The place beyond the pines (Derek Cianfrance)

Par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

On devrait éviter de voir les bandes-annonces, c’est pour ça que j’essaie toujours un peu d’arriver après. Contrairement à certaines qui donnent à voir l’intégralité du film, celle de « the place beyond the pines » ne dévoile pas la narration particulière du film, ni même son propos. C’est un montage de scènes choisies mais entrecoupées des différentes critiques de la presse. On y entrevoit le très beau casting qui présage d’un très bon film sur le thème de la paternité.

Sur ce point le film tient ses promesses. On retrouve Luke (Ryan Gosling), un père motard tête brulée qui découvre qu’il a un fils lors d’un court passage dans la petite ville de Schenectady (qui signifie littéralement « l’endroit au-delà des pins » en iroquois). Son émotion est l’un des plus beaux éléments du film. Elle transperce sa carapace de tatouages et de métal hurlant. Pour son fils, il décide de se ranger, de cesser son activité dangereuse et d’assumer sa responsabilité de père. Mais il est trop tard. Son ancienne compagne Romina (Eva Mendès) a refait sa vie, il n’y a plus vraiment de place pour lui. Pour lui comme pour son pendant vertueux, Avery (Bradley Cooper), la paternité reconfigure ses notions de bien et de mal, guide ses actes et les pousse à exprimer leur sentiments comme ils peuvent. C’est l’objet de cette photo qui fixe le moment parfait passé par Luke avec son fils et Romina, où il fait avec lui l’expérience de sa première dégustation de crème glacée, devant un café. Il demande alors à la serveuse qui les photographie de saisir l’instant et son atmosphère pour les garder pour toujours. Cette image sera conservée et transmise comme un trésor. Pour Avery, policier modèle, la paternité est aussi une affaire délicate notamment après le meurtre qu’il provoque. Son fils se superpose à l’image celui de la personne qu’il abat, car les deux bébés ont le même âge. Et c’est sans doute de l’événement, la chose la plus compliquée à endurer.

Pour illustrer ces aspects exprimés avec profondeur et justesse par les acteurs, le film esquisse formellement la notion de répétition en impliquant en creux celle de prédestination. Luke sentant la fin arriver préfère que son fils ne sache rien de lui, puisqu’il n’a pas eu le temps d’assumer sa paternité et de se racheter une conduite. D’un père absent nait un père absent. D’un motard chevronné, nait jeune adolescent qui prend la route. Les plans, les situations, les lieux, les actes, tout sera répété suivant les époques, les générations et les personnes, la route entre les pins symbolisant la vie et tout ce qu’on peut y voir (la fin, l’évasion, le recommencement…)

Les personnages et les acteurs font la force du film, parce qu’il s’agit d’un très bon casting et qu’il est question de contre-emplois (notamment pour Bradley Cooper et Eva Mendez loin de leurs rôles habituels) mais aussi parce que leurs personnages font écho à certains autres du paysage cinématographique. Pour Ryan Gosling, il est difficile de ne pas rapprocher son personnage de bad boy au cœur tendre de son personnage de Drive, mais on lit aussi les faux airs de Marlon Brando ou de James Dean dans les attitudes des personnages.

Chacun oscille entre le Bien et le Mal, jonglant avec sa dualité. Tâchant de faire les choix qui lui semble les meilleurs. Chacun dresse du même coup un portrait des archétypes américains plutôt convaincants.

Mais les références du film rappellent aussi la tradition du film noir américain des années 1950, ou les films de James Gray (en particulier « la nuit nous appartient ») qui développent également des thèmes invoqués ici. C’est sur ce point pourtant que le film m’a paru atteindre ses limites. Si le traitement de la paternité est juste, les autres histoires satellites sont déjà vues et revues et n’accrochent pas particulièrement l’attention, j’en attendais vraiment un peu plus.

Heureusement que la dernière partie du film vient rehausser l’ensemble, lui donner de l’intérêt et justifier la structure tripartite. La rencontre et la descendance de ses deux hommes qui s’affrontent, leurs valeurs respectives et leurs chemins de vie qui se creusent peu à peu, donnent du crédit à la conclusion et font voir autre choses que ces situations un peu trop prévisibles et déjà vues.

A voir :
The place beyond the pines, un film américain de Derek Cianfrance (2h20)