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Le premier film d’Edwy Plenel est d’une sobriété à toutes épreuves. Bien que financé à 34,785 % par UBS (Union des Banques Suisses) et le reste par une banque de Singapour (soit 54 ,601 %), ce long métrage de 2 heures 56 minutes et 9 secondes (chrono suisse homologué) n’a pas réussi à boucler des fins de mois difficiles. Il a fallu sabrer la partie musicale et le casting !
Aussi, l’œuvre n’hérite-t-elle que d’un seul support musical qu’on attribuera à ce cher Guy Béart ! Un Béart qui, tel le Phénix, renaît de ses cendres. Toutes les 25 mn le spectateur aura l’occasion d’écouter la chanson « La Vérité » extrêmement repérable par ses paroles récurrentes : « le premier qui dit la vérité, il va s’faire exécuter » !
Car la vérité demeure jusqu’au bout la thématique du film. La vérité et son contraire : le mensonge ! Plenel met sur pellicule l’affaire Cahuzac dont il a été le dynamiteur en tant que dirigeant de Médiapart, ce média incorrigible qui lève des lièvres à l’envi !
L’affaire Cahuzac !! A vous renvoyer aux gémonies des oubliettes de l’histoire l’affaire Dominici ou celle du pull over rouge !
Avec peu de moyens Plenel nous fait rentrer dans les arcanes du mensonge politicien.
Tout le monde se souvient de l’histoire. Jérôme Cahuzac, Ministre du Budget de Mr Hollande, finira par avouer qu’il détient un compte à l’étranger (environ 600.000 € sinon plus…) après avoir nié en bloc le pactole !
Le film reprend bien les archives de l’époque : Cahuzac exécutant un déni de fraude fiscale au sein même de l’hémicycle parlementaire ! Cahuzac mentant à ses proches, à ses collègues du gouvernement et finalement aux Français !
Mais les archives sont entrecoupées de scènes filmées par caméra 35 mm. Le rôle principal revient, de facto, à Jérôme Cahuzac ! L’homme semble renaître dans ce monde artistique et revit d’avoir définitivement renoncé à la vie politique ou aux chirurgies esthétiques (dans un cas comme dans l’autre il s’agissait de modifier la réalité !)
Oui, Cahuzac excelle dans ce rôle de Ministre taraudé par le mensonge. On a beau connaître la fin on reste haletant : va-t-il avouer ??? Les gros plans se multiplient sur un visage martyrisé par les démons traumatisants qui harcèlent leur victime par des « ne dis rien ! Fais comme tout le monde ! Casse-toi en Belgique, pov’ con ! Nie tout en blog !! ».
Une scène s’avère particulièrement réussie. Alors qu’il se promène dans sa bonne ville de Villeneuve-sur-Lot, dont il est maire, Cahuzac est interpellé par une jeune admiratrice qui lui demande si tout va bien. L’édile répond qu’il se porte comme un charme ! En vérité il est déjà miné de l’intérieur par la sombre histoire d’oseille cachée en Helvétie et qui le fait chier, à intervalles réguliers, régulant ainsi un transit intestinal jadis versatile.
Cette réponse fugace et gorgée de mensonges raisonne dans sa tête toute la journée. L’usage de la voix off amplifie le harcèlement psychologique. Des petites voix diaboliques lui susurrent sporadiquement : « pourquoi t’as pas dit la vérité à la demoiselle ? Tu es mal ? Pourquoi dis-tu que tout va bien ? »
Et ça dure pendant 10 minutes. Mais là, soudain, on comprend la dynamique du mensonge. Le pire n’est plus le magot caché et qu’on ne veut pas révéler ! Le pire c’est le petit mensonge né du gros, la petite phrase de camouflage débitée par complaisance, le brin de politesse échappé d’une échelle de valeurs sociétales…
La fin du film élargit intelligemment la réflexion. Les scènes s’entrechoquent pour nous donner la nausée. On ne sait si les séquences s’inspirent de la vraie vie ou d’une fiction tout droit puisée dans le cortex bouillonnant d’un Plenel remonté à bloc !!
Le reste du film est encore une suite chaotique de séquences ou alternent le vrai et le faux. Entre l’onirisme psychédélique et l’épure d’une réalité en mal d’accouchement le spectateur est balancé dans ses certitudes. La mécanique mensongère est notamment illustrée par une scène montrant l’obstination mercantile à ne rien dévoiler de la composition d’un plat cuisiné, à base de bœuf… mais qui gardera longtemps son secret de fabrication hippophage.
Une autre scène dévoile les arabesques sémantiques d’une droite décomplexée et bienheureuse de pouvoir casser du sucre sur la pseudo « moralisation de la vie publique » voulue par le gouvernement de gauche au pouvoir. On y découvre des politiciens retors qui s’indignent du mensonge longtemps gardé par Sieur Cahuzac. Ces fanatiques de la politique, finement interprétés par des intermittents du spectacle (faible budget oblige), profitent de l’aubaine pour demander la tête du gouvernement ! D’autres estiment que l’Assemblée doit être dissoute !
Pour un aveu de mensonge les masques tombent, la haine s’affiche sur les visages hideux ! Et revient Guy Béart « le premier qui dit la vérité… ». Lancinant, insupportable… Des spécialistes de la tromperie et des malversations occultes se frottent les mains d’une telle diversion : impliqués dans les affaires, ils se voient brusquement délestés de pression médiatique et rajoutent de l’huile sur le feu !!
La fin du film se montre insoutenable. Les indignés finissent par ourler leurs imprécations d’un fil de médisance qui jette le discrédit sur leur légitimité. Les loups qui hurlent ont brusquement des masques de Pinocchio (très bon trucage en 3 D !) et nul n’est dupe du potentiel de mensonge dont sont dotés les faiseurs de leçons, les ayatollahs de la droiture, les parangons de la probité !
Le pauvre Cahuzac finit par s’enfermer dans le remords ! On le voit glisser dans l’abime suicidaire avec une corde autour du cou et le regard caché par d’énormes lunettes censées lui ôter la vue d’un monde nauséeux et dénué de toute rédemption !!
Un film, en définitive, qui met mal à l’aise et qui poussera l’indécence du mensonge à faire figurer le nom de François Hollande sur son affiche !
Or à aucun moment de cette œuvre kafkaïenne n’apparaît la bonhommie de notre Flamby national !
Que je sois damné si je mens !!