[Portrait] Takehiko Inoue : le talent et l’envie

Publié le 04 avril 2013 par Paoru

Il était l’invité phare du dernier Salon du Livre de Paris : Takehiko Inoue. L’auteur de Slam Dunk, Real et Vagabond était invité par Tonkam pour rencontrer ses fans – dont votre serviteur – et aussi présenter son ouvrage Pepita, un carnet de croquis où il suit les traces d’Antionio Gaudi.

C’est l’ami Sebastien Agogué de Mangavore qui a pu mener le débat lors d’une conférence assez réussie, même si les questions du public étaient assez inégales, il faut bien l’avouer… En tout cas voici l’occasion de vous proposer un portrait d’Inoue, l’un des mangakas les plus talentueux de sa génération qui mérite déjà sa place parmi les grands, que ce soit pour la force de ses récits ou son exceptionnel coup de crayon.

En route…

La passion du basket

Takehiko Inoue est né le 12 janvier 1967 à Okuchi dans la préfecture de Kagoshima, à l’extrémité sud-ouest du Japon.

Sa première passion n’est pas le manga mais  le dessin : « Depuis mon enfance, j’adore dessiner. Je pensais plus tard faire un travail en rapport avec le dessin. La question s’est finalement posée au lycée et le métier de mangaka me semblait le plus réaliste. »

Le lycée est aussi l’occasion de faire connaissance avec une autre passion : le basket. « C’est aussi pendant le lycée que j’ai connu le basket. Au Japon, on est obligé de faire une activité au lycée. J’ai choisi le basket. Ça m’a tellement plu que du coup j’en ai fait un manga. Au début, je ne pensais savoir dessiner que ça. »

Après le lycée il débute l’université mais il ne finit pas son cycle d’étude car sa carrière décolle en 1988, lorsqu’il reçoit le Prix Tezuka pour Kaede Purple, sont premier manga sur le basket qui sera pré-publié dans le Shônen Jump. C’est ainsi que nait Kaede Rukawa et, par prolongation, Hanamichi Sakuragi, le héros de Slam Dunk : « Mon premier manga était Kaede Purple, dont le personnage principal était Rukawa. Au final, j’ai voulu faire un autre personnage principal, qui devait être un son opposé. C’est ainsi qu’est né Sakuragi. »

Sur la genèse de Hanamichi, il avoue qu’il met un peu de lui dans tous ses personnages : « Dans chaque être humain, il y a plusieurs soi-même. Quand je dessine un manga, je tente de faire ressortir les choses que j’ai en moi. Dans Sakuragi, il y a un peu quelque chose de moi dans son côté… con. » (Rires)

Avant de commencer ce shônen phare en 1990, Inoue passe 10 mois à Tokyo en tant qu’assistant de Tsukasa Hôjo, alors en plein City Hunter. Lorsqu’un spectateur lui pose la question saugrenue « pensez-vous avoir influencé ce mangaka ? », Inoue éclate de rire et explique que, au contraire, il était plutôt un « boulet ». En 1989 il participe en tant que dessinateur au manga Chameleon Jail, l’histoire d’un homme qui résout des crimes grâce à sa capacité de changer son apparence physique. C’est le premier manga d’Inoue à sortir en tankobon, juste avant qu’il ne cartonne avec Slam Dunk : pas moins de 110 millions d’exemplaires vendus au Japon en 14 ans, un des plus grands succès de tous les temps.

Une réussite qu’il n’attendait pas du tout… Il n’était, d’ailleurs, pas satisfait de son travail : « J’ai commencé à 23 ans avec le Shônen Jump. Quand j’étais débutant, je pensais que mes dessins étaient mauvais. Mais je savais qu’à force de produire des planches, des planches, et des planches, j’allais m’améliorer. Un peu comme Sakuragi en fait… 

Quand j’ai commencé la série, je ne m’attendais pas à un tel succès. J’ai découvert mes fans à Paris et je ne m’attendais pas à cet engouement et cet accueil non plus. Merci beaucoup ! (Applaudissements) »

Toujours est-il que ce succès lui permet d’être l’un des rares auteurs capables d’acquérir ses propres droits et de les reprendre à la Shueisha. Ils sont aujourd’hui gérés par I.T. Planning, Inc.

Slam Dunk s’achève en 1996 mais Inoue n’en a pas fini avec le basket-ball, loin de là. La même année il enchaîne sur Buzzer Beater, manga couleur et en ligne où le basket se mêle à la science-fiction, le tout inspiré par Space Jam. En 1998 il sera également le character designer de One on One un jeu vidéo – de basket évidemment – sur Playstation.

Enfin, depuis 1999, il continue encore et toujours de nous parler de basket avec Real, qui traite cette fois-ci du handi-basket. Un seinen qui est né d’un heureux hasard : « C’est simplement venu par hasard, après avoir vu du handi-basket à la télévision, un soir en rentrant chez moi. J’ai alors eu envie d’écrire sur le sujet. » Explique-t-il.

Basket toujours, il écrit un article mensuel sur la NBA, Show Time dans les pages du Young Jump. Il continue à jouer au basket-ball avec son équipe, les Take-chan, même si son niveau est loin d’être extraordinaire. Il aime aussi regarder la NBA à la télévision, et son équipe favorite est celle des Los Angeles Lakers. Et puisque l’on parle de télévision et de sport, il avoue aussi regarder le football, un autre sport qu’il apprécie. Il a d’ailleurs participé à un recueil sur le football pour la Coupe du Monde de Football en Asie, en 2002.

Pour revenir au basket, on ne peut que sourire face à question incongrue du public quand on connait l’humilité des japonais, mais la réponse d’Inoue reste intéressante :

Public : «Il y a de nombreux mangas de basket qui marchent au Japon… Est-ce que certains mangakas sont venus vous demander des conseils ? Pensez-vous les avoir inspirés ? »

Inoue : « Franchement nous avons peu de relations entre mangaka ! Honnêtement nous n’avons pas le temps de lire d’autres mangas et ce n’est pas dans les mœurs au Japon de se demander des conseils. »

Heureusement le public pose aussi des questions plus universelles : « Reverrons-nous un jour les personnages de Slam Dunk ? »

Inoue : « Je ne peux pas vous donner de réponse. Si je vous réponds oui, j’aurais une immense pression sur les épaules. À l’inverse si je vous dis non, je me ferme une porte. Il me faudrait une situation qui me donne envie de m’y remettre.

Je vous rassure, les personnages sont toujours dans mon cœur, et ils y vivent. »

Vagabond & Pepita : l’artiste et le mangaka

En 1998 il entreprend d’adapter le roman diptyque d’Eiji Yoshikawa, La Pierre et le Sabre et La Parfaite Lumière, qui se base sur la vie du célèbre samurai, Musashi Miyamoto. Vagabond – c’est le nom de ce nouveau manga – est clairement une rupture avec le basket-ball et Slam Dunk… Une rupture voulue, comme l’explique Inoue : « Après Slam Dunk qui était une histoire fun et joyeuse, j’ai voulu faire quelque chose de plus dur, avec le thème de la mort. Je l’ai choisi par hasard, parce que quelqu’un m’en avait parlé. »

La aussi l’œuvre rencontre le succès, mais elle n’était pas forcément prévue pour durer. Sur la longueur de la série et la richesse du contenu, le mangaka explique que « à la base, je n’avais pas tout ça en tête. Le manga devait être fini en 2 ans. C’est en l’écrivant que j’ai compris que ça ne serait pas suffisant. C’est venu petit à petit. »

Vagabond est aussi l’occasion de voir à quel point le dessinateur a progressé. Néanmoins, il reste modeste quand on le complimente sur le sujet : « je ne vois pas en quoi c’est exceptionnel… Je ne pourrais pas vraiment l’expliquer c’est juste mon dessin naturel ».

Un dessin qui va encore évoluer, notamment lorsqu’Inoue décide de changer d’outil au beau milieu de la série : « Je crois que jusqu’au 14ème tome, j’utilisais des stylos classiques. Je les trouvais durs et ça se ressentait dans mon dessin. Je voulais une plus grande souplesse. J’ai alors pensé aux pinceaux et en essayant j’ai enfin trouvé le style que je recherchais.

Je trouve que c’est différent à tenir en main. Avec un stylo il faut appuyer fort mais le trait est toujours identique. Avec le pinceau, on perd le contrôle et il y a une certaine notion de hasard que le lecteur peut ressentir. Ça me plait. »

Presque gêné de se laisser entrainer dans les détails de son métier, Inoue s’arrête et demande au public : « Ça vous plait d’écouter tous ces détails techniques ? », ce à quoi le public rit puis applaudit de manière affirmative. Il faut dire que l’homme est plus communicatif que la moyenne des japonais et rigole a de nombreuses reprises lors de la conférence. Le public est très attentif à toutes ces explications et une bonne partie est clairement fasciné par l’artiste.

Nous continuons donc dans les détails et nous évoluons sur les personnages. Vagabond est une adaptation assez libre du roman d’origine, on remarque même que Kojiro n’est pas sourd dans la version originale… « L’idée de base était qu’il fallait un rival à Musashi. Je me suis demandé : qu’est-ce qui le rendrait plus fort ? En le rendant sourd, il se focaliserait sur l’intérieur plutôt que sur ce qu’il y a autour. » Se justifie Inoue.

Une fois ces réflexions mises en place on voit que l’artiste aime se laisse guider par le flot de son histoire, et laisse s’exprimer ses personnages. Lorsqu’on lui demande si la détermination remarquable de ses protagonistes est quelque chose de voulu, il explique que « ce n’est pas quelque chose que je recherche. J’écris sur le moment et ce sont les personnages qui me donnent l’idée de l’évolution. Je ne la réfléchis pas. C’est peut être un reflet de mon inconscient que je transpose dans mes mangas… »

En travaillant à l’instinct, il dévie régulièrement de la route qu’il se trace, comme il l’explique très bien lorsqu’on lui demande de décrire sa semaine type de travail : « Dans un manga, il y a toujours un responsable au dessus de moi  qui me rapporte les échos du chapitre précédent, ce qui a plu ou pas aux lecteurs. On parle de l’histoire qui va venir après. Avec les assistants, on prépare le storyboard au crayonné. À partir de là, c’est plus difficile à expliquer. (Rires)

Jusqu’à l’étape du crayonné, il se passe 3 jours. Tout ce dont on avait parlé avec le responsable se trouve chamboulé et on fait finalement tout autre chose. Mais on ne peut plus revenir en arrière car on entre dans l’étape des dessins finaux. En plus on manque de temps donc on doit prendre sur notre temps de sommeil ! (Rires)

Nous sommes 5 : 4 assistants et moi. Je m’occupe des personnages –je les fais tous – les assistants font les décors que j’ai crayonné au préalable et ils les encrent. »

Les petites annotations qu’il insère dans ses textes – souvent à caractère humoristique – ne sont pas planifiées à l’avance, et arrivent lors de cette dernière étape de production.

Peu enclin à suivre un chemin tout tracé, la carrière et les histoires de Takehiko Inoue évoluent au fil des découvertes et surtout des envies. C’est ainsi qu’il va faire un lien surprenant entre Miyamoto Musashi et Antonio Gaudi : « mon intérêt pour Gaudi est venu, au départ, avec Vagabond. On peut le ressentir avec Musashi, dans son mouvement… Il veut être en harmonie avec la nature. Quand j’ai vu Gaudi j’ai trouvé qu’il cherchait, lui aussi, cette harmonie… Même si ses sentiments sont parfois étranges. »

De ce point commun lui est venue l’envie d’en apprendre plus sur cet architecte catalan : « Pepita a commencé lors d’un voyage à Barcelone. Je voulais retracer la vie de Gaudi, la ville où il est né, ce qu’il a conçu, etc. J’allais dans tous les endroits qu’il a traversés et j’ai fait plusieurs croquis… C’est de là qu’est né le recueil. »

Un recueil que je vous recommande d’ailleurs, sublime, assez révélateur de Inoue et enrichissant sur Gaudi… Avec quelques bonus sympathiques qui ne gâchent rien. Je vous en reparlerai peut-être plus tard.

Toujours est-il que la conférence s’est achevée au bout d’une heure d’échanges par une standing ovation qui, je pense, a vraiment touché l’artiste, comme on le devine sur les clichés ci-dessous mais surtout à travers le message qu’il a laissé sur son compte Twitter, en français et juste après la conférence : « je remercie mes fans français pour leur accueil chaleureux. J’ai passe un excellent moment avec vous. A la prochaine ! »

Pour compléter ce portrait je précise que mon cher Painfool a eu la chance de le rencontrer quelques jours auparavant, en interview pour Journal du Japon, et qu’il publiera le compte-rendu de cette rencontre dans quelques jours sur JDJ (je vous fournirai le lien ici et sur les réseaux sociaux)… Au vu des questions et du bavard qu’est Inoue, ça devrait valoir le coup !

En attendant vous pouvez jeter un oeil à l’album photo du Salon du livre, sur la page d’accueil du blog ou sur Facebook, vous y retrouverez toutes les photos de la conférence et une multitudes d’autres clichés !

Remerciements à Gally pour la retranscription de cette interview, à Leang avec moi à la photo, puis à Tonkam pour avoir invité le mangaka et enfin à Sebastien Agogué et l’interprète l’accompagnant (pas mauvais d’ailleurs ) pour cette conférence.