Nous n'irons pas jusqu'à affirmer que vous sortirez "Super Heureux !" du théâtre des Déchargeurs, après avoir découvert cette pièce de l'autrichienne Silke Hassler (créée en 2011), mais gageons que le moment sera des plus plaisants, révélant deux acteurs justes et attachants dont il faudra suivre le parcours de près. Ce qui n'est, vous en conviendrez, déjà pas si mal...
En scène, deux êtres à la dérive. Elle, bourrée de complexes, opératrice de téléphone rose, rêve d'une carrière de comédienne, partage sa vie avec un poster... Lui, son voisin de palier, écrivain raté, désespérément seul, convaincu d'incarner le loser sexuel dans toute sa "splendeur". Ce soir-là, prenant son courage à deux mains, il tente une approche de séduction pour le moins originale en allant lui emprunter... Un préservatif ! Maladresses, mensonges, agressivité protectrice, assurance de façade... Ces deux-là finiront-ils par tomber le masque afin de s'autoriser un début d'histoire ? Possible.
En dépit de quelques faiblesses dans la structure de sa comédie, Silke Hassler parvient à saisir et décrire les maux de certains de nos contemporains au coeur d'une société prônant et célébrant la perfection, le bonheur sans nuage, la réussite, la gloire, tant sur le plan personnel, sexuel, que professionnel... Ne laissant que peu ou pas de place à ceux qui doutent ou rencontrent des difficultés. La situation n'est certes pas inédite mais fonctionne car intelligemment exploitée. Les personnages sont vrais, frais, touchants. Les dialogues drôles et de bonne tenue. Par ailleurs l'auteur, contrairement à nombre de ses collègues, fait preuve d'une appréciable concision.
Dans le rôle du voisin, Vincent Dedienne, sorti de l'école de la Comédie de Saint-Etienne en 2009, nous réjouit tout au long de la représentation, maîtrisant superbement une partition lui permettant de dévoiler un jeu aux multiples facettes, surprenant et toujours renouvelé. Naturel, cocasse, touchant. Sa partenaire Julie Delille, issue de la même "promo", nourrit également son personnage en profondeur, laissant deviner ses fêlures et donnant à voir une émouvante fragilité. Nous regretterons simplement un léger manque d'aisance dans les scènes d'audiotel érotique. Enfin la complicité des artistes est palpable et plaisante.
Jean-Claude Berutti signe donc un spectacle fort sympathique, de forme classique, à voir jusqu'au 27 avril seulement.
Pourquoi pas.
Photo : Lot