par Olivier Golinvaux via le Québécois Libre
Il était une fois une vache. Précisons: il était une
fois une petite vache bien de chez nous, avec ses petites cornes, son petit
museau humide et son permis de vivre dûment estampillé par les ronds-de-cuir
du sous-secrétariat d'État à la condition bovine. Régulation – car tel était
son nom – aimait faire la conversation. Pour tout dire, Régulation était une
incorrigible bavarde. Elle ne tarissait pas sur les sujets les plus brûlants
et les plus en vogue de l'actualité politique française. Faut-il augmenter «
les » salaires? Comment les start-upvont elles se conformer aux 35h
légales et républicaines? Parviendrons-nous à faire face à la
mondialisation « qui nous menace »?
Bovineries hexagonales
Régulation était donc une vache bavarde. Elle était surtout
une vache vernie. Française, elle avait non seulement la chance de résider
dans un pays aux pâturages magnifiques; elle avait de plus celle de pouvoir
profiter d'un environnement humain culturellement compatible. Ô divine
providence! Régulation te remerciait tous les matins d'être née au pays de
l'ENA. Cet environnement culturel si accueillant pour une politicarde de
prairie, elle l'aurait volontiers qualifié de « bovin » si
l'adjectif n'avait eu une indéniable connotation péjorative. Et puis un
jour...
Un passant passa, alors que Régulation paissait. Toujours
prête pour un brun de causette polémique et politique, Régulation
l'interpella:
Régulation: Belle journée n'est-il point?
Le passant: Boaf! En tout cas, elle a bien mal
commencé en ce qui me concerne. Je suis entré tout joyeux dans la boucherie
du village, salivant sur un fantasme de belle viande rouge et saignante
taillée dans une somptueuse fesse bovine...
Régulation: Et????
Le passant: J'en suis sorti tout déconfit, saoulé par
la discussion sans fin dans laquelle le boucher et deux de ses clientes
s'étaient laissés absorber. Les vaches y étaient folles, les encéphales
spongieuses, les farines animales, le principe de précaution sacro-saint et
la course au profit honnie. Ah morbleu! Nul besoin de cette satanée maladie
pour ramollir un cerveau! L'étatisme y suffit amplement.
Régulation: Pardon?! J'ai peur de mal vous
comprendre... Diriez-vous du mal de ces braves gens? À vous entendre, j'ai
l'impression que vous parlez en fait de bons citoyens, responsables et ayant
compris qu'il y a là une affaire de santé publique! L'heure est grave mon bon
monsieur: il en va de l'intérêt général.
Le passant: Alors là, c'en est trop! L'encéphalite
énarchique oiseuse gagne les hôtes des verts pâturages! Peste soit de votre
intérêt général! Et puis d'abord, qui est général dans l'intérêt soi-disant
général? Le suis-je, moi le consommateur friand de viande de boeuf hormoné et
gavé de farines protéinées? Le suis-je, moi le contribuable que l'on va
délester pour financer le « soutien » de l'État au marché de la
viande? Tiens! Puisqu'il en est ainsi, je m'en vais acheter quelques filets
de sole tropicale en lieu et place de cette maudite bidoche. Vengeance et
prudence feront ainsi bon ménage...
Régulation: La belle contradiction que voilà!
Monsieur joue les pourfendeurs du principe de précaution, s'offusque que l'on
fasse grand cas de cette satanée maladie et invite la terre entière à festoyer
de barbaque non réglementaire je suppose! Ceci étant, à la paroisse de
l'imprudence, vous me sembler être tout à la fois le plus virulent des
prêcheurs et le plus sceptique des fidèles. Hypocrisie quand tu nous
tiens...
Le passant: Mais absolument pas. Vous mélangez deux
plans bien différents, ou du moins qui devraient le rester. Vous faites de la
prudence – autrement dit, d'une question d'éthique, de morale – une question
politique. Mon comportement de consommateur qui souhaite ou ne souhaite pas acheter
ceci ou cela est une chose. Mon jugement sur le fait que les hommes de l'État
devraient en rester là – c'est-à-dire se préoccuper du contenu de leur
assiette, non de la mienne – en est une autre.
Régulation: Vous devriez avoir honte, mécréant! Ne pensez
vous point à tous ces braves gens qui pourraient inconsciemment ingurgiter la
barbaque de mes congénères avariées si l'État s'en désintéressait? Mais mon
bon monsieur! Les consommateurs se doivent d'être guidés, éclairés dans leur
choix par une technocratie compétente! Comment pourrait-il en être autrement?
Laissé à lui-même, le peuple resterait plongé dans les ténèbres de
l'ignorance crasse. À qui d'autre qu'à des experts dûment commissionnés
pouvons-nous nous fier, je vous le demande? Lorsque la science elle-même est
hésitante, alors on se tait et on obéit sans coup férir.
Voilà la sagesse!
Le passant: Sagesse? Permettez-moi d'en douter! Il
n'y a point de sagesse véritable là où le choix est tout bonnement absent.
Bien sûr que les consommateurs ne sont pas omniscients! Bien sûr qu'ils ont
un immense besoin d'information; sur ce genre de sujet tout particulièrement,
je n'en disconviens pas. Ceci dit, l'information circule me semble-t-il! Les
journaux télévisés ne manquent jamais de diffuser des images de bovins
tremblotants à la moindre occasion, la presse se gargarise des moindres
nouvelles émanant de la communauté scientifique et conjecture sur ces
dernières comme d'autres montent une crème fouettée. Que demander de plus?
Comprenez-moi bien: je suis fort aise de toute cette agitation. Et si l'on
n'y trouvait point ce goût ridicule de l'apocalypse qui transpire à toute
occasion chez nous, j'irais bien jusqu'à dire qu'elle nous est éminemment
utile. Vive le débat, vive le déballage, vive la mise à nu! À poil la vache
foldingote! Mais restons-en là, par pitié. Laissons les gens choisir
eux-mêmes, en leur âme et conscience. À quoi bon informer d'un côté, si l'on
prive du pouvoir de décider de l'autre?
Régulation: Le pouvoir de décider ne doit-il pas revenir
aux Politiques lorsque la santé publique est en jeu? Voyons!
Le passant: Santé publique,
ridicule oxymore en vérité! Rien n'est plus privé que la santé. Chacun
devrait pouvoir librement décider de l'attention qu'il compte consacrer à sa
propre santé, des revenus qu'il entend y investir comme des risques qu'il
accepte de lui faire courir. Oui! j'ai bien dit « risques ». Que font
vos chers politiciens en qui vous placez une confiance aveugle et
déresponsabilisante? Tout en affirmant pour la forme que «
le risque zéro n'existepas », ils prétendent obliger tout le monde à en
faire tout de même la mire du raisonnable, l'étalon du bien-penser. Et
lorsqu'on se laisse flotter dans un tel marécage de contradictions, on aborde
vite les rivages du ridicule. L'intelligentsia politico-médiatique considère
dans sa vaste majorité(1) que
l'incertitude commande l'abstention, l'interdiction – autrement dit
l'inaction, tout cela au nom du sacro-saint principe de précaution. Ne
voyez-vous pas que tout ceci n'est que foutaises, ma bonne quadrupède? Au nom
des lumières du savoir, vous acceptez de confier le monopole de la décision à
des gens qui prétendent se l'arroger précisément au nom des ténèbres dans
lesquels ils se trouvent, de leur propre aveu.
Régulation: Mais alors...
Le passant: Mais encore! Car il en reste,
permettez-moi de terminer! Le plus terrible dans l'histoire est ailleurs, à
mon avis. Il réside dans l'incitation permanente à la désinformation qui
caractérise un tel système...
Régulation: Allons donc! Il n'y pas cinq minutes,
vous vous félicitiez de l'agitation qui...
Le passant: Je me félicitais du principe qui consiste
à agiter les méninges de mes contemporains en diffusant de l'information,
certainement pas du contenu actuel de cette dernière! Et je vais vous dire
pourquoi. Lorsque le pouvoir de décider en dernier ressort est confisqué aux
individus au profit d'une petite caste politicienne flanquée de ses experts
de cour, le but de la diffusion d'information change radicalement. Dans le
cadre d'une organisation politique, on n'informe pas pour éclairer des
personnes dans leur décisions mais pour s'assurer qu'elles obéiront
correctement à celles qu'on prend pour eux. Aujourd'hui, la bonne table et le
bien-être des gens sont devenus secondaires par rapport à l'angoisse des
monopolistes de subir le courroux de « l'opinion » – tout le monde
se souvient de l'affaire du sang contaminé. Voila le revers de la médaille
pour nos chers dirigistes; car qui prétend décider à la place des autres ne
doit pas s'étonner de subir leur mécontentement...
Régulation: Là, j'avoue...
Le passant: Hé oui! Et le mécontentement devient
d'autant plus probable que les gens ainsi déresponsabilisés deviennent plus
exigeants.
Régulation: Plus exigeants?
Le passant: Croyez-vous que l'on accepte de subir la
décision du Prince sans attendre quelque avantage de cette délégation
contrainte et forcée? Le Prince veut décider à ma place? Soit! Qu'il décide!
Mais qu'il décide bien, sacrebleu! Le Prince veut me confisquer le pouvoir
d'agir à ma guise, au nom des lumières du savoir qui le nimbent? Soit! Mais
que je ne le prenne pas en défaut, faute de quoi mon ressentiment à son égard
sera terrible! L'omniscience est un piédestal duquel il est facile de tomber
pour un pauvre mortel, fut-il énarque.
Régulation: Je pense que les énarques ne le savent
que trop, à bien y réfléchir. Ne serait-ce pas pour cela qu' ils trébuchent
toujours sur la vieille lubie du « risque zéro » et...
Le passant: Mais précisément! Précisément! Le risque
zéro est le terrain béni où peuvent s'harmoniser au mieux le risque politique
du décideur monopoleur et le risque du consommateur suiveur et
déresponsabilisé. Interdire devient la solution miracle, car la seule action
sans risque reste bel et bien l'inaction. Dans un tel contexte, l'information
la plus utile aux gouvernants, c'est avant tout l'information-catastrophe. Il
n'y a donc rien d'étonnant à ce que le Prince encourage la diffusion des
informations les plus alarmistes. Appel d'air pour les mesures d'interdiction,
ce sont en effet celles qui se marient au mieux avec sa propre sécurité
politique. La vache déjantée n'est qu'un avatar de plus dans la longue
litanie du catastrophisme justificateur.
Régulation: Soit! Je suis prête à vous concéder ce
point là: le processus politique n'encourage en rien l'information honnête du
consommateur. Mais alors, devrait-on se contenter de réglementer les marchés
pour s'assurer que l'information est bien disponible, tout en laissant les
gens choisir à leur guise? Ah! Je mesure l'horreur de mes paroles, dignes
d'une vache britannique thatchérienne! Mais vous m'avez convaincue sur...
Le passant: Pas sur tout en tous les cas! Pourquoi
réglementer je vous le demande?...
Régulation: Alors là tout de même! Et la
traçabilité...
Le passant: Et les vices du monopole, dois-je vous
les resservir à nouveau? Dans un système d'étiquetage légalement obligatoire,
qui décide de ce qui est important à mentionner et de ce qui ne l'est pas?
Dès lors, qui oriente imperceptiblement les gens à penser que telle
information est essentielle alors que telle autre, parce qu'elle ne fait pas
l'objet d'un obligation légale, ne l'est pas? Je vous le demande! Allons,
vous m'avez accordé de mettre le monopole de la décision à la porte, de grâce
ne l'invitez pas à se glisser subrepticement par la fenêtre! Laissez faire,
laissez étiqueter, que diable! Et croyez bien que face à une population de
consommateurs frileux – c'est le cas actuellement pour la viande de vos
congénères, très chère – l'intérêt bien compris des producteurs est de jouer
la transparence la plus rassurante. Lorsque la demande d'information est là,
il y aura toujours un avantage concurrentiel à informer. Points
d'interrogation et gros chiffre d'affaire ne font pas bon ménage au pays des
consommateurs inquiets. Nous voilà arrivés au coeur du sujet...
Régulation: Au coeur du sujet? Je crains de ne pas
comprendre...
Le passant: C'est que la sécurité, ma brave bête, est
un bien. À ce titre et comme les autres biens, la sécurité se produit,
elle ne se décrète pas. Croyez-vous qu'il suffit d'inscrire «
dix tonnes de barbaque » sur un papier officiel visé, revisé,
signé et contresigné pour voir pousser comme par enchantement dix de vos
consoeurs au milieu de ce champ?
Régulation: Bien sûr que non mais...
Le passant: Mais il en va de même pour la sécurité
n'aurait pas manqué de marteler Gustave de Molinari! Je vous le dis, le
processus de marché et la structure juridique qu'il sous-tend – celle basée
sur le droit de propriété – constitue le cadre le plus propice à la
production d'une authentique sécurité alimentaire. Vous en avez convenu avec
moi, le processus dirigiste et planificateur tend à sécuriser par le vide, ce
qui en fait revient à éluder les problèmes, non à les résoudre. La vie n'est
pas un état sûr? Alors mourrez! Voilà ce que nous disent en substance les
empêcheurs de décider en rond ! La sécurité alimentaire doit se produire,
disais-je. Et pour assurer une production optimale de sécurité alimentaire de
manière à répondre au désirs des consommateurs, rien ne peut remplacer le
laisser-faire. Comment? Eh! En mettant les producteurs en face de leur compte
d'exploitation et de leur bilan, pardi! Aujourd'hui, les producteurs peuvent
produire sans avoir les besoins du consommateur en ligne de mire. Le
dirigisme agricole et le droit consummériste sont autant de paravents
derrière lesquels ils peuvent s'abriter. Ma barbaque est moisie? Mais mon bon
monsieur, peu m'importe! Croyez-le bien, je m'en tamponne! Elle répond aux
normes réglementaires en vigueur, et cela me suffit! Quoi? Vous n'en voulez
plus? Qu'à cela ne tienne: mon ministre de tutelle va prestement vous
délester de votre argent arrogant avec lequel vous prétendez m'imposer vos
goûts! Ah! Pas étonnant qu'il faille tant réguler et subventionner, avec des
rebelles de votre espèce!...
Régulation: Vous exagérez!
Le passant: Dans le verbe seulement. Comme la
manipulation des taux d'intérêt et de la monnaie engendre le
malinvestissement – voyez la crise de 29 –, la manipulation réglementaire des
marchés engendre ce que j'appellerais de la malproduction. En l'occurrence,
le dirigisme agricole et son soutien aux cours a invité à négliger grandement
le qualitatif au profit du seul quantitatif. Le qualitatif – dans lequel vous
me permettrez d'inclure la question sanitaire – s'est alors confondu avec le
respect pur et simple de la réglementation.
Régulation: Vous me mettez mal à l'aise. J'en vomis
mon nom de baptême, que je trouve désormais bien difficile à porter. Ah! Ils
sont bien beaux, ces politiques! Ils poussent au n'importe quoi d'un côté,
puis lorsque les problèmes arrivent, ils fustigent le marché et se posent en
redresseurs de torts! Ah les...
Le passant: Eh oui! On ne perturbe pas impunément la
coordination naturelle des activités humaines. Mais l'inculture économique
des peuples – le principal péril qui pèse sur la civilisation disait Ludwig
Von Mises – permet tout de même aux politiques de prospérer sur les
conséquences de leurs propres errements. Les mesures dirigistes qui se
profilent à l'horizon ne sont qu'une version bovine et contemporaine
du New Deal de grand-papa.
1. Note: un petit coup de chapeau à Claude Imbert pour s'en être courageusement démarqué. Voir son éditorial « Le boeuf émissaire » dans Le Point du vendredi 17-11-00. >> |