutôt été utilisée pour enraciner le néolibéralisme. Cela a été particulièrement évident dans les pays en crise de l’Union européenne comme la Grèce et le Portugal, mais c’est vrai de tous les pays de l’UE.
On assiste en ce moment, à travers toute l’Europe, à une véritable liquidation des services publics et du patrimoine commun. Cette liquidation, accompagnée de mesures de dérégulation et d’austérité, est un désastre pour la population.
Ceux qui ont gagné, ce sont les grandes sociétés privées qui se sont approprié à bas prix le patrimoine qui appartenait à tous ; ceux qui ont gagné, ce sont les banques impliquées dans des prêts hasardeux et qui ont été renflouées par l’argent des citoyens… afin de pouvoir continuer à s’approprier le bien commun.
La crise de l’euro a ses racines dans la doctrine économique dite néolibérale, doctrine économique qui a été mise en œuvre et planifiée au cours des trois dernières décennies. Cette doctrine peut se résumer de deux manières : 1. C’est la reprise en main totale de l’économique et de la politique mondiales par les actionnaires des grandes sociétés, qui exigent un taux de rendement invraisemblable à deux chiffres. 2. C’est la tendance à considérer que tout ce qui existe sur la planète doit pouvoir être acheté.
Le néolibéralisme favorise la domination des grandes firmes sur la société à travers la privatisation du secteur public et la déréglementation des marchés financiers. En règle générale, il considère que les droits des travailleurs, les impôts, la protection de l’environnement et la protection sociale sont des obstacles qui interfèrent avec la réalisation de profits à court terme. Les pires chocs économiques provoqués par les forces déréglementées du marché avaient jusqu’alors lieu dans le Sud. Cette situation a changé en 2007-2008 lorsque la crise bancaire américaine a éclaté et s’est ensuite propagée à l’Europe, précipitant la crise de l’euro.Des « crises » et des banques
La crise financière précédente qui a affecté les États-Unis fut la Grande Dépression, après quoi la loi Glass-Steagall fut adoptée en 1933 pour réglementer les banques et contrôler les capitaux. Cette loi plafonnait le taux de rémunération des dépôts bancaires à terme.
Au cours de l’ère Reagan, toutefois, les marchés financiers furent déréglementés et on assista à une augmentation du nombre de crises graves partout dans le monde. Les États-Unis ont ignoré toutes ces mises en garde et, sous la présidence de Clinton, la loi Glass-Steagall fut abrogée en 1999. Le système financier américain a connu une croissance rapide grâce aux acquisitions de masse et à la fusion des activités de banque de détail et d’investissement.
Les banques sont devenues « trop grandes pour faire faillite », selon la formule consacrée, ce qui leur permit d’effectuer des transactions à haut risque et d’emprunter des montants énormes de capitaux, tout en sachant que le contribuable serait là pour les renflouer si leurs activités provoquaient des turbulences financières. Des produits dérivés de plus en plus complexes et risqués ont été fournis aux citoyens sous la forme de prêts, qui ont connu une flambée des taux d’intérêt. La contagion s’est répandue presque immédiatement des États-Unis vers l’Europe, où les flux de capitaux et les secteurs financiers sont étroitement interconnectés.
Les pertes furent, comme prévu, socialisées et répercutées sur les contribuables, tandis que les banques ont été renflouées. Les niveaux d’endettement en Europe étaient faibles avant que la crise bancaire éclate et, même aujourd’hui, ils restent plus faibles qu’aux États-Unis en pourcentage du PIB.
Les pays périphériques de la zone euro ont perdu leur compétitivité tandis que la crise les frappait, et les emprunts qu’ils ont contractés en conséquence auprès de banques des pays clés ont conduit à un important endettement. Entre octobre 2008 et octobre 2011, la Commission européenne a approuvé 4 500 milliards d’euros de mesures d’aides d’État aux institutions financières, accablant les contribuables par la détérioration des finances publiques.
En Grande-Bretagne, le gouvernement a donné à ses banques 123,9 milliards de livres sous la forme de prêts ou d’achats d’actions en 2010-2011. Le coût total du plan de sauvetage des banques irlandaises a pour l’instant été de plus de 70 milliards d’euros.

Austérité ou réglementation bancaire
La déréglementation a provoqué la crise de l’euro et on pourrait s’attendre, par conséquent, que l’intervention de l’État et la réglementation soient mises en œuvre pour résoudre la crise. Pourtant, malgré les coûts écrasants des plans de sauvetage, aucune réforme bancaire significative n’a été mise sur pied. Certes, quelques mesures mineures ont été mises en place, visant à réduire les pratiques bancaires les plus risquées sur les marchés financiers, mais elles ne sont pas suffisantes pour prévenir une répétition de la crise. Et, au-delà du monde de la banque, il n’y a même pas eu une tentative de faire reculer la déréglementation. En fait, c’est le contraire qui s’est produit.
En juillet 2012, un rapport du FMI met en garde contre les mesures d’austérité qui pourraient être prises au cours d’une récession. Comme le déclarait à la BBC l’une de ses rédactrices, Nicoletta Batini : « Si vous suivez un régime quand vous êtes malade, il est fort probable que vous serez encore plus malade, alors ce n’est pas une bonne idée 1. »
En réalité, devant le micro de la BBC, Nicoletta Batini a quelque peu atténué sa véritable opinion parce que l’article qu’elle écrivit dans une publication du FMI développait en fait l’idée que des mesures d’austérité graduelles devaient être préférées à des mesures brutales 2.
Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a décrit les plans d’austérité actuels comme un piège qui place les pays dans un « cercle vicieux de réduction des dépenses et d’effondrement de la croissance ».
Le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies confirma, déclarant qu’« il y a un accord général dans le monde entier sur le fait que l’austérité budgétaire menée par de nombreux gouvernements a été la principale cause de la récession économique prolongée ».
Cinq pays sont apparus comme l’épicentre de la crise de l’euro : l’Irlande, l’Italie, la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Ces pays en crise ont été tenus de signer des accords avec la Commission européenne. Cependant, tous les États européens membres de l’Union ont été touchés par les mesures d’austérité. Même les gouvernements en dehors de la zone euro, comme la Grande-Bretagne, ont profité de la crise pour plaider en faveur de mesures similaires de compression et de déréglementation.

Pourquoi ce choix de l’UE ?
Dire que c’est « le néolibéralisme » qui est la cause de la « crise » est faux, et s’interroger sur les raisons pour lesquelles les décideurs ne prennent pas de mesures pour la résorber est très naïf. Paul Krugman, un autre lauréat du prix Nobel d’économie, écrivit dans le New York Times « qu’il n’a jamais été question de rétablir l’économie. La pression en faveur de l’austérité, c’était pour utiliser la crise. Pas la surmonter ». Il écrit encore dans le même article : « La pression en faveur de l’austérité en Grande-Bretagne n’est pas une question de dette et de déficits du tout ; il s’agit d’utiliser la panique à propos de l’austérité comme excuse pour démanteler les programmes sociaux. Et, naturellement, c’est exactement la même chose qui est arrivée aux États-Unis » (Paul Krugman, « The Austerity Agenda », The New York Times, 31 mai 2012).
Les élites des grandes firmes et de la politique, plutôt que de tirer les enseignements de la crise, l’utilisent comme prétexte pour renforcer les mesures néolibérales et éliminer tout ce qui fait obstacle à leur domination, à commencer par les droits des travailleurs et les acquis sociaux.
Lors de la rencontre des États européens du 14 au 14 mars 2013 à Bruxelles, Corporate Europe Observatory 3 a dévoilé la manière avec laquelle BusinessEurope, l’un des lobbies d’affaires les plus puissants en Europe, travaille la main dans la main avec la Commission européenne pour imposer des réformes néolibérales. Les lobbies patronaux ont des exigences en particulier concernant la « flexibilité de l’emploi », de manière à garder les coûts du travail le plus bas possible afin d’accroître les profits 4.
La Commission européenne donne la priorité à des politiques qui profitent surtout aux sociétés transnationales au lieu de soutenir les petites entreprises, les droits des travailleurs et le maintien de services publics essentiels.
La gouvernance économique néolibérale a déjà été inscrite dans le traité de Lisbonne, présenté pour ratification en 2005, et la crise de l’euro a été utilisée comme un prétexte pour introduire de nouveaux éléments dans la législation, comme le prétendu « Six-pack » 5, le semestre européen et le « Fiscal Compact » ou contrat fiscal 6.

Prêts en échange de privatisations
La « troïka », composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international (FMI), a accordé des prêts pour sauver les économies de certains pays. Toutefois, ces prêts sont le prétexte pour dicter quelles politiques économiques ces pays en crise doivent adopter : la Commission européenne a dicté des mesures d’austérité aux pays en crise en échange de prêts par l’intermédiaire d’accords qui exigent des réformes structurelles incluant des coupes dans les services sociaux et une amélioration de la « compétitivité », des baisses de salaires et la remise en cause des droits des travailleurs. Ainsi, le commissaire européen José Manuel Barroso a été très explicite sur le fait que les décisions prises à Bruxelles par des bureaucrates non élus prennent le pas sur la souveraineté nationale.
La chancelière allemande, Angela Merkel, a demandé aux pays de la zone euro d’abandonner à Bruxelles leur souveraineté nationale concernant certaines politiques économiques et budgétaires, y compris sur le marché du travail et la politique fiscale.
L’une des choses essentielles que la « troïka » exige des pays en crise est la privatisation des services publics comme garantie pour les prêts accordés. Ces garanties que les États doivent fournir sous forme de privatisations concernent la distribution de l’eau, les bâtiments publics, les banques nationales, l’énergie, l’infrastructure des transports, les services de santé, les services postaux. On peut toujours se dire que la légalité même de ces privatisations forcées est contestable : l’article 345 des traités de l’Union européenne requiert que la Commission soit neutre sur la question de la propriété privée ou publique des sociétés : « Les traités ne remettront en aucun cas en cause les règles des États membres concernant le système de propriété. »

La vente des biens publics est un leurre
On justifie les privatisations, en tant qu’éléments des programmes d’austérité, par l’affirmation qu’elles vont créer des revenus pour rembourser la dette. En Grèce, l’État le plus endetté de l’Europe des 27, les revenus issus des privatisations ont été plus bas que prévu : la Commission s’attend à ne recevoir que 25,6 milliards d’euros en recettes cumulées de la privatisation jusqu’en 2020 au lieu des 50 milliards prévus d’ici à 2015. En somme, on oblige les États à brader le patrimoine des habitants du pays, et les actionnaires des grandes firmes raflent ce patrimoine à moitié prix. C’est vraiment à se demander si cette « crise » n’est pas précisément organisée dans ce but.
Cependant, l’environnement politique instable, les résultats économiques décevants et l’opposition du public et des syndicats ont conduit dans certains cas à la non-application de ventes de biens publics. Ce fut le cas de la ligne aérienne portugaise TAP, du système de distribution d’eau Canal de Isabel II à Madrid. Même si cette dernière vente a été poursuivie, le bilan de la privatisation de l’eau montre que cette politique ne conduit pas aux économies de coûts auxquelles on s’attendait…
La vente de biens publics est un leurre. Il faut non pas les « renationaliser » mais se les réapproprier en les socialisant. Les actionnaires et les dirigeants des grandes firmes transnationales doivent rendre ce qu’ils nous ont volé. Les responsables politiques qui se sont faits les complices de ces vols, qui les ont même encouragés, doivent rendre des comptes devant la justice.

Jérôme Bedeau

1. BBC Radio 4, Today, Interview with Nicoletta Batini on the main findings of the paper, 24 August 2012, cité par Joseph Zacune, « Using the Crisis to entrench Neoliberalism ».
2. Nicoletta Batini, Giovanni Callegari and Giovanni Melina, « Successful Austerity in the United States, Europe and Japan », IMF Working Paper, July 2012 www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2012/wp12190.pdf
3. Corporate Europe Observatory est un groupe de travail et d’action qui travaille à exposer et à contester l’accès privilégié et l’influence dont bénéficient les grandes firmes et leurs lobbies dans les décisions concernant la politique européenne.
4. Voir « Corporate Europe Observatory, BusinessEurope and the European Commission : in league against labor rights ? », 11 March 2013
5. Il s’agit de cinq régulations et d’une directive entrées en vigueur le 13 décembre 2011 et chargées de la surveillance fiscale et macroéconomique.
6. Le « Fiscal Compact », ou « contrat fiscal », est la partie fiscale du Traité de stabilité, de coordination et de gouvernance. C’est un accord intergouvernemental, pas une loi européenne, signé par 25 membres de l’UE (pas la Grande-Bretagne, ni la République tchèque).

Source: Le Monde LibertaireLien: L’assaut finalAller plus loin: Le bêtisier des privatisations

Privatiser pour rentabiliser, c’est la marotte de nombreuses organisations comme le Fonds Monétaire International FMI ou la Banque mondiale. Pourtant, cette idéologie libérale quand elle s’applique aux pays pauvres est loin de satisfaire les premiers concernés : les employés et bénéficiaires des entreprises privatisées. Petit tour du monde des privatisations ratées.

Depuis des années, les privatisations sont présentées aux états comme la solution à tous les problèmes d’efficacité des fonds publics. 

Au centre de ce mouvement un groupe de trois entités internationales : Le Fond Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et la Réserve Fédérale Américaine. Les premiers pays fortement touchés par cette vague ont été les pays pauvres. La réserve fédérale américaine prête aux pays pauvre puis par le relèvement de ses taux rend la situation économique délicate. La Banque Mondiale, propose des prêts au pays pauvres mais en échange de conditions sur l’usage de ces fonds (droits de l’homme, bonne gestion…).

L’argent est prêté en vue de la construction d’infrastructures et d’opération de microcrédits. Ainsi dans les années 80 des prêts aux pays pauvres sont accordés en échanges d’ajustement structurel comprenant des réductions de budgets publics.

Un moyen de réduire les budgets consiste en des privatisations d’autant plus que dans le même temps le FMI conseille aux états de privatiser les entreprises publiques par souci de performance et d’innovation. La santé, l’éducation, l’électricité, l’eau sont des domaines éligibles selon la banque mondiale bien que réputés difficiles à privatiser. 

Tout a commencé par une idéologie fondée sur des constats appuyés sur d’énormes préjugés : si nous voulons aider efficacement les pays pauvres nous devons nous assurer que les fond publics seront utilisés de manière optimum.

L’idée est en effet percutante : plutôt que d’arroser un désert de sable, assurons-nous que la terre soit fertile. Constatant que les entreprises publiques ne sont en général pas très efficientes et que la corruption y sévit parfois, une solution consiste à inciter très fortement les pays éligibles à l’aide des pays riches, à privatiser ces entreprises. L’idéologie sous-jacente étant que la corruption et l’inefficacité sont inexistantes (ou moindres) dans le privé. Évidemment, nous savons qu’il n’en est rien et que la corruption frappe autant les entreprises privées comme le montrent les énormes scandales comme Enron. Quand à l’efficacité des entreprises privées, elle est variable suivant les entreprises : parfois assez forte dans les PME, parfois assez faible dans certaines multinationales.

Aux idéologies libérales du FMI et de la Banque Mondiale, s’est ajoutée progressivement la cupidité catalysée par les énormes profits que peuvent générer ces privatisations. 

Les investisseurs des entreprises privées des pays pauvres ont également bien contribué à cette dégradation. Les exemples ratés de ces périodes ne sont pas rares.