Un peu de réflexion politique - ce réel travail des élus qui donnent leur temps au service du bien public - après ces ignominies des derniers jours. Un peu de réflexion politique aussi au niveau local où se dessinent des ambitions, où se mettent en place des "ateliers", dont un pour la culture, avec une trame de définition du champ d'action digne du réducteur wikipédia! Il faut pouvoir, avant de travailler, d'établir des projets pour 2014, disposer d'éléments de réflexion...
La dernière version en date du projet de loi dite “de décentralisation et de réforme de l’action publique”, qui doit être présentée en Conseil des ministres le 10 avril, comporte 124 articles où se dessinent quatre grands axes : le renforcement du rôle des régions, l’accroissement des compétences des intercommunalités (notamment en matière d’urbanisme), la création des métropoles (au-delà de 400 000 habitants) et la préservation de la compétence générale pour toutes les natures de collectivités (article 45) dans le respect du principe constitutionnel de libre administration. Et un principe : une meilleure coordination entre collectivités et avec l’Etat, d’où la création d’un Haut Conseil des collectivités ainsi que l’instauration d’un « pacte de gouvernance territoriale débattu dans le cadre de la conférence territoriale de l’action publique » (exposé des motifs). Quel impact sur les politiques culturelles ?
On peut décrypter dans le projet de loi de décentralisation et de réforme de l’action publique une tension continue entre la volonté de donner un rôle de chef de file aux collectivités les plus grandes – intercommunalités (et non communes), régions (et non départements), métropoles – et celle de la préservation de l’autonomie de tous les pouvoirs publics locaux. Avec un cas emblématique, celui des métropoles dans lequel les communes incluses voient et leurs compétences et leurs financements largement transférés.
Le terme de culture est quasi absent du texte. Sur ce point le projet de loi ne dit rien, comme si la culture concrétisait un point à ne pas franchir ou encore comme si elle était l’incarnation la plus claire du conflit latent entre une propension à caractère fédéraliste et le respect de la légitimité politique de toute assemblée élue au suffrage universel. En somme, ce silence culturel indique qu’il y a ici une exception culturelle : la culture, avec les co-financements qui en rendent possible l’action publique la concernant, symbolise la résilience de la vie politique française à une métropolisation et/ou régionalisation qui serait davantage en phase avec l’intégration européenne et, au-delà, avec la mondialisation des échanges. Une exception qui cependant pâtira d’une part d’une baisse des moyens financiers communaux et départementaux mais aussi de sa position isolée (le tourisme, lui, est expressément l’objet d’un renforcement des rôles des intercommunalités et des régions) qui risque de compromettre la transversalité des enjeux culturels.
Pour autant, on peut peut-être lire “en creux” les articles impactant directement les politiques publiques de la culture.
Orientation et formation professionnelle. Le chapitre II de la loi transcrit les dispositions en faveur de l’emploi et de la jeunesse. Ses articles 25 et 26 « donnent compétence aux régions pour coordonner et animer le service public de l’orientation » dans le cadre national, via une convention de mise à disposition des centres d’information et d’orientation conclue entre l’Etat et la région. Ces articles précisent les compétences de l’Etat et des régions. Les établissements culturels ne sont pas cités, mais la possibilité semble ici ouverte de mettre enfin en œuvre les cycles d’orientation professionnels (CEPI), voulus par la loi de décentralisation de 2004, sous financement régional. Et ce d’autant plus que l’article 27, concernant l’enseignement supérieur et la recherche, prévoit de redéfinir et de renforcer le « rôle des régions en matière de formation en redéfinissant le périmètre et la portée du plan régional de développement des formations supérieures prévu pour l’élargir à l’ensemble des formations », donc à celles relevant des établissements supérieurs d’enseignement artistique vers lesquels les CEPI sont censés orienter les élèves des conservatoires.
Langues régionales. On sait que malgré la signature par la France de la Déclaration de l’Unesco sur la diversité culturelle (qui préconise la défense des langues menacées), notre pays n’a pas paraphé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Or l’article 29 du projet de loi fait une avancée prudente : dans les établissements scolaires, mais à la condition que cela se passe « hors du temps d’enseignement », les collectivités peuvent organiser des activités portant sur « la connaissance des langues et cultures régionales afin de soutenir ces dernières ». Certains pourront voir ici les prémices d’un régionalisme fédéral, d’autres une frilosité persistante que traduit la nette séparation en temps d’enseignement “national” et, pour ainsi dire, un hors temps scolaire régional…
Plan local d’urbanisme. Les articles 37 et 38 ne font pas non plus référence à la culture. Cependant, en décidant que « la compétence d’élaboration du plan local d’urbanisme est rendue obligatoire pour l’ensemble des communautés de communes et des communautés d’agglomération », on peut anticiper que l’articulation des exigences du patrimoine avec celles des PLU échappera de plus en plus aux communes. Ce qui peut créer des conflits avec les politiques patrimoniales des villes – notamment avec celles ayant institué des AVAP (ex-ZPPAUP) ou encore celles labellisées Villes d’art et d’histoire. En revanche, dans les cas d’extension des aires de protection patrimoniale sur des espaces débordant les limites communales, cette compétence obligatoire pour les intercommunalités peut favoriser la cohérence d’un urbanisme soucieux de la préservation du patrimoine. Et peut-être pallier la carence de tout dispositif de protection pour les sites, souvent très vastes, classés au patrimoine mondial.
La clause de compétence générale... « L’article 45 rétablit la clause de compétence générale des départements et des régions. » A condition de ne pas empiéter sur les domaines relevant de l’Etat ou à « d’autres personnes publiques que le Gouvernement souhaite voir prévaloir », cette latitude sur toutes les questions d’intérêt local vise à conserver à l’action locale « toute la souplesse nécessaire pour être efficace ».
L’essence même des politiques culturelles semble donc préservée, avec toutefois une nuance : le projet de loi prévoit des « schémas d’organisation sectoriels, destinés à déterminer les niveaux et modalités d’intervention des acteurs locaux ». Ils visent à permettre l’articulation de l’action des collectivités territoriales pour qu’elles puissent élaborer de manière coordonnée « une réponse pragmatique et fondée sur les réalités des territoires », en permettant à ces dernières d’organiser et de coordonner leurs interventions. Mais surtout, ces schémas ont pour objet d’instituer les conditions de la rationalisation et de la coordination des interventions financières des collectivités territoriales « dans le but de réduire les situations de financements croisés » et « de clarifier et simplifier les conditions d’attribution des subventions ».
De surcroît, le projet de loi reprend une disposition complexe prévue par le gouvernement précédent et qui en bien des cas, notamment en secteur rural, peut s’avérer contraignante pour les politiques culturelles : « Afin d’inciter les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre à s’inscrire dans la dynamique collective représentée par cet instrument nouveau de clarification et de coordination, les règles applicables aux financements croisés et à la participation minimale du maître d’ouvrage sont rendues plus contraignantes, pour l’exercice de la compétence concernée, à l’égard de ceux qui n’auraient pas approuvé le schéma d’organisation proposé. » En somme, les co-financements sans engagement financier significatif de la collectivité maître d’œuvre ne seraient autorisés qu’à la condition d’une inscription dans un schéma porté en commun entre collectivités dans le cadre d’une clarification des compétences des collectivités territoriales articulée « autour d’un outil nouveau : le pacte de gouvernance territoriale ».
...et les co-financements. Quoi qu’il en soit, le projet de loi reconnaît explicitement qu’il existe des domaines « exigeant l’articulation des politiques publiques de l’ensemble des collectivités publiques ». La culture n’est pas citée, mais le propos la concerne très directement. Ce dont témoigne cette formule un peu sibylline sur les compétences des intercommunalités : « L’intérêt communautaire subsiste exclusivement s’agissant des équipements culturels, socioculturels, socio-éducatifs et sportifs, les communes ayant vocation à intervenir pour la réalisation et la gestion d’équipements de proximité qui nécessitent des interventions des différents acteurs concernés. » Une formule qu’on peut interpréter ainsi : la compétence culturelle des intercommunalités reste dans le cadre jusqu’ici opérant, c’est-à-dire qu’elle ne concerne que les équipements (conservatoires, bibliothèques…) et non les projets de politique culturelle, lesquels en effet nécessitent des interventions multiples.
Cette précision est importante, car dans le grand et difficile débat sur la place des intercommunalités dans les politiques culturelles – celles-ci seront-elles l’avenir de celles-là ? –, le projet de loi répond par avance négativement : l’avenir des politiques culturelles est davantage croisé qu’intercommunalisé. Ce léger retrait de l’envergure de l’intérêt communautaire – même si l’article 62 a pour objet « de renforcer le bloc des compétences obligatoires des communautés de communes et de compléter le champ des compétences optionnelles » – doit-il s’interpréter comme une conséquence que ces pouvoirs locaux ne sont pas l’objet d’une validation démocratique par un suffrage directe ? Quoi qu’il en soit, cela peut compliquer la liberté des organisations et des initiatives locales.
Haut conseil des territoires et conférences territoriales de l’action publique. Conscient d’une nécessaire optimisation de la concertation entre collectivités et avec l’Etat, le projet de loi prévoit la création d’un Haut conseil des territoires et de conférences territoriales de l’action publique – « espaces de discussion de référence au niveau local entre l’Etat et les différentes catégories de collectivités territoriales ainsi qu’entre ces dernières. Elles doivent permettre aux acteurs locaux de renforcer en leur sein la coordination des politiques publiques nécessaire à leur optimisation.
Les conférences territoriales prendront deux formes. La première, destinée au dialogue entre collectivités territoriales, sera présidée par le président du conseil régional. La seconde, pour les échanges avec l’Etat, sera coprésidée par le représentant de l’Etat dans la région et le président du conseil régional.
Quant à l’instance nationale du Haut conseil des territoires, elle sera présidée par le Premier ministre aux côtés d’un vice-président élu parmi « les collèges des présidents de conseil régional, des présidents de conseil général », des présidents d’EPCI et des maires. Les métropoles seront-elles concernées ?
On notera le silence sur l’avenir du CCTDC : sera-t-il fusionné dans le HCT ? Gardera-t-il son autonomie ? En ce cas, quelle articulation ? Un piste récente serait de reconnaître le CCTDC comme un conseil ‘‘spécialisé’’ ou ‘‘spécifique’’ du HCT, ce qui présenterait l’avantage du maintien de son autonomie et sa liberté de fonctionnement (absence de tutelle d’une nature de collectivités sur les autres) tout en inscrivant pleinement les politiques culturelles dans l’ensemble des politiques publiques. Quoi qu’il en soit, il semblerait important que ce conseil soit mentionné dans la loi. Cette précision serait d’autant plus précieuse qu’est en cours un projet de loi d’orientation pour le spectacle vivant ainsi que pour le patrimoine et que l’objectif de la généralisation de l’éducation artistique et culturelle sera forcément concerné par le fonctionnement entre national et local que cette nouvelle étape de la décentralisation instituera (voir encadré page précédente).
Métropoles. Enfin, l’instauration des métropoles (regroupant environ 40% de la population) – avec les cas particuliers du Grand Paris, de Lyon Métropole et de la métropole Aix-Marseille-Provence – constitue l’une des lignes de force de ce projet de loi. « Cette nouvelle catégorie d’établissement public de coopération intercommunale est destinée à regrouper plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave et qui s’associent au sein d’un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d’en améliorer la compétitivité et la cohésion à l’échelle nationale et européenne. » Une évolution que justifierait notamment le fait que plus de 60% de la population réside dans une aire urbaine de plus de 100 000 habitants et que l’on assiste à un progressif rééquilibrage entre Paris et les grandes métropoles régionales. Autre raison : « La montée en puissance des agglomérations à vocation européenne ou internationale n’a cessé de s’accentuer, de même que les interactions entre celles-ci. »
Dans ce cadre, qui inquiète les élus ruraux tant il mise sur un avenir de plus en plus urbain (et ce malgré le constat de la fin de l’exode rural et d’un repeuplement du territoire hors agglomérations) mais aussi d’un grand nombre de communes appelées à devoir être regroupées en métropole (voire en particulier la réaction de l’union des maires des Bouches-du-Rhône), il semble que la compétence générale pour toutes les natures de collectivités sera quelque peu vidée de son sens et, surtout, des moyens pour l’exercer.
Pour conclure. La réforme se traduira globalement par un accroissement du pouvoir régional, en articulation avec l’Etat. Cela représente-t-il un assujettissement des collectivités à l’Etat vis-à-vis duquel, jusqu’ici, les collectivités pouvaient se constituer en contre-pouvoirs ? Maintenant, avec la notion de “pacte de gouvernance”, elles lui sont associées. C’est là sans doute que le CCTDC peut apparaître comme un exemple pour le fonctionnement du futur Haut Conseil des territoires : les collectivités n’agissent plus en réaction ou en opposition à l’Etat, mais dans le dialogue et l’échange, voire dans la confrontation. Le travail qui s’annonce ne sera-t-il pas de rendre démocratiques les échanges et les décisions ?