Pas de cinéma, cette semaine, les sorties étant décourageantes. Très marquées "ciné-réalité". La Nième adaptation française d'un fait divers, à la platitude "minimum syndical" avec Cluzet (Sy Sy !), un docu sur la maison de la radio (à voir si, comme c'était notre rythme il y a quelques mois, vous voyez quatre à cinq films par semaine), le Free Angela, assez tentant, Jaurès de Vincent Dieutre (non, ce n'est pas un biopic sur le fondateur de L'Humanité !), plutôt tentant et d'autres. Mais, c'est un aveu, c'est entre nous, ne le répétez pas, le ciné-réalité, ça m'emmerde. Pas toujours, mais souvent.
Dans les sorties commerciales, reste un film que je veux absolument voir, mais pour une seule raison : Quartet. Pourquoi ? L'acteur principal n'est rien moins que Tom Courtenay. LE Tom Courtenay redécouvert en salle il y a quelques mois, avec E., dans l'épatant Billy Liar de John Schlesinger, revu depuis en DVD dans La solitude du coureur de fond. Tom Courtenay, le Jean-Pierre Léaud anglais, qui semblait avoir délaissé définitivement le cinéma pour le théâtre et qui revient à fond avec deux autres films prévus cette année. Et dans Quartet, Tom Courtenay semble le faire-valoir de Maggie Smith, la garce aristo de Downton, ce qui n'est pas mal. Et puis, souvenirs, souvenirs, nostalgie sans fond, c'est sur les murs du métro londonien que nous avions découvert l'affiche du film, apprenant ainsi du même coup que Dustin Hoffman, qui fut le François Cluzet américain, le talent en plus, devenait réalisateur (Tom Courtenay, à deux âges différents, illustre la partie Ciné, pas de cinéma, de ce billet).
J'ai dit pas de cinéma, mais quand même, quand on voit le programme de La Filmothèque (où l'on peut rencontrer des acteurs aussi passionnés, courtois et soucieux des autres que Gilles Cohen -- ça c'est un message personnel, désolé), avec la reprise de plusieurs Fellini dont La dolce vita et Huit 1/2 en version restaurée (SOS : qui veut m'accompagner vendredi à 19h00 pour Huit 1/2 et sa musique de cirque ?), des envies de cinéma me reprennent là, là et là.
Mais fatigue, excellent week-end en famille, avec chasse aux oeufs (merci à tous), d'autres choses prévues, j'ai vu peu de films.
J'y reviens la semaine prochaine et me consacre cette fois à deux belles personnes qui ont permis à mes journées et mes soirées récentes de prendre enfin les couleurs du printemps.
An Pierlé, une belle personne qui chante.
Ce serait
Enfant adultérin de William Blake et Emily Brontë, An Pierlé est venue poser ses perles rares sur la scène du Café de la Danse, mardi soir, le Mardi de Pâques. Elle est venue seule, dix doigts, une voix, un piano, mais habitée par toutes sortes d'étranges créatures hébergées par ses chansons. An Pierlé est une jeune femme venue du pays belge, du plat pays, la tête encombrée, semble-t-il, de légendes nordiques, d'apparitions, de fantômes, de tout un peuple de la nuit, ces créatures n'excluant pas, car elles sont aimables, une vraie fantaisie.
Musicalement, vocalement, juste pour la situer, elle nous parlerait plutôt de Kate Bush dans ses bons jours que de Céline Dion dans ses bons jours aussi. Je veux dire qu'on peut avoir de la voix ET du talent. Il suffit de savoir utiliser sa voix, sa tessiture très ample, son moderato (cantabile bien sûr) et l'ensemble des phrasés mélodiques pour faire chauffer autre chose que la soupe aux sous, l'imagination, le désir, l'ailleurs. Le piano sous ses doigts fins se fait alternativement instrument mélodique ou instrument à percussion. Par exemple, l'accord violemment plaqué sur le clavier peut venir contredire la douceur ou la brisure de la voix, mais tout cela respire en harmonie. Parlons-en. Tant de chanteurs-musiciens français appliquent une voix blanche à des harmonies connues d'avance (depuis les lustres de la Rive Gauche, qui surinvestissait le texte et ne considérait la musique, au mieux, que comme un soutien à celui-ci) et des mélodies congelées, quatre minutes au micro ondes et c'est servi.
An Pierlé fait partie de ces artistes rares dans la chanson française (franco-belge) issue du rock, capables d'inventer leurs mélodies, leurs harmonies, comme dans une constante découverte que la musique est multitude et invention.
Voici une vidéo qui n'est pas un clip, qui a été enregistrée live, même sans public et qui donne une petite idée de la séduction que la dame, enfant trop vite grandie, princesse ou sorcière, c'est selon, régnant sur des mondes imaginaires et contradictoires, heureux et douloureux comme l'enfance, a pu opérer sur un mec comme moi.
En sortant, j'ai acheté son disque (moins cher que chez les requins de la FNAC) et je me suis rendu compte trop tard que la nana blonde qui rigolait avec la vendeuse, c'était An. Troublé, je n'ai pas osé demander un autographe. Son album s'intitule Strange days. Strange jusqu'au bout du fantasme.
Sophie Maurer, une belle personne qui écrit.
Sinon, j'ai lu Les indécidables de Sophie Maurer, auteure dont vous n'avez pas fini d'entendre parler ici, car je compte bien être présent à la lecture qu'elle donne le samedi 20 avril à 17 heures à la librairie l'Imagigraphe, 84, rue Oberkampf à Paris. Je l'ai terminé (le livre, enfin sa lecture) dans le train très rapide entre Poitiers et Paris (deux villes qui n'ont en commun que la première et la dernière lettre) entre une jolie voyageuse qui dévorait Les Misérables (vous avez remarqué la rime avec indécidables ?) et une autre, de l'autre côté du couloir qui, manifestement, s'ennuyait et sommeillait sur L'assommoir, ce qui peut arriver. TGV littéraire.
Les indécidables est un livre avec lequel on entretient une relation intime ou non. Moi oui. J'avais patienté six ans depuis Asthmes, le premier livre en forme de roman de Sophie M. et j'étais, après tout ce temps, assez avide de la suite. Qui n'est en rien décevante, bien au contraire. Cette fois, l'auteure utilise le principe d'association, on se rencontre, on se connait et on reste ensemble (utilisé au cinéma par Bertrand Blier quand il faisait du cinéma) pour un roman qui rend compatible l'humour et la mélancolie, l'envie de traduire l'ensemble de la réalité sociale à un moment donné et l'intimité des rapports entre les gens.
Le point de départ du livre est simple ; le point d'arrivée l'est moins, mais je n'en dirai rien car, s'il ne s'agit pas à proprement-parler d'un roman à suspense, il faut laisser aux lecteurs (vous serez nombreux, j'espère, parmi les visiteurs des Pavés) le plaisir solitaire de la découverte. Donc, Ariel, un jeune peintre qui ne peint plus, marié et père d'un très jeune garçon, a disparu, il est parti, il a peut-être fugué. Sacha (Ariel et Sacha sont amis d'enfance et ont développé une sorte de gemellité tant leur proximité est grande) part sur les faibles traces qu'Ariel a laissées et qui conduisent aux Etats-Unis. Sur la route des pionniers, d'est en ouest, Sacha fait des rencontres, l'investigation se fait collective et le mouvement vers un avant de plus en plus paradoxal, prétexte à l'introspection et à l'évocation du passé, ou encore de ce qui se serait passé, si... (hypothèses, autres vies possibles, autres choix non advenus) se fait plus lent.
Dans ce très beau roman, Eric, le camionneur, qui est un peu la tête raisonnante du petit groupe et le conduit avec douceur, parle comme un livre (ce qui est la moindre des choses, dans un livre) ; il explique, suppose, met dans le contexte, déniaise, donne les raisons historiques des réalités rencontrées ou supposées, ajoute à la profondeur des phénomènes et emprunte tous les chemins de traverse pour mieux atteindre ce qui sera le bout, ou le but du voyage. Sa parole, sage et tranquille, unit les deux continents, l'ancien où il ne se passe plus grand chose, et le nouveau qui donnerait encore un goût d'aventure. Et tout cela n'exclue jamais l'humour, la cocasserie, voire une certaine ironie, la vivacité du style, comme celle d'une plante traçant son chemin dans le monde nouveau des mots nouveaux (du moins, dans un agencement novateur des mots).
Il n'est pas facile de parler de ce livre, lui-même plutôt facile à lire, à la condition de se laisser porter par une langue réaliste-poétique, dont chaque mot semble avoir été choisi avec le plus grand soin pour faire sens, tout en faisant rêver. C'est le livre du Je (écrit à la première personne, comme s'il fallait bien qu'une personne prenne l'initiative de l'aventure), mais aussi le livre du Nous, le Nous du petit groupe assemblé autour de Sacha, du Nous plus large de ce groupe dans son environnement, paysage, ville et un Nous qui, parfois, m'a semblé devoir s'étendre aux résidents de la Terre entière, solidairement embarqués dans un voyage commun, unique, sidérant, impliquant la totalité de l'existant.
A ce stade, j'avoue ma déconvenue de n'avoir pas trouvé de mots plus simples pour évoquer ce livre d'une grande douceur. J'essaierai, la prochaine fois, peut-être après en avoir entendu l'auteure.
Une chronique du Huffington Post à propos des indécidables.
Une chronique de A chacun sa lettre, blog du Monde.
Pas si loin que ça de Sophie M. dans l'écriture.
Je vous en dirai peut-être quelques mots la prochaine fois, mais je sais déjà, après quelques pages, que ce sera pour moi une nouvelle grande aventure.
Portez-vous bien, faites les fous, suivez le fil d'Avril, découvrez-vous.