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Redevances minières : Le Québec incapable d’avoir les mêmes avantages que le Sénégal ?
Publié le 06 avril 2013 par Shadlaw @rachadlawA chaque fois que Québec demande aux minières de faire leur juste part, les menaces fusent de toute part : menaces d’arrêter de nouveaux investissements, menaces de suppressions d’emplois, menace de transférer les activités vers d’autres pays moins exigeants en matière de redevances minières. Ce chantage perpétuel est devenu l’arme préférée des minières pour faire reculer les gouvernements démocratiques qui réclament un minimum d’équité dans le partage des profits retirés par l’industrie minière de l’exploitation des ressources non renouvelables qui appartiennent à tous les contribuables actuels et futurs. Vous le savez comme moi, dès qu’une entreprise minière menace de diminuer ses investissements, cela déclenche l’hystérie des lobbys et des idéologues «cheerleaders» pour qui, la seule alternative pour sauver «l’économie menacée », c’est que l’État croule sous le chantage et baisse la culotte.
Québec est-il aussi gourmand que les minières le prétendent?
Dans le régime actuel, les redevances sont de 16% sur les profits. Le gouvernement péquiste veut que toutes les sociétés minières payent une redevance, et que l'État obtienne plus d'argent en cas de «rendements excédentaires». En campagne électorale, il promettait donc un régime de 5% sur la valeur brute, et un impôt supplémentaire de 30% sur le rendement excédentaire.
Ce que le Sénégal vient d’obtenir grâce au talent de négociateur de l’ex-premier ministre Jean Charest
M. Charest, aujourd'hui associé au cabinet d'avocats McCarthy Tétrault, a assisté la société minière torontoise Teranga Gold dans la renégociation de son cadre fiscal avec le gouvernement du Sénégal, où l'entreprise exploite une mine d'or depuis 2009.
Ironiquement, la redevance de 5% sur la valeur brute négociée par M. Charest est exactement la même que celle proposée par le Parti québécois en campagne électorale, et à laquelle s'oppose fermement l'industrie minière québécoise.
En effet, Teranga Gold exploite la mine d'or de Sabodala, dans la région de Kédougou au Sénégal. En vertu de l'accord original avec le gouvernement, Teranga payait des redevances de 3% sur la valeur de la production. Or, le gouvernement, en quête de revenus additionnels pour combler les déficits, a depuis révisé son régime de redevances et fait passer le taux de 3 à 8%, ce qui allait à l'encontre de l'accord original. Après les négociations menées par M Charest, les deux parties se sont entendues sur une redevance de 5% sur la valeur de la production à la grande satisfaction de Richard Young, Pdg de Teranga Gold, qui loue le talent de fin négociateur de M. Charest.
L'analyste Andrew Breichmanas, de BMO Marchés des capitaux, note qu'avec cette hausse de deux points de pourcentage, le taux concorde davantage avec ce qui se fait ailleurs en Afrique de l'Ouest. En additionnant l'impôt des sociétés et les dividendes sur la participation publique de 10% dans la mine, l'État sénégalais devrait récolter de 45 à 50% des profits, estime M. Young. Au Québec, cette proportion tourne généralement autour de 40%, impôt fédéral inclus.
Sans mauvais jeu de mots, M Charest est de toute évidence un courtier en or. Pourquoi ne l’engage-t-on pas pour défendre les intérêts de ses compatriotes? Après tout, les minières avaient eu un ex-premier ministre de leur bord, en la personne de M. Bouchard.
Pourquoi ce qui est bon pour le Sénégal ne l’est pas pour le Québec?
C’est tout de même curieux quand on sait que le Québec offre un environnement socio-politique plus sécuritaire, plus favorable et surtout plus stable que n’importe quel pays de l’Afrique de l’Ouest. Investir au Sénégal est quand même théoriquement plus risqué qu’au Québec. En effet, il suffit qu’un opposant politique ne soit pas content de la gestion des deniers publics par le gouvernement actuel, et provoque une petite guerre civile pour que les investissements de Teranga Gold soient menacés, voire perdus. Un essai de réponse est peut-être que le gouvernement sénégalais est moins sensible aux menaces et chantages. Les minières ont tendance à abuser des avantages que leur offre un environnement économique aussi accommodant que celui du Québec et du Canada.
La réalité est que les gouvernements provincial et fédéral ont souvent donné plus à l’industrie minière que cette dernière aux gouvernements
Selon un rapport de recherche de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), les investissements publics dans le secteur des mines métallifères, soit les dépenses fiscales, les dépenses par programmes et les dépenses directes dans l’industrie, sont en hausse depuis les 15 dernières années. Au Canada, les dépenses fédérales ont augmenté de 11,3% entre 1995 et 2007; au Québec, cette hausse a atteint 48% au cours de la seule période 2001-2007.
En revanche, les retombées de ce secteur au plan des emplois et de la croissance économique sont en déclin. Au Canada, le nombre d’emplois offerts par l’industrie a chuté de 30% et son PIB a décru de 7% entre 1995 et 2007; au Québec, ces indicateurs ont respectivement connu une baisse de 8% et de 23% au cours de la même période. Au pays, les contributions du secteur à l’ensemble de l’économie en termes d’emplois et de PIB se limitaient en 2007 à 0,14% et à 0,31% respectivement; dans la province, ces proportions étaient de 0,27% et de 0,24% la même année.
Une prise en compte dans cette étude des coûts sociaux supplémentaires associés au secteur mais non divulgués, dont l’ensemble des coûts environnementaux qu’il engendre, aurait décuplé les frais devant être imputés à l’industrie minière. À titre d’exemple, le passif environnemental des sites miniers abandonnés, soit les coûts estimés de réhabilitation des sites relevant de la responsabilité de l’État et non encore défrayés, sont estimés à une somme variant entre 1 et 4 G$ au palier fédéral, et à 264 M$ à l’échelon provincial.
Que veulent les citoyens québécois?
Dans une démarche de consultation sur l’avenir minier du Québec conduite par l’Institut du nouveau monde (INM), « les citoyens tiennent à l’équité intergénérationnelle et interrégionale dans le développement minier actuel et à venir; ils la voient dans la maximisation des retombées pour le Québec (prise de participation de l’État dans des compagnies minières et davantage de deuxième et troisième transformation au Québec), dans la maximisation des retombées pour les régions et les localités concernées (notamment par une redistribution des redevances entre les niveaux local, régional et national, l’achat local et des investissements en R&D); ils tiennent beaucoup à une planification prévoyante et circonspecte de l’après-boom minier ou de l’inter-boom, par la création par exemple d’un Fonds souverain, la diversification des économies régionales où le secteur minier est important, et par un soutien actif à l’entrepreneuriat, tant minier que non-minier.
Bref, un deal gagnant-gagnant. Est-ce trop demander?