De l'élu au représentant du peuple

Par Alainlasverne @AlainLasverne

e Président est au plus bas dans l'opinion, le gouvernement est aux abois. L'insurrection viendrait à marches forcées. Il faut « restaurer la confiance », hurle de tous côtés le journaliste de marché, haut-parleur de grands groupes et autres holdings fonctionnant au plus près du pouvoir politique. Les français, premiers concernés, si l'on en croit les sondages tout à fait superficiels et réticents que mènent des agences privées mais pas privées d'entregent, manifestent un rejet de l'équipe en place et une profonde défiance vis-à-vis des politiques, semblables en cela à leurs voisins européens.

Situation qui n'est pas nouvelle puisque le locataire élyséen précédent marinait lui aussi dans une impopularité massive et persistante.

La récurrence amplifiée du phénomène est tout à fait logique si l'on regarde la politique menée. Elle ne diffère en rien, ou presque, de celle du prédécesseur, pourtant du bord opposé. Elle s'oppose frontalement aux promesses de campagnes bâties sur deux ambitions, « réenchanter » la vie des français et relancer les services publics en combattant la finance dont les ponctions permanentes étranglent ces services, incarnation de la cohésion et la solidarité républicaines.

En guise de réenchantement, François Hollande pratique des coupes sombres dans un corps social dévasté par la misère et les inégalités croissantes, et n'a rien trouvé de plus socialiste que de vouloir imposer un aéroport dispendieux et inutile à Notre-Dame des Landes juste après avoir suivi, avec force mise en scène amicales, le congrès d'un groupuscule jugé extrémiste même par une bonne partie des patrons, le Medef. Pour enfoncer le clou, le Premier ministre Ayrault déclarait peu après qu'il « n'était pas l'ennemi de l'argent ». Peut-on revenir plus clairement sur la formule désignant « un ennemi sans visage...la finance » ?, désignée pendant la campagne électorale par le Président lui-même.

Bref, sans convictions réelles, sans plan et dans la précipitation que provoque un cristallisation générale de la manifeste crise de régime, François Hollande et son staff lancent des éléments de langage qui se bousculent et se contredisent. A l'évidence, le Président pratique comme son prédécesseur, cogne sur les blessures encore fraîches des français et obéit aux mêmes terroristes de la haute finance et du grand patronat. Il ne manque plus qu'il sabre de manière sauvage les budgets sociaux essentiels à la survie du plus grand nombre, - coupes bel bien dans les tuyaux d'après d'anonymes petites mains ministérielles qui les qualifient elles-mêmes de « dégueulasses » (dans le Canard d'il y a une quinzaine). On pourra bientôt saluer le premier clonage politique intégral réussit.

Cerise sur le désastre, l'affaire Cahuzac. L'homme était, excusez du peu, Ministre du Budget. Il est convaincu par la Justice de fraude fiscale, voire blanchiment, avec au moins un compte en paradis fiscal. Il l'a avoué, après avoir menti des mois durant avec une arrogance inouïe. On a découvert également qu'il a fréquenté au plus près un homme du GUD, groupuscule fasciste avéré. Echo troublant d'un article du Monde Diplomatique analysant une porosité générale des élites mondiales aux thèses d'extrême-droite.

Mais Cahuzac n'est finalement qu'un épiphénomène. Depuis quelques mois, grâce notamment à l'association Anticor qui lutte contre la corruption politique notamment, on ne compte plus les élus qui tombent pour manquement à leurs devoirs et corruptions diverses.

Bref au désastre politique s'ajoute les relents ravageurs émanant d'un corps politique bien trop habitué à une impunité l'incitant à se servir et servir les compères, du conseiller municipal au ministre, en passant par les commerçants - gros de préférence - via des montages parfois légaux, comme les PPP, partenariats publics privés.

Il semble, pour n'importe quel individu normal, c'est-à-dire tout à fait stressé par ses fins de mois plus que difficiles, en tous cas mal logé, privé des loisirs minimums, doté d'une qualité de vie rongée par les soins médicaux qu'il ne peut aujourd'hui s'offrir, sans crèche pour ses enfants, condamné aux transports toujours plus chers, aux retraites bloquées depuis trois ans, aux salaires stagnants et à un environnement professionnel relevant plus de l'esclavage que d'une activité ordinaire...il semble, donc, pour cet individu plus que commun dans la France du XXIème siècle, de la dernière urgence est d'agir rapidement et en profondeur.

François Hollande, qu'on présente dans les bons jours comme un artiste du compromis, aurait tendance à réagir a minima et planter de piètres mesures à coups de menton, avec cette posture néo-royale qui caractérise aujourd'hui les citoyens choyés par la République.

Le rejet lui est promis, au point qu'il deviendra impossible pour lui de gouverner, sa majorité refusant sans doute de le suivre dans l’abîme, vers des élections catastrophiques, et le peuple français manifestant massivement son écœurement, avec on ne sait quelles explosions de rage et de frustration devant cette débandade politique qui dure depuis un certain nombre d'années.

La droite traditionnelle ne gagnera rien, au contraire, malgré ses chiens médiatiques déchaînés contre le pouvoir actuel. Avec un chef qui a volé son élection, un leader mis en examen, une palanquée d'élus dans les mains de la Justice, comme le distributeur automatique de Corbeil-Essonnes, sans oublier le minable bilan qu'elle laisse aux français après cinq ans de règne, elle va se retrouver brisée aux élections suivantes.

Pour le plus grand profit du FN, parti pourtant monarchique qui prétend cacher sa teinte brune d'origine sous une volonté anticapitaliste alors qu'il a toujours fait des programmes économiques tout à fait dans les clous du Marché, et qu'il ne respecte et n'attend qu'un leader, ce qui est légèrement à l'opposé de la gestion citoyenne et égalitaire des personnes et des biens que suppose une économie opposée au capitalisme.

Loin de cette dérive généralisée du corps politique au service, fondamentalement, d'une caste dont elle est membre et de son argent, - un groupe que certains appellent les 1%, mais qui est en réalité bien plus plus groupusculaire - faut-il rappeler que nous sommes, nous les français lambda, dans un réel de plus en plus invivable, pour être totalement dépourvu de perspectives d'amélioration ?..Hors qu'est-ce qu'une société qui n'offre à l'immense majorité de ses membres que des sacrifices et le repli pour avenir, sinon un mouroir ou un camp ?...

Ce réel est invisible aux journalistes à genoux qui sont légions dans ce PAF où la caste case ses enfants, ses amis, ses copains et tous ceux qui manifestent une active servilité. On les récompense de salaires faramineux et de Légions, d'honneur paraît-il. Ce réel exige, et cela crève pourtant les yeux, des mesures de fond ou bientôt les français en viendront à des explosions répétées de désespoir – émeutes localisées, désespérés s'immolant en nombre, meurtres de responsables ou supposés tel... - qui ne feront pas révolution, mais signeront la fin d'une société, son démembrement définitif.

Si François Hollande veut sinon apparaître en homme de gauche, du moins sauver ce qui peut encore l'être, avec courage et détermination, deux mesures ne peuvent être différées, semble-t-il.

En dernière instance, c'est le corps politique lui-même, plus que soupçonné de gangrène, qui interdit tout mise en œuvre d'une politique conforme à l'intérêt général. Il faut donc d'abord identifier les porteurs du mal et les extirper de cet organisme malade. Deux trains de mesures de fond, réalisables rapidement.

Tous les maires de communes de plus de 10000 habitants, tous les présidents de conseils généraux et régionaux, ainsi que tous les députés et sénateurs doivent subir l'examen approfondi de leurs finances, avec recherche prioritaire de comptes éventuels en paradis fiscal. Tous les patrimoines doivent être révélés aux citoyens, donc publiés. Tout élu ne satisfaisant pas à la nécessaire probité qu'exige la fonction de représentant du peuple sera démissionné immédiatement.

Pour faire vite et bien ce travail prophylactique, l’État embauchera quelques centaines d'inspecteurs des impôts et autres. Ce qui le mettra, pour une fois, en accord avec ses déclarations, lui qui affirme qu'il met tout en œuvre pour lutter contre le chômage alors qu'il est le premier à cultiver la précarité et à licencier.

La République ainsi assainie, débarrassée de ses parasites viraux, aura le regard plus clair et un socle de confiance en elle-même. Ses représentants centraux, Hollande et son staff en seront incomparablement confortés.

Très vite, pour ne pas retomber dans le même bourbier, il faudra mettre en œuvre le deuxième train mesures, sinon nous reverrions les mêmes canailles venir se goinfrer en exigeant de nous des sacrifices.

Dans ce marasme général est en question, hormis la nature mortifère du capitalisme dont il faudra bien sortir d'une manière ou d'une autre, le statut de représentant du Peuple est à bouleverser de fond en comble. On ne peut plus supporter non seulement des gens élus par hold-up mais surtout agissant dans l'impunité la plus totale, sans aucun compte à rendre, pour faire benoîtement carrière, en préparant l'adjoint, voire le fiston à prendre la suite de ce qui apparaît être analogue aux charges de l'ancien Régime, que les riches s'offraient pour vivre dans l'opulence en tondant le bon peuple.

Je n'ai aucun mal à identifier des nobliaux de cet acabit dans ma région, coulant des jours tranquilles en proposant régulièrement quelque interview lénifiant à la presse locale, en ondoyant devant les micros dès qu'ils peuvent. Ainsi se perpétuent ici,comme ailleurs la farce de leur engagement politique, comme de leur probité. Chaque jour qui passe témoigne de l'accueil fraternel qu'ils accordent aux marchands comme de leur constante défection face à leur responsabilité centrale, incontournable : soutenir le citoyen, aider les défavorisés en priorité, maintenir vivantes et actives les valeurs républicaines – Liberté, Égalité, Fraternité. Je les rappelle notamment pour quelques nouvelles et nouveaux élu(e)s des deux partis qui se partagent le pouvoir, dont je ne perçois aucunement les convictions pures et touchantes qu'ils professaient en serrant des mains sur les marchés, il y a peine quelques semaines, ni l'envie de mouiller la chemise par des actes citoyens.

II n'échappe aujourd'hui à personne que, comme l'a d'ailleurs avoué un ex-président, les promesses n'engagent plus que ceux qui les écoutent. Une élection est aujourd'hui le passeport pour faire tout ce qu'on souhaite sans retenue et sans contrôle, pour peu qu'on prenne la peine d'entretenir a minima le storytelling qu'on soit doté d'une écharpe locale ou investit nationalement.

Le corps politique est à rebâtir du sol au plafond, dans l'indépendance et sur les aspirations réelles du plus grand nombre, dans l'esprit de simplicité, de clarté et de rigueur que possédait l'inaugurale Constitution faite par les Sans-culottes. C'est donc une commission composée pour majorité de citoyens lambda qui doit refaire le statut général de l'élu.

Quelques principes simples doivent guider ce travail.

L'élu sera sobre, avec un salaire limité au salaire moyen des français, plus la prise en charge des frais de fonction.

L'élu sera exemplaire. Il livrera publiquement l'inventaire complet de ses biens et on examinera les fonctions, comme les revenus de ses proches relations, pour empêcher l'élu « homme de paille ».

L'élus sera compétitif. Chaque politique du plus petit au plus en vue, de l'UE au local, se gargarise de « compétitivité ». Il faut donc les prendre au mot en plaçant les candidats aux élections sur la même ligne, avec les mêmes moyens.

Philosophie identique au niveau des partis. Suppression de tout argent privé dans leurs caisses avant, pendant et après les élections. Chaque parti recevra une somme d'argent public identique. A lui de développer son ingéniosité, la force de son programme et celle de ses militants pour s'imposer dans les arènes électorales.

L'élu sera dépendant du peuple. 50% au minimum des mesures de son programme auront un résultat tangible et/ou diagnostiquable sans ambiguïté, avec obligation de résultat, ce à différentes étapes du mandat. En cas d'échec, il sera débarqué, même en cours de mandat, si la responsabilité de l'échec ne peut être attribuée à des causes extérieures.

L'élu fera un mandat plutôt qu'une carrière. La noble mission de représentant du peuple ne peut être gangrené par des dérives structurelles vers l'intérêt privé. Le mandat pourra être renouvelé une fois au maximum. Cumul des mandats naturellement interdit. Simplification des procédures pour créer des lois et inter-agir avec les institutions et administrations, de telle manière qu'un ouvrier puisse être élu, agir efficacement et être compris par tous.

L'élu sera le reflet autant que le représentant de la société. Les partis devront présenter des quotas de femmes, mais également de professions aux revenus inférieurs à une somme marquant l'entrée dans la richesse – au-delà de 4000€ par exemple – aux diverses élections.

L'élu sera protégé. Il (re)trouvera en fin de mandat son emploi ou bénéficiera d'un emploi réservé, comme les militaires en fin de carrière.

L'élu sera salué. Des récompenses honorifiques et pratiques seront allouées régulièrement à ceux que diverses enquêtes auront désigné comme servant ou ayant servi le mieux l'intérêt général, dont la refonte du statut de l'élu entraînera la réaffirmation et permettra de le définir plus concrètement. Ce qui permettra une reaffirmation des valeurs sociétales de base et sapera, lentement mais sûrement l'appétit de profit, l'égoïsme social et l'avidité qu'il engendre.

Ces mesures structurelles que sont la mise en œuvre d'une totale visibilité financière de l'élu et la réforme complète de son statut peuvent être sans doute améliorées, approfondies. Mais faute de lancer ces mesures-là ou des mesures similaires, la faillite de cette présidence est assurée.

A terme, si rien n'est fait en ce sens, c'est la possibilité de faire de la politique qui sera interdite par l'anomie qui veillera sur un corps social français dévasté.