François Hollande a cru pouvoir éteindre l’incendie de l’affaire Cahuzac en
trois coups de cuillère à pot, trois mesures dont une pas vraiment réalisable ni souhaitable. Certains démagogues voudraient aller encore plus loin en sanctionnant pénalement le
mensonge.
La classe politique fait-elle la neige ? Le niveau de
surexcitation due à l’affaire Cahuzac est tel que la situation paraît explosive. Le mensonge, considéré
comme "outrage à la République", serait-il plus grave que la fraude fiscale qui pourrait d’ailleurs ne
pas être seulement un cas d’enrichissement personnel mais, comme le susurrerait Edwy Plenel, de Mediapart, un potentiel fil (loin d’être démontré) d’un financement occulte des réseaux rocardiens
qui se sont transformés, quelques années plus tard, en réseaux strauss-kahniens ?
Comme dans le quinquennat précédent, le Président de la
République, qui s’est exprimé dans une courte allocution télévisée le 3 avril 2013, semble réagir sur le coup de l’émotion publique, sans prendre le temps de la réflexion, sans prendre en compte
que le cas d’un seul homme ne signifie rien sur le système politique dans lequel il évoluait. Aucune loi n’interdira, n’empêchera à un homme d’être hors-la-loi.
La réaction présidentielle
François Hollande a ainsi proposé en vitesse, avant de
prendre son avion pour le Maroc, trois projets de loi.
Le premier, sur l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, était déjà prévu. Le deuxième, qui
régulerait les conflits d’intérêts entre fonctions publiques et fonctions privées, aurait dû être depuis longtemps présenté (proposé par François Bayrou dès le 25 février 2012).
Mais c’est le troisième projet qui paraît d’une assourdissante démagogie : l’interdiction définitive à
se présenter à des élections de toute personne ayant été condamnée pour fraude fiscale. Un projet qui, de toute façon, ne s’appliquerait pas à ceux qui ont déjà été condamnés (et parmi lesquels
certains ont été réélus), car la loi n’a pas le droit d’être rétroactive.
L’inéligibilité à vie, mauvaise réponse à un vrai problème
Cela part évidemment d’un bon sentiment : quelqu’un qui a fraudé ne semble pas le mieux placé pour gérer
des finances publiques (locales ou nationales), certes. Mais c’est aussi croire qu’aucune personne n’est "rédemptable" (le mot "rachetable" est plus correct dans la langue française mais me
paraît moins pertinent).
Pourtant, cette idée est inspirée plutôt d’une idéologie de droite dure qui voudrait qu’un délinquant ou un
criminel le serait définitivement et qu’il n’y aurait plus rien à faire car il ne se rachèterait pas. Une idéologie qui ne sent pas très bon car l’être humain est bien plus compliqué que de se
caser dans une répartition manichéenne entre "bons" et "mauvais".
Et en dehors de sa probable inconstitutionnalité, la mesure serait complètement absurde puisque cela
reviendrait à permettre à un ancien meurtrier qui aurait purgé sa peine de se présenter à une élection mais pas un condamné de fraude fiscale qui aurait, lui aussi, purgé sa peine. C’est
considérer la fraude fiscale comme plus grave que la mort d’un homme. C’est perdre le sens des valeurs qui fondent la République.
Je crois plus au bon sens des électeurs qui devraient être les seuls juges, dès lors que les condamnés ont
purgé leur peine et ont retrouvé leurs droits civiques.
D’ailleurs, dans les jugements d’affaire de corruption ou de fraudes fiscales, il est fréquent que les peines
soient accompagnées d’une période d’inéligibilité. Laissons plutôt la liberté aux juges de prendre les mesures les plus adaptées à chaque cas. Je vois d’ailleurs là une contradiction majeure avec
la volonté, dans le premier projet, de donner plus de liberté aux juges justement.
Interdire de mentir
Mais certains, parmi les journalistes ou les personnalités politiques, considèrent que cela ne va pas assez
loin. Ils voudraient pénaliser le mensonge. Et là, c’est presque ubuesque. C’est une véritable américanisation de la vie politique qui serait proposée avec son cortège de puritanisme et de bons
sentiments parfois largement hypocrites.
Ainsi, il s’agirait de sanctionner celui qui aurait menti aux citoyens, ou au moins, à la représentation
nationale. Si tel était le cas, j’aurais bien peur que François Hollande puisse un jour être confronté aux tribunaux, avec ses promesses électorales à peine ambiguës. François Mitterrand risquerait de se retourner dans sa tombe avec ses bulletins de santé impeccables et (entre
autres) l’affaire Greenpeace qui, elle, a coûté la vie d’un homme, c’est autre chose qu’une simple fraude fiscale. Et je ne parle pas de ses deux successeurs directs qui ont, eux aussi, utilisé
parfois le "non-vrai".
J’ai noté d’ailleurs que dans l’intervention présidentielle de mercredi, François Hollande s’était bien gardé
de dire, à propos du compte à l’étranger de son Ministre du Budget, qu’il ne savait pas. Il s’est juste contenté de dire qu’il ne l’a pas protégé, ce qui est probablement vrai. Prudence.
Simple d’un premier regard, légiférer contre le mensonge serait en fait très compliqué : comment
déterminer ce qui est un mensonge et ce qui est une erreur de jugement ? Par exemple, lorsqu’un Premier Ministre déclare le 27 septembre 2012 qu’il n’y aurait plus de taxation supplémentaire et que, dès le 13
novembre 2012 (un mois et demi après !), on décide d’augmenter la TVA (de 3 points pour le taux intermédiaire !), est-ce un mensonge ou une erreur de jugement ? Les limites
sont floues.
Le contrat de confiance
Cela dit, on touche ici au cœur de la démocratie. Lorsque les promesses électorales n’engagent que les
électeurs, il y a un réel problème de démocratie. Cela fait plusieurs décennies que les Présidents de la République françaises ont été élus sur des malentendus : "Changer la vie" avec
François Mitterrand, "Réduire la fracture sociale" avec Jacques Chirac, "Travailler plus pour gagner
plus" avec Nicolas Sarkozy, "Le changement, c’est maintenant" avec François Hollande. Tous pourraient expliquer leurs changements de perspective par des changements de conjoncture, et parfois,
cela pourrait être vrai.
A contrario, s’entêter dans ses promesses ne serait pas forcément plus pertinent : que ce fussent
les 35 heures, simple idée de campagne en 1997 trouvée à la va-vite sur une nappe de restaurant, avec Lionel
Jospin, ou la réduction de l’impôt sur le revenu en 2002 pour Jacques Chirac dans une situation d’endettement public qui rendait cette baisse dramatiquement irresponsable, le fait de vouloir
à tout prix appliquer son programme, persister dans l'erreur, a fait également beaucoup de dégâts à la France.
Certains ont fait dans le passé des propositions plus réalistes, comme Ségolène Royal qui souhaitait confronter les promesses électorales et leurs réalisations (ou pas) devant des
assemblées de citoyens.
La place du Parlement
En fait, dans des institutions démocratiques, c’est au Parlement que revient ce rôle de contrôle de l’action
du gouvernement. Mais à partir du moment où le parti majoritaire n’a aucune capacité de critiquer l’action du gouvernement, par une sorte de suprématie présidentielle sur les députés (qui va
jusqu’au chantage des investitures pour les élections suivantes), ce rôle n’existe plus sous la Ve République. Sous la IVe République, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault
aurait sauté depuis longtemps avec l’affaire Cahuzac.
Il reste à inventer un moyen de donner aux parlementaires un rôle plus important de contrôle sans mettre
à mal l’indispensable stabilité institutionnelle dont la France a d’autant plus besoin que le pays traverse une grave crise économique.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (4 avril
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’affaire Cahuzac.
François Hollande.
Mentir à l'Assemblée n'est pas encore un crime ("Le Monde" du 4 avril 2013).
Moralisation de la vie politique.