Le Monde daté de dimanche 31 mars relatait les faits suivants : M. Nicolas Choffel, cadre supérieur de La Poste, est promu fin 2012 au poste de directeur de la communication interne. Il se trouve rapidement soumis à une charge de travail excessive, à tel point qu’il perd 18 kg entre septembre 2012 et janvier 2013. Il est alors placé en arrêt de travail pour épuisement professionnel. Malgré cela, il reçoit chez lui de multiples mails, SMS et appels téléphoniques professionnels. Un soir, il dit à son épouse qui tente de l’empêcher de répondre au téléphone : « Tu ne te rends pas compte. Il faut que je travaille, sinon on va me mettre au placard ». Le 25 février, il se pend.
Le 28 février, lors d’un conseil d’administration, Jean-Paul Bailly, président de La Poste, déclare, à propos des suicides dans l’entreprise, que « ce sont des drames personnels et familiaux, où la dimension du travail est inexistante ou marginale » De tels propos déshonorent leur auteur et surtout démontrent sa totale inaptitude à diriger des hommes. Ce que des individus de son espèce ignorent, ou plutôt se plaisent à ignorer, c’est que l’homme est un et qu’il est impossible de séparer le professionnel du privé. Lorsqu’un homme, ou une femme,a des soucis de santé, des problèmes dans son couple ou des difficultés financières, qui nierait que cela puisse influer sur la qualité de son travail ? Et, inversement, s’il, ou elle, rencontre des obstacles dans la réalisation de ses tâches professionnelles, est-ce que cela ne retentit pas sur son humeur et n’est pas perçu par son entourage ? Non, bien sûr. Il n’y a rien de plus personnel que les rêves. Peut-on prétendre que jamais les événements survenus au cours du travail ne viennent hanter le sommeil de celui qui les a vécus ?
En dehors de ces connexions psychologiques, n’y a-t-il pas un lien direct entre le monde professionnelet le domaine personnel ? Celui ou celle dont l’emploi est menacé ne va-t-il pas être miné par ce danger potentiel et modifier, consciemment ou pas, son comportement privé ? Et lorsque l’on se retrouve au chômage, n’est-on pas contraint de réduire ses dépenses, de renoncer à des sorties, de s’interdire des déplacements, peut-être de devoir expliquer aux enfants que, cette année, le père Noël ne viendra pas, initiatives strictement privées ? Inversement, le patron, à la rémunération confortable, peut l’utiliser à sa guise pour s’offrir une villa de rêve, une voiture haut-de-gamme, une croisière de luxe, produits tous d’un usage éminemment privé.
Non, on n’a pas le droit de dire, face à de tels drames, que le travail n’a aucune influence dans leur survenance. L’homme n’est pas constitué de sections étanches, il est un, et ceux qui veulent le nier devraient être interdits à vie d’exercer la moindre fonction de commandement.