Jérôme Cahuzac a donc tout avoué, ou presque. Qu’il était un fraudeur qui avait placé son pécule en Suisse puis à Singapour, qu’il était un imposteur qui avait menti au président de la République, au Premier ministre, aux parlementaires et donc aux Français. Face à la gravité de la situation, le président Hollande s’est même résolu à prendre la parole. Il parle de « choc », d’ « outrage à la République » et affirme que l’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac n’a bénéficié d’aucune protection. Pierre Moscovici tient exactement les mêmes propos, même s’il admet avoir, je cite « pêché par excès de confiance ». Toute la journée d’hier, l’opposition n’a cessé de s’interroger sur où s’arrêtait la chaîne du mensonge dans cette affaire qui vient ébranler notre gouvernement, une affaire digne de la IIIe République.
Il ne lui reste plus qu’à nous dire d’où venaient ces 600 000 euros, ce qui est tout de même une somme. Et puisqu’il a reconnu toutes les autres accusations, on peut imaginer que ces 600 000 euros proviennent bien, comme certains l’affirmaient, de pots-de-vin de laboratoires pharmaceutiques qu’aurait touchés cet ancien membre du cabinet du ministre de la Santé Claude Evin, reconverti en « consultant », comme l’analyse Thierry Desjardins. Le fraudeur-menteur serait donc, en plus, de la pire espèce des margoulins. Un fraude fiscale, mais aussi un possible conflit d’intérêt, d’autant qu’en 1997, Jérôme Cahuzac était rapporteur spécial du budget de la santé à l’Assemblée nationale, et si ses collaborateurs rappellent qu’il avait à l’époque bataillé contre les laboratoires, sur le papier, son cabinet de conseil était toujours en activité. On veut croire que le bonhomme n’aura pas l’impudeur de reprendre son siège de député du Lot-et-Garonne, comme la loi l’y autorise, et qu’il disparaitra à tout jamais de la scène politique. Mais l’affaire le dépasse, évidemment, de beaucoup. D’abord, la gauche ne pourra plus, avant longtemps, évoquer la fameuse « morale » qui lui servait de fonds de commerce.
Plus grave encore, cette affaire éclabousse, évidemment, le Premier ministre et plus encore le président de la République. Ce sont eux qui ont choisi Cahuzac pour le mettre à un poste clé du gouvernement et le charger de… pourchasser sans pitié les fraudeurs. Or, tout le monde politique s’étonnait déjà de la fortune bien rapide de ce play-boy. Et si certains pensaient que c’étaient les chauves qui avaient enrichi ce chirurgien reconverti dans les implants capillaires, d’autres se souvenaient que le consultant avait souvent su monnayer au prix fort son carnet d’adresses d’ancien membre du cabinet d’Evin. Mais aujourd’hui, il n’est poursuivi que pour avoir mis son magot à l’étranger. On nous raconte que ni Hollande ni Ayrault n’étaient au courant, et qu’ils avaient l’un et l’autre, cru Cahuzac sur parole quand celui-ci leur avait affirmé « les yeux dans les yeux » qu’il était victime de la pire des calomnies et qu’il n’avait jamais eu un sou ni en Suisse ni à Singapour. De deux choses l’une. Ou le président et son premier ministre sont des imbéciles ou ils nous prennent, nous, pour des imbéciles. Dilemme en face duquel nous nous sommes déjà retrouvés plusieurs fois.
Ainsi, c’est à la fois une crise politique et de régime. Car à ce niveau, on a une telle crise, avec un mystificateur - Cahuzac -, au sommet, que ça interroge sur le régime. Mais ça ne peut absoudre le gouvernement sur sa responsabilité, et là il y a crise politique. L’histoire de ce pays, les faits nous plongent dans la crise de régime. Retournons-nous. Qu’avons-nous comme équivalent dans l’histoire de la République ? Est-ce que le scandale des décorations sous Jules Grévy, c’était cela ? Est-ce que le scandale de Panama, c’était cela ? C’est bien pire aujourd’hui. Parce que le mensonge devant l’assemblée, devant la France, on ne l’a jamais eu de manière aussi incandescente, aussi pure, si l’on ose dire. Quand François Mitterrand s’est prêté à un vrai-faux attentat rocambolesque, dans l’affaire de l’Observatoire, il n’était déjà plus ministre. Quand Jacques Mellick s’est prêté à un témoignage dit de complaisance, dans l’affaire Tapie, il n’était déjà plus ministre. C’était des politiciens, c’était des politicards, on peut dire que déjà, à ce moment-là, il y avait un virus dans le fonctionnement de nos institutions. Mais là, on avait quelqu’un qui présentait, il y a quelques semaines encore, la politique de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale de notre gouvernement, et qui le soir, regardait où en était son compte en Suisse.
La schizophrénie de cet individu nous plonge dans cette crise de régime. Pas parce qu’ils sont tous comme lui, mais parce qu’il y a eu possibilité d’accès à notre ministère du budget, de quelqu’un qui était dans cette existence-là. Et bien, on doit être en doute sur le fonctionnement, sur la sélection naturelle de notre élite politique. Les secousses sont nombreuses et l’on est peut-être tout au bout des conséquences de cette affaire. En effet, le séisme est particulièrement fort. La démocratie se fonde sur la loi majoritaire et la République se fonde sur la notion de vertu. Si les dirigeants ne sont pas vertueux, la République ne peut pas fonctionner. La seconde raison, c’est que ce n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel d’été, il existe un terrain déjà propice. La crise démocratique existe de façon lancinante, de manière larvée, depuis des mois, depuis des années. Elle ne cesse de s’aggraver, de s’approfondir d’affaire en affaire, d’échec en échec, sur fond de crise économique et sociale digne de l’entre-deux-guerres. Il y avait déjà un discrédit, le sentiment d’une inconséquence, d’une incompétence, d’une impuissance, d’une légèreté du politique, et en plus une réputation d’honnêteté douteuse, auquel s’ajoute le mensonge cyniquement pur. Et donc, il y a un effet de révélation qui est saisissant et les références à la IIIe République sont les bienvenues, car évidemment il flotte sur tout cela, un parfum d’années 30.
On comprend que François Hollande, Jean-Marc Ayrault, le gouvernement, la majorité parlementaire, le PS et la gauche en général soient un peu gênés aux entournures après les aveux de Jérôme Cahuzac qui vient, évidemment, de déshonorer tous ses « camarades » et de jeter un épouvantable discrédit sur tout notre personnel politique. L’ennui pour Hollande, c’est que notre naïveté a sans doute des limites et que les Français, submergés par la crise et désespérés par l’incompétence du gouvernement, se demandent maintenant s’il n’y a pas quelque chose de pourri dans le royaume… Augier a-t-il rappelé à son ami Hollande le célèbre proverbe chinois qui affirme que le poisson commence toujours à pourrir… par la tête ? Pour paraphraser Thierry Desjarins, on voyait que ce pouvoir s’enlisait dans les sables. Maintenant, en plus, il patauge dans la boue. Mais est-il besoin de dire qu’un tel scandale donne trois points de plus à Mélenchon, cinq de plus à Marine Le Pen et dix de plus à l’abstention ?
Un article de notre blog associé, http://llanterne.unblog.fr – La Lanterne (politique, sujets de société)