- France
Il ne sera pas ici question d'analyse de politique, du moins au sens où on l'entend habituellement : la droite, la gauche, les radicaux, le gouvernement, l'opinion... Pourtant, le géopolitologue peut apporter quelques commentaires, vus de sa discipline.
La première question qui vient à l'esprit est celle de la corruption. D'une certaine façon, l'homme politique a été corrompu : par la richesse, le mensonge, le pouvoir, que sais-je... Il a perdu le jugement et l'éthique qui lui auraient permis, par morale ou par raison, de ne pas s'enferrer. Toutefois, les hommes politiques, comme nous tous, sommes placés dans une situation fort inconfortable : on ne cesse de recommander un comportement purifié, et dans le même temps l'air du temps ne cesse de recommander le relativisme. La seule valeur résiduelle, dans notre époque de déconstruction et de dissolution de toutes les certitudes, n'est-elle pas le relativisme ? Je ne referai pas la démonstration que d'autres ont faite avant moi, mais il y a quelque chose de logique dans la pourriture du royaume de Danemark. A tout remettre en cause, quelles valeurs restent ?
Oui, mais justement, il y a des valeurs qui doivent demeurer, etc. Fort bien, admettons. Sommes nous tous si incorrompus ? une anecdote : je prends le métro, l'autre jour, et une jeune femme me dit "je n'ai pas mon billet, puis-je passer avec vous ?". Elle a été fort surprise que je lui réponde "non, je suis respectueux des lois et paye mon titre de transport, et je ne veux pas être complice". Idiot, bien sûr (ou peut-être) d'autant qu'elle a demandé à la personne qui suivait, qui a ri et obtempéré. L'anecdote est instructive à plusieurs égards : tout d'abord car elle dit bien le degré de tolérance au non-respect de la règle commune. Mais aussi car qui suis-je pour jouer, sur ce coup, les moralisateurs ? Moi, comme d'autres, comme vous probablement, cher lecteur, "transige" et m'autorise, ici ou là, des arrangements avec l'ordre. Du coup, suis-je effectivement bien placé pour me scandaliser ?
Le problème se déplace alors : que reproche-t-on vraiment à M. Cahuzac : une faute morale ou une atteinte à la loi ? (sans même parler de la faute politique, médiatique, et de la persistance du mensonge). Les deux, mon général. Et aussi une disproportion entre la faute, sa persistance, et la situation. Ce qu'on tolère d'un quidam dans le métro, "un billet de métro", ne passe pas chez un "responsable", qui "demande des efforts", prône la vertu et ne se l'applique pas. Là est peut-être la contradiction fondamentale : on demande plus à l'homme public parce que justement il est public.
Intervient alors le débat qui s'impose sur le "tous pourris". Des amis, par ailleurs pas populistes pour deux sous, venant de la gauche la plus sourcilleuse évoquent le mot. Il ne s'agit donc pas d'un simple "populisme" qui serait réservé aux extrêmes. Que révèle-t-elle, cette clameur du "tous pourris" ? probablement, une défiance envers le système qui est jugé, justement parce que "système", acculer ses parties prenantes à la pourriture. Au fond, la lutte pour le pouvoir nécessite tellement d'efforts et d'abnégations qu'elle incite, presque naturellement, à être corrompu. La charge est extrême, la réalité heureusement moins caricaturale. Tous pourris, ou beaucoup pourris ? Le système encourage la pourriture, tous n'y cèdent pas. Il n'en reste pas moins qu'il y a une part de vérité. Essayons de voir laquelle.
La première est probablement le débranchement de la réalité. Quand on est aux responsabilités, on ne vit plus comme le commun des mortels, on s'éloigne du vécu quotidien de ses contemporains. Ce débranchement des élites est probablement la plus grande source de fragilisation.
Remarquons par ailleurs les effets de la vie moderne : la mise en réseau, l'afflux d'information et l'accélération du temps empêchent de prendre du recul. La pression des événements (qu'on confond justement avec cette réalité évoquée à l’instant) entrave tout recul, toute réflexion, qui sont pourtant nécessaires au jugement, et à l'éthique. Pour avoir vu de près des "grands responsables", je reste admiratif (et sans aucune envie) devant le rythme absolument affolant auquel ils sont contraints, 6,5 jours par semaine et 14 heures par jour. Ces responsables vivent dans un déséquilibre structurel qui ôte le sens commun et pousse à ces fautes que nous constatons.
Un dernier mot : bravo et chapeau à Médiapart, pourtant brocardé par les médias officiels. Les procureurs bien-pensants, adeptes du rentre-dedans qui fait paraît-il tant de bien à l'audimat, JM Apathie ou Pascale Clark (la Fouquier Tinville au petit pied et en jupon), nous expliquaient que ce n’étaient pas des méthodes de journaliste ? Je constate que la connivence du "milieu" politico-médiatique envers une affaire rendue publique il y a quatre mois met en cause, une nouvelle fois, la neutralité du quatrième pouvoir (quand le troisième, celui des juges, a fait son travail). Que ce soit un média indépendant, réinventant le journalisme sur le cyberespace qui soit à la source de ce choc politique constitue, au final, la seule bonne nouvelle de la séquence.
PS : à me relire, je ne suis pas du tout sûr qu'il s'agisse de géopolitique : parlons donc de réaction d'un citoyen français, ce que je suis aussi.
O. Kempf