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Moscovici : le salopard de François Delapierre et le salaud de Jean-Paul Sartre par Clément Sénéchal

Publié le 31 mars 2013 par Lino83

PIERRE-MOSCOVICI  

  

Moscovici : le salopard de François Delapierre et le salaud de Jean-Paul Sartre

Publié le 28 mars 2013 |  par Clément Sénéchal

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« Cette dictature financière, nous disons quels sont ses visages. Oui, le monde de la finance est notre ennemi, oui, il ne présentera jamais sa candidature, oui il ne sera donc pas élu, oui il gouverne, oui, sous nos yeux, il a pris en 20 ans le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. Mais non, ce n’est pas un monde sans visage, c’est trop facile : il y a des institutions concrètes portées par des gens de chair et d’os qui prennent ces décisions. La décision de taxer les dépôts chypriotes, ce sont les 17 salopards de l’Eurogroupe [qui l’ont prise]. Et dans ces 17 salopards, il y a un Français, il a un nom, il a une adresse, il s’appelle Pierre Moscovici et il est membre du Parti socialiste ».

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François Delapierre

Salopard, donc. Et bien joué, François Delapierre : en agitant ce chiffon rouge énonciatif à la tribune, le secrétaire national du Parti de gauche est parvenu à faire du congrès de son parti un événement, à élargir considérablement son espace médiatique personnel, et enfin à greffer la ligne politique du Front de gauche sur l’actualité économique dominée par la crise chypriote. Bien entendu, la frange médiatique de la classe dominante – à l’unisson de la frange politique tendance solférinienne – s’est indignée, par les voix de ses éditorialistes organiques, Jean Quatremer et Jean-Michel Aphatie en tête (mais également suivi par les respectables journalistes politiques du Monde ou encore les vedettes des JT de TF1 et France 2) ceux-ci se livrant d’abord à un extravagant procès en antisémitisme. Avec l’intention claire de faire passer Mélenchon pour un «Le Pen de gauche» afin d’en limiter l’impact. Mais voilà, Mediapart et Politis finirent par déconstruire la supercherie,  prenant tout le monde la main dans le sac, acculant même assez Jean Quatremer pour qu’il se fende d’un improbable mot d’excuse sur Twitter.

Une fois les lueurs Godwin de l’infâmie éteintes, le saint cortège médiatique s’est ensuite déporté sur le terrain du populisme pour se concentrer sur l’insulte en elle-même, considérée comme vice de forme : l’usage d’un vilain gros mot, peu importe l’idéologie défendue par son locuteur, serait en soi la marque d’une vacuité intellectuelle et politique démasquée, ainsi qu’une violence portée au débat public (l’inénarrable Quatremer, encore). Comme il est d’usage de considérer que l’insulte nuit au débat, les mots de François Delapierre et le courant politique dont ils sont l’écume seraient indignes d’accéder à l’espace public. Objectif : faire passer François Delapierre et Jean-Luc Mélenchon (puisqu’il a assumé pour lui l’expression) sous les fourches caudines de la politesse concédée à l’ordre établi. Tactique élémentaire de neutralisation. Ce mouvement de riposte médiatique atteignant sûrement son stade ultime – et le plus grotesque – dans la matinale de Patrick Cohen de mercredi, dont Jean-Luc Mélenchon était l’invité. À moins que ce ne soit dans les pages Événement que Libération consacra à l’utilisation coupable des gros mots.

Mais ce procès en vulgarité n’est-il pas aussi stupide que celui en antisémitisme ? L’usage d’un syntagme appartenant au registre usuel des insultes françaises est-il bien le signe d’une indigence politique, conceptuelle ou discursive ? Voire d’un déficit évident de civilité (et donc de moralité) lié à l’outrance du langage ? Rien n’est moins sûr, et il me suffira pour illustrer mes réserves de convoquer Jean-Paul Sartre. Notamment parce que si l’on fait la liste des concepts issus de la philosophie sartrienne, on trouve le « salaud » : c’est celui qui se contente d’être lui-même, qui refuse d’admettre que sa conscience lui adjoint la responsabilité de ses actes et que la contingence de son être le place au milieu de ses semblables auquel il doit donc des comptes. Nous nous choisissons toujours en face des autres, pour nous et pour les autres, puisque notre choix pose des valeurs que nous souhaitons universelles : nos actes engagent toute l’humanité, dit Sartre en substance.

Le concept de salaud condensait donc tout à la fois une ontologie (l’existentialisme), une philosophie du sujet (de la conscience et de la responsabilité) et une théorie politique (de la liberté et de l’action collective). Une certaine complexité, donc. Et un haut degré heuristique. Quant à son usage, il signalait en creux l’humanisme du philosophe. Quand Sartre traitait quelqu’un de « salaud », il signalait son attachement intact à des préoccupations morales.

Or, qu’entend François Delapierre par « salopard » ? Remarquons d’abord qu’il fait référence aux 12 salopards du film du même nom, lesquels salopards sont en fait des fanatiques lancés dans une mission suicide derrière des lignes ennemies, tentant le tout pour le tout. Or la décision prise par l’Eurogroupe de ponctionner directement les dépôts de tous les épargnants chypriotes – sans leur demander leur avis – semble en effet procéder d’un fanatisme financier relativement suicidaire. Mais François Delapierre entendait surtout accuser ainsi – il suffit de reprendre les 22 minutes de son discours pour s’en convaincre – cette attitude répandue de dirigeants déliés de leurs responsabilités politiques qui prennent, dans l’anonymat confiné et confortable des fauteuils bruxellois de l’Eurogroupe, des décisions graves pour les hommes qui les entourent sans se soucier un instant des implications morales et des conséquences réelles de leurs actes ; car pris dans un système sans alternative – leur classe en réalité – ils n’auraient « pas le choix ». En somme, Delapierre accuse Moscovici de trahir sa charge de dirigeant politique et d’homme loyal en sacrifiant le souci du peuple aux huiles onctueuses de l’oligarchie. En utilisant le concept de salopard, François Delapierre rend donc la part de responsabilité qui revient à l’homme Moscovici (et ce dernier devrait plutôt le prendre comme une faveur faite à sa dignité). Derrière l’usage de la catégorie du salopard, il y a donc tout à la fois une théorie de l’oligarchie et de la souveraineté populaire, une analyse sociologique des processus de décision européens, une philosophie de l’action et une critique morale de la mauvaise foi politique. Bien autre chose, donc, qu’un aveu de faiblesse.

Il semble en outre qu’entre le salaud et le salopard, il n’y ait qu’un pas, un soubresaut, une foulée politique ; celle de Pierre Moscovici, peut-être.

PS : Et si c’était l’inverse ? Si le plus inquiétant n’était pas en effet qu’à l’heure où la concentration des richesses dans les mains d’une minorité atteint des niveaux sans précédent, où les violences économiques qui s’exercent sur les populations tutoient des seuils inédits depuis près d’un demi-siècle, où l’avenir de la planète comme celui des jeunes générations se trouve hypothéqué comme jamais il ne le fût dans l’histoire de l’humanité, un homme de gauche, fils de la révolte et de l’indignation, héritier de la guillotine révolutionnaire et des chevrotines de la Résistance, ne trouve pourtant personne où porter l’injure ?

PPS : Et si, en politique, la violence n’était pas plutôt apanage d’une langue qui, sous prétexte de satisfaire aux convenances, dissimule, évite, se défausse ?


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