Cet article participe à l'événement inter-blogueurs "Bloguer Russie" organisé par le blog Russie.fr.
Mon premier voyage en Russie n'a pas été géographique, il a été littéraire. Ma prof de français en 3e avait décidé de nous faire étudier le roman d'Alexandre Soljenitsyne "Une journée d'Ivan Denissovitch". Aujourd'hui encore, je me dis que c'est une idée étonnante de faire étudier à des élèves de quatorze ans ce roman évoquant les goulags, les difficiles conditions de vie des zeks, le froid, les privations, les mesquineries entre détenus, …. Et c'est pourtant par cette porte que le russe est entré dans ma vie, puisque j'ai décidé de l'apprendre l'année suivante au lycée. Aujourd'hui, je me dis que ce voyage littéraire a façonné la suite de ma "relation" avec la Russie, notamment l'écriture de ce blog, qui, pendant près de 5 ans, a traité des violations des droits de l'Homme, de l'opposition civile, à défaut d'être politique, au pouvoir russe, mais aussi d'environnement, de culture, …
Je regrette de ne pas avoir retrouvé mes cours pour savoir ce que la prof nous avait fait étudier, mais pour écrire cet article, j'ai repris mon livre de l'époque. Ce qui m'a fasciné dans ce voyage, dans le récit de cette journée, ce ne sont pas les sonorités étranges des mots russes (il n'y en a presque pas), ni la découverte de grands espaces (le seul moment où les prisonniers sortent de leur camp c'est pour aller travailler dans un autre secteur, le temps est glacé, pas vraiment un temps à admirer le paysage comme le montre cet extrait "ce matin-là, on se mussait, tête basse, derrière le dos d'en face, chacun rentré dans son pensoir", p.58). Je pense que c'est le caractère de cet homme juste, connaissant bien les règles du camp, Ivan Denissovitch Choukhov, qui a passé une journée "sans seulement un nuage, presque de bonheur", parce qu'il avait, entre autres, "maraudé une kacha, (…), maçonné à cœur joie ; on ne l'avait point paumé avec sa lame de scie pendant la fouille ; il s'était fait du gain avec César ; il s'était acheté du bon tabac ; et au lieu de tombé malade, il s'était chassé le mal" (p.189).
La phrase suivante est également très intéressante, elle est pour moi une autre évocation de l'âme russe : "A présent, après ce recompte, pour la première fois depuis qu'à six heures et demie du matin on a sonné le rassemblement, le zek redevient un homme libre. Passé la grande porte de l'enceinte, passé la petite porte du chemin de ronde, et passé encore l'enclos de la place d'appel, va où tu veux."
Le bonheur dans une journée moins horrible que d'habitude, la liberté dans un camp entouré de deux portes et un enclos, ne serait-ce pas cette philosophie des petits bonheurs qui m'aurait donné envie d'en connaître plus sur la Russie, sa culture, son histoire, sa littérature, sa géographie, son peuple, ...
Sinon, je me rappelle quand même de mon premier vrai voyage en Russie. C'était à Petrozavodsk, en Carélie, chez Nadejda ("espoir", en russe). J'étudiais le russe depuis à peine 2 ans, je n'étais pas vraiment à l'aise pour m'exprimer. Il me reste seulement quelques images de ce court séjour de 15 jours : le lac Onéga, la visite de la maison des mariages, l'architecture différente des rues et immeubles, la flamme du soldat éternel, les soirées, la gentillesse de la famille de Nadia, leur peur (sans fondement) que je ne mange pas suffisamment (j'ai toujours bien mangé en Russie, contrairement à ce que certains pensent sur la gastronomie russe), les délicieux blinis à la confiture, ... Rien que d'y penser, ça me donne envie d'y retourner !
Image : Monument des "Pêcheurs" sur un quai de Petrozavodsk, que je n'ai pas eu la chance de voir (source : Wikipedia)