Les chaussures bleues et rouges, la trottinette, le retour à l'enfance n'est pas un hasard. Je crois n'avoir jamais perdu ce morceau d'innocence et de naïveté mêlées (j'en vois qui rient sous cape, au fond) qui m'aide à tracer ma route avec légèreté, détachement amusé, philosophie. Voici l'histoire que je racontais ce soir à une amie. La genèse de mon esprit revêche, rebelle.
Je devais avoir 9 ans quand j'ai exprimé fermement mon rejet du protocole, de la norme. À la façon d'un gamin. Mes parents ni croyants ni pratiquants m'avaient inscrit au catéchisme. Je me ferais mon opinion, m'avaient-ils dit. Ma grand-mère paternelle était croyante, une vraie grenouille de bénitier. Je me souviens l'accompagner à la messe le dimanche. Dans ce village perdu du Périgord. Je ne me souviens pas tant de la messe, mortel ennui, que de la promenade sacrée jusque Chez Lescoup, l'épicier, à côté du Codec, supermarché de Prigonrieux, rieu profond en langue d'oc. Village endormi au bord de la rivière. Mon instant de joie anticipée du dimanche, le cadeau de ma grand-mère. L'achat du cornet en papier bleu "garçon" contenant son lot de surprises "garçon".
La même année, ou presque, ma mère m'avait inscrit de force au club de foot du village. À ses yeux, j'étais le petit garçon chétif sans amis, trop solitaire pour être honnête. C'est elle qui m'encourageait à sortir en boîte de nuit avant l'âge légal, au Windsor, énorme discothèque à la ville, Bergerac. Qui venait nous chercher, moi et une amie ; ma mère endormie au volant, en pyjama, à 3 ou 4 heures du matin sur le parking du night-club.
Pour les camarades de l'équipe de foot, j'étais le joueur pas très doué qu'on poste en ailier arrière pour pas prendre trop de risques, et plus souvent qu'à l'ordinaire remplaçant, sur le banc de touche. Je ne revivais qu'aux matches d'entraînement, j'étais fier mais fier comme un pape de mes genoux crottés de terre, de mes crampons, de mes longues chaussettes à grosses rayures maculées de boue. Au terme d'une année assez pénible, marre de faire le pied de grue, de m'emmerder, j'en voulais à ma mère, je décide de mettre l'entraîneur au défi. Au défi de me faire jouer un peu lors d'un tournoi qui se déroulait dans un village voisin. Un tournoi c'est au mieux une dizaine de matches. J'avais bon espoir de taquiner la pelouse, et peut-être par miracle, le ballon. C'est seulement à l'occasion du dernier quart d'heure du dernier match que je manque gagner le terrain quand l'arbitre siffle la fin. J'étais furax. J'ai quitté le club de foot. En pleine saison. Je me souviens des appels à la maison du président du club, mais pourquoi mais voyons mais reviens, on te fera jouer. Il s'inquiétait peut-être du trimestre qui resterait impayé. Je n'y suis jamais revenu.
Le catéchisme n'a pas eu plus d'emprise sur mon esprit rebelle. Trois mois avant ma première communion qui me verrait affublé de blanc, j'ai renoncé à l'église, à la cérémonie religieuse, à la montagne de cadeaux offerts par les tantes oncles et cousins germains. Une tradition que je piétinais à la stupeur des camarades de mon âge. Qui, eux, ce sont goinfrés d'hosties, wow les chanceux.
N'empêche... du foot, j'ai gardé un souvenir vif et ému des vestiaires, d'un garçon beau comme un dieu dans les douches collectives. Merci, maman.