Le Shisen-dô a été construit en 1641 par Jôsan, un maître de jardins, nourri de littérature classique chinoise, qui voulait un ermitage pour passer ses vieux jours.
Dans la lumière grise et tremblante d'une aube de printemps, n'avez-vous jamais eu l'impression, alors que les oiseaux mâles gazouillaient dans les arbres selon quelque rythme mystérieux, qu'ils chantaient les louanges des fleurs à leurs femelles ? Pour ce qui est de l'humanité, à l'évidence, la poésie amoureuse a dû naître en même temps que l'amour des fleurs. Comment mieux décrire, en effet, l'épanouissement d'une âme virginale en la comparant à une fleur, si douce dans son inconscience, parfumée parce que silencieuse ? En offrant la première guirlande de fleurs à sa compagne, l'homme primitif a transcendé la brute. Par ce geste qui l'élevait au-dessus des nécéssités grossières de la nature, il est devenu humain. En percevant l'usage subtil de l'inutile, il est entré dans le royaume de l'art ...
... Dites-moi, douces fleurs, larmes des étoiles dressées dans le jardin, dodelinant vos têtes au gré des abeilles qui chantent la rosée et les rayons de soleil, savez-vous le sort cruel qui vous attend ? Rêcez, balancez-vous et folâtrez tant que vous pouvez dans la douce brise estivale. Demain un main impitoyable étreindra votre gorge. Vous serez arrachées, démembrées, emportrées loin de vos paisibles demeures. La scélérate, elle, passera pour belle ! Elle pourra dire combien vous étiez gracieuse, lorsque ses doigts seront encore humides de votre sang. Dites, est-ce là de la bonté ? Ce sera sans doute votre destin d'être emprisonnées dans les cheveux d'une que vous savez sans coeur ou glissées dans la boutonnière d'un qui n'oserait même vous regarder en face si vous étiez un homme. Ce sera sans doute votre lot d'être enfermées dans quelque vase étroit, avec un peu d'eau stagnante pour étancher la soif panique qui avertit que la vie passe.
Fleurs, si vous viviez au pays du Mikado, vous rencontreriez quelque jour un terrible personnage armé de ciseaux et d'une scie miniature. Celui-là s'appellerait-lui même le Maître des Fleurs.
Extrait de "Le livre du thé" de Kakuzô OKAKURA
Photos au Shisen-Dô à Kyôto (Japon) en juillet 2011