Les électeurs du Haut-Rhin refusent la fusion de leur département avec le
Bas-Rhin, ce qui aurait minimisé les coûts institutionnels dans un trois en un. Analyse à chaud sur cette incohérence dans un pays qui doit faire des économies…
Selon les premières estimations du dimanche soir, c’est l’échec cinglant pour le référendum du 7 avril 2013 sur la fusion des trois collectivités territoriales en une seule : conseil
régional d’Alsace, conseil général du Bas-Rhin et conseil général du Haut-Rhin, un référendum possible grâce à la loi de décentralisation du 16 décembre 2010. Les électeurs de la Corse avaient
déjà refusé à 51% la fusion de leurs collectivités territoriales en 2003.
Même s’il manque des données plus précises pour les grandes villes, en particulier Strasbourg qui devrait
être très favorable à la fusion, le Haut-Rhin a prononcé un non clair et net avec environ 55% des voix (selon les estimations). Le Bas-Rhin s’est lui, au contraire, prononcé très majoritairement
pour le oui, avec environ 67% des voix (selon les estimations).
Dans tous les cas, le non du Haut-Rhin invalide complètement le processus de fusion. On peut imaginer dans
une première analyse que les habitants du Haut-Rhin auraient pu exprimé leur crainte de voir Strasbourg et le Bas-Rhin s’emparer globalement de la gestion de leur région sans prendre en compte
leur propre spécificité (Mulhouse, Colmar, leur proximité avec la Suisse etc.). D’ailleurs, ce n’est pas anodin que parmi les "nonistes", en dehors
de l’opposition résolue du Front national et de l’extrême gauche, le sénateur de Belfort Jean-Pierre
Chevènement, en voisin, avait milité contre ce projet de fusion (au nom d’une conception républicaine pas très convaincante : la fusion aurait rendu la République moins divisée).
Le président du conseil général du Bas-Rhin, Guy-Dominique Kennel (UMP), très déçu, s’est étonné de ces
résultats : « Tout le monde se plaint du mille-feuilles institutionnel. Nous aurions pu avoir une démarche exemplaire. Malheureusement, nous
n’avons pas réussi et l’Alsace en pâtira. Quel élu se risquera encore à se lancer dans ce type de démarche ? Le statu quo ne sert personne. ».
Les résultats sont donc très surprenants car seule, la participation semblait initialement l’inconnue du
scrutin, étant donné que la plupart des partis politiques étaient partisans de la fusion, notamment les élus régionaux et départementaux qui avaient préalablement voté dans leur collectivité
territoriale en faveur du projet, malgré parfois la réticence de certains élus, comme les élus socialistes du Bas-Rhin mais aussi à l’UMP, Gilbert Meyer, le maire de Colmar, ou Charles Buttner,
président du conseil général du Haut-Rhin (qui avait parlé d’Anschluss !).
Cela dit, la très forte abstention pourrait expliquer ce résultat surprenant (62,8% dans le Bas-Rhin et 60,9%
dans le Haut-Rhin). Les "ouistes" sont restés chez eux.
Ce référendum n’ayant pas été initié par le gouvernement mais par l’ancien ministre centriste Philippe
Richert (UMP), président du conseil régional d’Alsace, le non aura peu de conséquence politique au niveau national, mais sera, un peu comme le référendum de 1969, une occasion perdue de
moderniser et surtout, d’optimiser nos institutions territoriales.
Le processus avait été presque parfait et j’avoue que j’avais même eu du mal à comprendre comment il était
parvenu à une si avenante maturité : que les élus décidassent majoritairement en quelques sortes de "s’autodissoudre" au nom de l’intérêt général m’avait surpris positivement et le
référendum ne devait que faire ratifier par le peuple une fusion de bon sens.
Au-delà des clichés sur l’Alsace, la région a toujours fait figure de précurseur en France, par son
implantation au cœur de l’Europe, par sa meilleure résistance économique face à la crise etc. Et cette
fusion alsacienne devait faire école pour d’autres régions de France qui mériteraient de s’unir : les deux Normandie, la Loire-Atlantique dans la Bretagne et bien d’autres cas où le
regroupement des régions ou des départements aurait été "rationnel".
Ce non va refroidir Harlem Désir qui, sans le rappeler, avait repris la proposition du 25 février 2012 de
François Bayrou d’organiser un référendum sur la moralisation de la vie politique à la suite de l’affaire Cahuzac, initiative qui aurait suscité l’agacement de l’Élysée (depuis quand Harlem Désir se prend-t-il
pour un Président de la République ?).
La terrible conséquence de ce non, c’est que plus aucun gouvernement n’osera, de lui-même, décider d’une
réforme globale des collectivités territoriales.
Il y a une réelle contradiction au sein de l’opinion publique entre ce résultat référendaire très décevant et
cette volonté de réduire le train de vie des collectivités territoriales (rappelons que la Cour des
Comptes estime à 200 milliards d’euros par an le potentiel de réduction des coûts ; c’est en gros le seul axe réellement efficace pour en finir avec les déficits publics).
Alors, pourquoi refuser la fusion alsacienne et crier en même temps, avec parfois une démagogie à peine
feinte, qu’il y a trop d’élus, trop de coûts administratifs, trop de doublons dans les surstructures entre communes, intercommunalités, départements, régions et autres syndicats locaux ?
Décidément, la France est un pays qui ne saura jamais se réformer. Même lorsque c’est dans le bon sens. Et je
doute que le Président François Hollande, qui a déjà bien du souci pour conserver son autorité présidentielle en pleine crise d’existentialisme
sur l’honnêteté générale de la classe politique, prendrait ses responsabilités pour forcer un peu les
choses. Au contraire, il a déjà abrogé la réforme réalisée par Nicolas Sarkozy qui avait fait fusionner les mandats de conseillers régionaux et de
conseillers généraux en un seul mandat de conseiller territorial.
Faudra-t-il donc attendre d’arriver à la situation grecque pour devoir réformer d’urgence la France avec des dégâts bien moins maîtrisés ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (7 avril
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Adrien Zeller.
Référendum sur la moralisation de la vie
politique.
L’affaire
Cahuzac.
Interdire
le mensonge ?