Baigné de bleu. Trônant
sur un siège haut, au devant de la scène. Guitare sèche à la main. Alain
Bashung semble perdu. En déséquilibre. Prêt à tomber au moindre mouvement. Et
dans le même temps, en parfait accord avec lui-même. Alain Bashung,
l’ambivalence, l’insaisissable. Il s’est fait désirer, une fois le noir tombé
sur la salle de spectacles de la Défense. Conscient de son rôle, de l’attente
du public qui ne cesse de l’applaudir, il se glisse néanmoins dans sa peau de
chanteur. Entre présence et absence, le jeu de scène en est troublant. Involontairement,
peut-être. Il est ailleurs. Derrière ses inamovibles lunettes noires, sous son
chapeau noir, dans un pli de son costume noir ou de sa chemise blanche négligemment
ouverte, Alain Bashung se cache.
Le sexagénaire égraine cependant
les chansons de son dernier album « Bleu pétrole ». Les unes
après les autres. Avec nonchalance, assurément. Avec brio, indubitablement. Aux
premières notes d’un nouveau morceau, une femme, au deuxième rang, se lève d’un
bon. Agite ses bras en sautillant, puis consent à se rasseoir. Dans la salle,
le long des rangées des sièges, se tiennent d’autres fans. Debout, souvent un
verre de bière à la main, ils dansent, reprennent les refrains qu’ils
connaissent déjà, à peine trois semaines après sa sortie de l’opus.
Depuis l’album « L’imprudence »
(2002) Alain Bashung se faisait rare. La critique l’attendait au tournant,
comme toujours. Pourtant, chacun des ses nouveaux albums fait des étincelles et
ajoute à son tableau son lot de tubes. Une dizaine aujourd’hui, de « Gaby,
oh Gaby », en passant part « Osez Joséphine »,
« Vertige de l’amour » ou encore « Ma petite
entreprise ». Malgré ses quarante années de métier, il n’a pas sur le
dos, qu’il expose sur sa dernière pochette de CD plutôt que son visage,
l’étiquette du vétéran. En 2008 son univers musical de rockeur un rien déprimé
et underground, textes et chansons font encore l’unanimité. Des textes ciselés,
voire violents, désabusés et pertinents. Des mélodies entêtantes, rythmées
entre pop-rock-folk et expérimentations, harmonica et violoncelle. Sa voix
oscille entre plainte, cri et prière, notamment quand l’interprète termine un
morceau en répétant une même courte phrase. Comme un mantra. Le chanteur lui,
ne remarque rien de l’agitation à ses pieds. D’ailleurs, il ne décroche pas un
mot à son public. Alain Bashung redoute la scène. Si d’infimes signes
trahissent au fur et à mesure des interprétations, son plaisir de la scène, son
malaise prime. Ce soir là, il n’a presque rien laissé transparaître. Un très
léger sourire face à la liesse du public quand il a entamé « La nuit je
mens ». Mais rien de plus. Les chansons s’enchaînent dans une course
folle, comme pour conjurer le sort, en finir. Les musiciens déploient tous
leurs talents dans cette ambiance bleu nuit épurée. Et Alain Bashung, entre
deux couplets, tourbillonne au ralenti sur une parcelle d’estrade. Le bras
gauche en l’air. L’autre solidement arrimé à son micro, il tourne. Tel un indien
dansant pour invoquer un Dieu. « Comme un Légo », « Vénus »
ou « Bleu pétrole » ont trouvé leur public, même sans l’aide
d’une divinité.
Sa présence fantomatique
entre deux projecteurs aux rayons blanchâtres rappelle celles des piliers de
bras. Mais un habitué distingué, aux allures de dandy désenchanté. Un de ces
hommes tapis au fond d’une salle enfumée qui prend la parole sans crier gare.
Pointant un doigt vengeur ou alarmant vers le ciel avant d’aligner quelques
vérités bien senties sur l’avenir du monde et l’hypocrisie humaine, d’une voix
mélancolique et calme. Puis qui replonge dans un mystérieux silence,
impénétrable.
Bashung, impassible sur la
scène du Magic Mirror, c’est un peu cela, un sage qui ne fait pas de vague, ou
qu’à l’occasion seulement. Sur un album ou une scène. Tout ce qu’Alain Bashung
a à dire se trouve dans ses chansons.
Photos : Claire Berthelemy. Tous droits réservés.