Cette exposition, qui durait jusqu'au 16 février 2013, "[tendait] à comprendre qui est aujourd'hui 'l'ennemi public' à travers les questions de destruction, d'enfermement ou d'acte vandale".
Parallèlement à cette exposition, un livre a paru en février 2013 sur ce même thème de l'ennemi public. Paul Ardenne, Magda Danysz et Barbara Polla en sont les coordonnateurs.
Il y a plus d'une vingtaine de contributions dans le livre. Trois parmi les toutes premières sont faites par les coordonnateurs. Elles en éclairent le pourquoi.
Paul Ardenne dit avoir "biberonné tant et plus à la pensée de ce maître philosophique majeur que fut Michel Foucault". Cela explique en effet ce qu'il dit un peu plus loin:
"On se pose beaucoup la question, dans les années 1970, de la légitimité du pouvoir à être le pouvoir, et de la légitimité même de ses moyens de coercition sociale, la prison au premier chef."
Pourquoi?
"En ces lieux de la nuit civique [les prisons], le châtiment de l'enfermement se double pour le prisonnier du fait de devoir endurer son anéantissement social: ici, il n'est plus un être visible, et il n'est plus un être en soi. Un humain nié."
Paul Ardenne précise plus loin:
"Ajouter du temps, pour le détenu, égale le retrancher."
Selon Ardenne, les artistes et les intellectuels ayant tâté de la prison et en étant revenu se taisent, à quelques exceptions près, Jean Genet, Varlam Chalamov, Alexandre Soljenitsyne:
"Il semble que le verbe ne puisse plus valoir la chair et ses nécessités d'urgence."
Il y a pourtant des prisonniers et des artistes qui échangent, des prisonniers qui créent:
"Le seul art authentique à même de parler de façon objective de la prison, en l'espèce, c'est celui que peuvent accomplir les prisonniers, s'il s'en trouve qu'intéresse et sollicite la création artistique."
Pourquoi un artiste et un prisonnier peuvent-ils se rapprocher?
"L'art, à sa façon propre, est une prison. L'artiste crée sous la contrainte, lui aussi égrène les jours de peine."
Barbara Polla raconte une expérience d'adolescente. Elle a tout juste 17 ans quand, vivant en Grèce avec ses parents, elle est atterrée par la mise en prison du pope Giorgios Dimitriadis, l'Abbé Pierre local, par les colonels qui viennent de prendre le pouvoir:
"La prison fut ma première émotion politique et ma première révolte contre l'absurdité de ce que les hommes font aux hommes."
Car, par un subterfuge, elle rend visite au pope en prison et constate ce qu'il est devenu: "cassé, humilié, vieilli, défait, ébouriffé, sales, en larmes".
Plus tard, membre à Genève du parti libéral, qualificatif dans lequel il y a mot libre, elle visite des prisons:
"Je me suis demandé, si leur architecture n'était pas une infraction à la loi, dans la mesure où
celle-ci dit que la prison doit non seulement "surveiller et punir" bien sûr, mais aussi, réhabiliter"
Certes, mais la prison ne doit-elle pas aussi protéger les hommes contre les criminels et être dissuasive?
Toujours est-il que Barbara Polla a raison : la réhabilitation est devenue d’autant plus nécessaire aujourd’hui que les prisonniers sont voués à sortir un jour de leur prison, puisqu’il n’existe plus en France d’emprisonnement à vie ni de peine capitale.
Les autres contributions de L’ennemi public montrent bien que des liens peuvent se nouer entre l’art et la prison et qu’avec les nouvelles technologies de la communication les images de soi et du monde franchissent de plus en plus les murs des prisons, devenus poreux, en quelque sorte.
Magda Danysz est catholique. En faisant, et en accueillant, dans sa galerie, cette exposition et en coordonnant ce livre sur L’ennemi public, elle a voulu principalement trouver des réponses à deux questions.
Alors que seul Dieu est juge :
"Comment l’Ennemi public peut-il être désigné par l’homme, qui a ce pouvoir de dire toi tu es ami, toi tu es ennemi et toi tu vaux tant ?"
Alors que seul Dieu est rédempteur :
"Comment peut-on être l’ennemi un jour et le lendemain revenir en grâce par l’intermédiaire des hommes encore?"
Pourquoi donc me suis-je intéressé à ce livre ? Parce que des relations humaines et des lectures m’ont ouvert, au cours de ma vie, des fenêtres sur l’univers carcéral, et que, ma curiosité naturelle aidant, je suis enclin à les ouvrir toujours davantage.
Des relations humaines ?
Mon grand-père maternel, lors de la Première Guerre mondiale, en Flandre belge, a été condamné à mort par les Allemands pour ses activités d’espion au service de Sa Gracieuse Majesté britannique, peine commuée, après un mariage blanc, en réclusion à vie dans une forteresse allemande, d’où il a été libéré par les Américains. Déjà.
Un des quatre témoins à mon mariage a été déporté en Allemagne et en est revenu stérile.
A la faveur d’entretiens pour des journaux suisses j’ai eu l’occasion, en décembre 1971, de rencontrer un écrivain maudit, épuré à la Libération, qui avait passé sept ans à Clairvaux et, en février 1974, au lendemain de l'arrivée de son ami banni en Allemagne, un compagnon de Goulag de Soljenitsyne, exilé en France.
Un philosophe libanais de mes connaissances a passé plus d'un année dans les geôles de son pays.
Quand j’étais chef d’entreprise, dans une vie antérieure, j’ai vu les dévastations qu’avait produites en deux mois sur un de mes clients chef d’entreprise, aux convictions socialistes, l'emprisonnement que lui avait valu la dénonciation injuste faite au fisc par un rival politique.
Enfin j’ai été en contact récemment avec un prêtre condamné à tort pour des actes de pédophilie et qui n’a dû qu’à sa foi de s’en être sorti après des années d’enfermement.
Des lectures?
(Les artistes et les intellectuels ne se taisent décidément pas tous, Paul Ardenne)
Des poésies et notamment:
- Les deux testaments de François Villon
- Les dernières poésies d’André Chénier et plus préciséement La jeune captive :
L’illusion féconde habite dans mon sein.
D’une prison les murs pèsent en vain,
J'ai les ailes de l’espérance.
- Cellulairement suivi de Mes prisons de Paul Verlaine
- Les poèmes de Fresnes de Robert Brasillach
Des récits et notamment:
- Un condamné à mort s’est échappé d’André Devigny (porté à l’écran par Robert Bresson et lu, enfant, dans la Bibliothèque verte)
- Le journal de prison 1959 d’Albertine Sarrazin
- La cerise d’Alphonse Boudard
- L’archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne
Quant à l’art je me plais souvent à rappeler les quatre vers qui terminent Les phares (de la peinture) de Charles Baudelaire :
Car, c’est vraiment Seigneur le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
Pour en revenir aux contributions de L’ennemi public, qu’il faut lire toutes, parmi elles j’ai retenu quelques citations qui me parlent particulièrement:
"Le théâtre entrouvre un interstice de liberté, de réconciliation provisoire avec l’idée d’être un homme, il permet de suspendre le temps et le sentiment d’humiliation." (Judith Depaule)
"La prison est là pour faire souffrir. Et cette souffrance n’est source de création que pour des êtres exceptionnels." (Jean-Pierre Carbuccia)
"La création artistique est un moyen privilégié de s’affranchir au moins intérieurement." (François Cassingena-Trévedy)
Le terrible récit du film Chant d’amour de Jean Genet, fait par Benjamin Bonnet, m’incite à combler mes lacunes relatives à cet auteur dont le nom seul m’est vraiment connu.
En tous les cas, ce livre sur l’ennemi public ne m’empêche pas de penser à toutes les victimes des criminels qui se cachent derrière ce nom générique et qui leur ont, à ces victimes, dans la plupart des cas, nié toute humanité et leur ont fait ce que des hommes ne devraient certainement jamais faire à d’autres hommes…
Cela n’excuse en rien, bien sûr, les mauvais traitements que ces criminels peuvent subir dans leurs prisons, mais cela peut au moins les expliquer…
Quoi qu’il en soit, l'exposition devrait maintenant voyager. J'ai donc hâte de la visiter un jour prochain depuis que j'ai lu le livre...
En attendant, au fait, aujourd’hui, n’est-ce pas le dimanche de la Miséricorde divine, institué par le pape Jean-Paul II?
Francis Richard
L'ennemi public, coordonné par Paul Ardenne, Magda Danysz et Barbara Polla, 144 pages, La Muette